« Je veux sortir du double discours vis-à-vis de la recherche »

Financement de la recherche, asile scientifique, situation internationale, l’ex-président de la République répond aux questions de TheMetaNews.

— Le 28 mai 2025

Comment en êtes-vous arrivé à déposer cette proposition de loi sur l’asile scientifique — votre première en tant que député ?

J’ai été saisi par le président d’Aix-Marseille Université [Éric Berton, nous l’avions interviewé, NDLR]   pour concevoir une forme exceptionnelle d’accueil pour les scientifiques aujourd’hui menacés dans la poursuite de leurs travaux. Initialement, je n’avais pas pensé à une initiative législative. Une prise de parole pouvait suffire. Mais le besoin d’une sécurité juridique est réel et, à ce titre, une proposition de loi pouvait trouver légitimement sa place.

« On critique Javier Milei […] qui use de la tronçonneuse. En France […] on le fait à la scie mécanique »

Quelles assurances avez-vous que votre proposition de loi puisse passer au vote à l’Assemblée Nationale ?

Pour que la proposition soit discutée et donc votée, il était nécessaire de recueillir plusieurs signataires, pas uniquement issus du groupe auquel j’appartiens [Socialistes et apparentés, NDLR]. Une majorité du groupe central s’y est associée : je m’en réjouis, c’est une démarche qui a vocation à unir. Maintenant, il convient de l’inscrire  à l’agenda. Une opportunité peut se présenter au mois de juin ou, à défaut, au mois d’octobre. Mais si on veut accueillir des chercheurs étrangers, Américains en particulier, il faut aller vite. Ils cherchent une solution dès aujourd’hui. Certes ils pourraient demander des visas “classiques” mais ce qu’ils veulent avant tout, c’est de la sécurité, la garantie d’un statut durable pour séjourner sur le territoire et travailler dans une université. De surcroît, ils sont sollicités par de nombreux pays. Au moment où je déposais cette proposition, le président Macron faisait ses annonces [Choose France For science le 05 mai dernier, NDLR], et évoquait l’idée d’une évolution législative. Qu’importe le moyen — une proposition de loi, un projet de loi du gouvernement ou une correction à un texte existant —, ce qui compte c’est d’y arriver dans un délai court. Le ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche [Philippe Baptiste, NDLR] m’a indiqué qu’il pourrait soutenir le texte et que, s’il était repris par le gouvernement, il veillerait à ce que le Parlement en soit saisi rapidement. 

À vos yeux, ce statut de « réfugié scientifique » vise-t-il particulièrement les chercheurs états-uniens ?

Pas seulement. L’actualité s’est focalisée sur les États-Unis, compte tenu de la brutalité des actions de Trump envers certaines universités : coupes budgétaires, licenciements ou dénonciations de certains thèmes de recherche comme le genre, le climat, et même la santé. De nombreux chercheurs américains sont menacés. Mais certains scientifiques en Asie et même en Europe sont dans des situations équivalentes. En Roumanie, le danger a été écarté [le candidat pro-européen, Nicușor Dan, a remporté l’élection présidentielle le 19 mai dernier, NDLR] mais nous ne sommes pas à l’abri de situations similaires à l’avenir. Nous avons également intérêt à donner une place à des scientifiques issus d’un certain nombre de pays africains, même si leurs travaux n’y sont pas nécessairement entravés. Les questions qui se posent ensuite sont légitimes : leur donner un statut pour faciliter un certain nombre de procédures suppose de dégager des moyens de travailler. Et pourquoi ne pas en donner également aux chercheurs français ?

« Quand j’entends aujourd’hui qu’il faudrait passer à 5% de la richesse nationale pour la défense, j’exprime un doute »

Le programme PAUSE — relire l’interview de sa directrice —, mis en place au cours de votre mandat, a vu son budget divisé par deux. Est-ce qu’il n’y a pas un double discours de la France vis-à-vis de l’accueil de chercheurs étrangers ?

Pour ma part, je veux sortir de ce double discours. Oui, accueillir des scientifiques est nécessaire, pas simplement pour la France mais plus généralement pour la science. Les universités françaises peuvent aussi y trouver aussi leur compte. Mais les événements actuels précipitent une prise de conscience. 

Avez-vous l’impression que ce soit le cas ?

Je veux le croire. La science, que nous n’avons peut-être pas bien traitée ces derniers temps sur le plan budgétaire, va en réalité être l’élément essentiel de la compétition entre les démocraties et les régimes autocratiques. D’où l’impérieuse obligation de financer davantage les travaux universitaires en France. 

La France fête les 25 ans de la promesse de Lisbonne : consacrer 3% de son PIB à la recherche. Aujourd’hui, nous en sommes environ à 2,2 %, bien loin donc. Est-ce que ça n’en dit pas plus long que tout le reste sur l’envie de la France d’investir dans sa recherche ? 

