Départ retardé. Assis sur sa chaise, la tête enfoncée dans les épaules, les doigts entrelacées sur le bureau, Monsieur XX semble pensif, presque inquiet. À sa gauche, son avocat, vêtu de sa robe noire, une mèche blonde impeccablement coiffée sur le côté du visage, lance des sourires chaleureux à l’assemblée. Du côté des plaignants – donc de l’université – une femme, elle aussi vêtue de sa robe d’avocate, les cheveux attachés en une queue de cheval serrée, dispose ses notes sur la table qui lui fait face. La salle est agitée, l’audience débute avec plus d’une heure de retard. Après un raclement de gorge, le président demande le silence et sonne le début de la séance : « Nous sommes réunis en formation de jugement du Cneser disciplinaire… »
« Vous avez parfois repris sept pages complètes sans citer l’auteur, ni modifier un seul mot »
Jamais deux sans trois. Les yeux se rivent sur le dossier d’instruction. Monsieur XX n’en est pas à son premier Cneser disciplinaire. Un premier passage en 2015, suite à des accusations de plagiat [relire notre analyse en deux parties sur le plagiat], lui avait valu un an de suspension. Et s’il se trouve aujourd’hui sur le banc des accusés, c’est de nouveau pour « s’être rendu coupable de plagiat et de contrefaçon » mais aussi « de fraude ou tentative de fraude à la procédure d’inscription sur la liste de qualification aux fonctions de professeur des universités ». L’affaire n’est pas récente. La première sanction tombe en 2018 lorsque la section disciplinaire de l’université de Nice Sophia Antipolis se prononce pour une interdiction d’exercer toute fonction de recherche dans un établissement public d’enseignement supérieur pendant une durée de cinq ans avec privation de la moitié du traitement. Une sanction lourde qui pousse Monsieur XX à faire appel devant le Cneser disciplinaire une première fois en 2018 pour demander un sursis. La demande lui avait alors été accordée. Il revient devant l’instance en 2019 qui réduira certes la sanction à trois ans mais l’étendra aux fonctions d’enseignement. Une peine alourdie que le conseil d’État a cassé pour vice de procédure [le Cneser ne peut aggraver en appel une sanction disciplinaire, NDLR].
Copier coller. La lecture du dossier se termine, l’heure est aux questions. Et des questions, les juges en ont beaucoup. « Vous avez parfois repris sept pages complètes sans citer l’auteur, ni modifier un seul mot », souligne le président sourcils froncés. « Nous sommes nous aussi des universitaires, nous savons ce que c’est que d’écrire un article et nous pouvons vous garantir que ce n’est pas la procédure habituelle ». Si Monsieur XX reste de marbre, son avocat s’agite. Hochements de tête, murmures approbateurs au moindre commentaire des juges, coups de crayons… Il est à l’affût, prêt à répondre avec enthousiasme aux accusations.
« Le plus important, c’est qu’il n’y avait aucune volonté de sa part de s’approprier la pensée d’autrui »
Message codé. « J’ai bien saisi les justifications de Monsieur XX mais j’ai l’impression d’être le seul », commence-t-il. Les juges esquissent un sourire approbateur. « Le plus important, c’est qu’il n’y avait aucune volonté de sa part de s’approprier la pensée d’autrui » continue-t-il en posant une main bienveillante sur l’épaule de l’enseignant-chercheur. Monsieur XX a passé des heures à lui expliquer : il cite toujours les sources primaires, celles qui cristallisent l’idée. Mais lorsqu’il s’agit des sources secondaires, « qui ne font pas preuve d’originalité », il n’applique pas les mêmes règles. L’explication est confuse mais l’avocat s’y tient et se répète plusieurs fois.
Et alors. « J’entends bien votre argument, mais je ne comprends pas en quoi il innocente Monsieur XX », lance un juge interloqué. Après avoir replacé ses lunettes alors tombées sur le bout de son nez, l’avocat tente tant bien que mal de s’expliquer. Le juge l’interrompt : « Vous le dites vous même, il y a eu des reprises ». L’avocat acquiesce mais précise encore une fois : il n’y a pas de plagiat, les sources primaires sont toujours accréditées. « Votre argument est tiré par les cheveux », réplique un juge. « Non », répond l’avocat. « Si », répondent les juges en cœur, amusés. Ils n’en démordent pas, « le plagiat scientifique n’est pas sans conséquences », continuent les magistrats. Et lorsqu’un enseignant-chercheur reprend à l’identique plusieurs pages de texte, « on a du mal à exclure la possibilité de plagiat », encore plus lorsqu’on a conscience de la course à la publication à laquelle les chercheurs sont confrontés. Silence.
« J’aimerais beaucoup entendre ce que Monsieur XX a à dire sur cette prise de conscience »
Volte face. « Il a conscience qu’il aurait dû faire les choses autrement », soupire l’avocat. Une phrase courte mais qui ne manque pas de faire réagir. La représentante de l’université, silencieuse jusque-là, hausse les sourcils et lance un timide « c’est nouveau ça » à l’attention des juges. Eux aussi semblent étonnés. C’est la première fois depuis 2015 que l’enseignant-chercheur semble reconnaître ses torts. Son avocat insiste, l’enseignant-chercheur était simplement « vexé » de se trouver devant une formation disciplinaire. « J’aimerais beaucoup entendre ce que Monsieur XX a à dire sur cette prise de conscience », interrompt poliment un juge.
Confessions nocturnes. Monsieur XX, jusque-là effacé, lève les yeux en direction des juges et se lance d’une voix rauque. Passionné, il ne voulait pas « déformer les propos des autres chercheurs » en les reformulant. Et il précise qu’en épistémologie, l’utilisation des guillemets se fait rare. Son avocat le reprend, estimant qu’il s’éloigne de la question posée par les juges. « C’est après avoir discuté avec des collègues que j’ai compris qu’il était important de citer mes sources », finit par expliquer l’enseignant-chercheur. « Depuis sa suspension en 2015, Monsieur XX se tient à carreau, il n’y a pas eu d’autre problème », complète l’avocat. Les juges, sceptiques, se tournent vers la représentante de l’université.
« [Pour son CV] Il avait demandé à une collègue de s’en occuper et elle a fait n’importe quoi »
Tirade exemplaire. « Je découvre avec vous cette prise de conscience qui, à mes yeux, date d’aujourd’hui », explique-t-elle. Hélas, cela ne lui suffit pas. D’un ton presque théâtral, elle pointe du doigt les plusieurs alertes que l’université à reçu à son sujet depuis 2015 concernant de nouveaux articles douteux, contrairement à ce que soutiennent Monsieur XX et son avocat. Ce à quoi il faut ajouter cette histoire de CV faussé envoyé dans le cadre du concours de professeur des universités. « Monsieur XX n’y est pour rien », l’interrompt l’avocat de l’enseignant-chercheur. « En déplacement au moment des candidatures, il avait demandé à une collègue de s’en occuper et elle a fait n’importe quoi. » Les juges acquiescent. Pourtant l’université n’en démord pas. Après sa suspension en 2015, Monsieur XX aurait dû redoubler de vigilance. « Cette négligence comme si jamais s’en était une est particulièrement grave », termine la représentante.
Top chrono. Après plus d’une heure d’échange, il est temps de conclure. L’université demande le maintien de la sanction initiale. Mais l’avocat de Monsieur XX ne compte pas en rester là. Debout au milieu de la salle, il se prépare à déclamer un plaidoyer préparé avec soin : vingt minutes d’un argumentaire bien rodé qui font le portrait d’un homme négligent mais innocent. En vain. Après une courte délibération, les juges maintiennent la sanction initiale : Monsieur XX est condamné à une interdiction d’effectuer toute fonction de recherche dans tout établissement public pour une durée de trois ans avec privation de la moitié du salaire.