Vous avez raison de rappeler ce qu’était la stratégie de Lisbonne. Il y a 25 ans, c’était l’idée d’un fer de lance capable de promouvoir un modèle d’innovation et d’excellence. Quand j’entends aujourd’hui qu’il faudrait passer à 5% de la richesse nationale pour la défense, j’exprime un doute sur la réalité et même la pertinence d’un tel objectif. Ayant exercé moi-même la fonction de chef d’État et de chef des armées, je prends bien la mesure de ce qu’il faut engager en ce domaine. Mais la meilleure défense, c’est la science et les dépenses de recherche contribuent à notre réussite. Non pour qu’elles aient des finalités militaires mais pour que la recherche construise notre indépendance. Parce que la recherche est un des facteurs qui donnera à l’Europe les moyens de faire face à des opérations agressives ou anti-scientifiques. Tout ce qui peut élever la connaissance est un bouclier pour nous défendre face à des menaces extérieures.

« L’enjeu c’est d’accueillir des scientifiques sans fixer des limites et sans exclure un certain nombre de travaux »

Est-ce que ces menaces d’obédience trumpistes sur la science ont une chance d’être importées en France ? Le sont-elles déjà d’une certaine manière ? 

Oui, cette menace existe. La crise sanitaire de la Covid l’a démontré. La science a été un objet de controverse. Or elle n’est pas une opinion mais une vérité établie par une convergence d’expériences. Des attaques plus ciblées sont livrées contre certains travaux en sciences humaines et sociales, mais les sciences dites “dures” comme la climatologie n’échappent pas à cette offensive.

Les sciences humaines et sociales ne font pourtant pas partie des disciplines que Choose France for Science a choisi de privilégier… 

L’enjeu est d’accueillir des scientifiques sans fixer des limites et sans exclure un certain nombre de travaux, sinon nous nous mettrions finalement au diapason du trumpisme. C’est un point qui relève de la politique de chaque université : à elles de savoir si elles veulent donner à leurs recherches les moyens d’être poursuivies.

Vous pensez que ces annonces —  on parle de 100 millions d’euros potentiels — sont à la hauteur de l’enjeu ? 

Ce serait déjà bien que ces 100 millions d’euros soient effectivement dépensés et que l’on sorte des effets d’annonce. Sans exonérer l’État français de sa responsabilité, il me semble que c’est un véritable enjeu européen. Je le répète : il faut considérer la recherche comme un élément de notre défense commune.

« À chaque fois que l’on touche au CIR, c’est toujours au détriment de l’emploi scientifique »

Lors de votre mandat présidentiel, vous avez créé l’Agence française de biodiversité. Comment accueillez-vous aujourd’hui ces débats autour du démantèlement de l’OFB ? 

Le prétexte qu’il y aurait trop d’agences, trop d’organismes et donc une prolifération de dépenses inutiles est souvent invoqué. C’est injuste. Si ces agences ont été créées, c’est pour disposer de plus de souplesse, de liberté et que le travail puisse se faire au plus près de la réalité du terrain. Cette polémique cache évidemment une attaque sur le fond : la biodiversité, l’environnement et le climat sont de véritables cibles. Emmanuel Macron parlait lui-même de revenir sur un certain nombre de règles concernant les entreprises et leur responsabilité environnementale , par exemple. On critique volontiers la brutalité inouïe du trumpisme, tout comme celle de Javier Milei en Argentine — relire notre analyse —, qui use de la tronçonneuse. En France, ce n’est pas la même échelle, on le fait à la scie mécanique, si je puis dire, mais le retour en arrière est engagé.

Aujourd’hui, on parle d’accueillir les chercheurs en France mais beaucoup s’inquiètent de les retenir. Comment percevez-vous la suppression du dispositif « Jeunes Docteurs » qui permettait justement de faciliter leur embauche dans les entreprises ?

J’ai maintenu le Crédit Impôt Recherche (CIR) tout au long de mon mandat, malgré les critiques. J’avais fait en sorte que le CIR contribue aussi au recrutement des jeunes chercheurs dans les entreprises. À chaque fois que l’on touche au CIR, c’est toujours au détriment de l’emploi scientifique et donc des jeunes chercheurs. Pourtant les sommes en jeu sont assez limitées : on parle de 100 millions d’euros. Mais ces crédits sont d’une très grande efficacité, pour les entreprises comme pour les jeunes chercheurs.

« Souvent les chercheurs ne me demandaient pas seulement d’être mieux payés mais réclamaient de la reconnaissance »

Y a-t-il une rencontre avec un·e chercheur•se qui vous a marqué, durant votre mandat présidentiel ou plus récemment ? 

J’ai évidemment visité beaucoup de laboratoires. Souvent les chercheurs ne me demandaient pas seulement d’être mieux payés mais réclamaient de la reconnaissance et de la durée pour mener leurs travaux. Je me souviens d’avoir reçu à l’Élysée Serge Haroche, à l’occasion de son prix Nobel. Il était venu en compagnie de jeunes chercheurs. Ce qui comptait à leurs yeux, outre des conditions de vie convenables, c’était qu’on leur fasse confiance et qu’ils soient en capacité de mener leurs travaux dans la durée sans être soumis aux aléas budgétaires. 

Et ils vous ont convaincu ? 

Oui.

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