ITER volera-t-il près du Soleil ?

— Le 13 septembre 2021

Le rêve d’ITER deviendra-t-il réalité ?
Le réacteur thermonucléaire expérimental international (ou ITER en anglais), situé à Cadarache, structure à lui seul toute la recherche sur la fusion depuis plus de 20 ans. Non sans critiques.

Autour du berceau. Avant même sa naissance – qui remonte à fin 2006 – , le projet ITER a divisé et ce au sein même de la communauté scientifique. De grands noms de la physique comme Sébastien Balibar ont signé plusieurs tribunes contre ce projet. La raison principale ? Son budget énorme.

Débauche d’énergie. A budget énorme, machine énorme : une bouteille magnétique toroïdale appelée tokamak de 830 mètres cubes et pesant plus de 23 000 tonnes pour confiner du plasma, l’état de la matière obtenue dans ces conditions extrêmes, à 150 millions de degrés… Du jamais vu.

Nécessité physique. « Le plasma a une turbulence intrinsèque, notamment sur les bords, c’est pourquoi si on augmente la taille du tokamak, on améliore sa stabilité. D’où un projet monstrueux comme ITER, avec un coût monstrueux », explique Thiéry Pierre, physicien des plasmas au CNRS.

Pot commun. Son financement – 20 milliards d’euros pour la construction selon Bernard Bigot (ITER) mais bien plus au total selon ses détracteurs – est assuré par 35 pays, le plus souvent en fournissant des composants en nature, ainsi que par la commission Energie de l’Union européenne. Hors budget recherche, donc.

Fils prodigue. ITER a tout de même un fort impact sur la recherche académique française, dont il est issu. Le site de Cadarache dans les Bouches-du-Rhône sur lequel il est implanté est en effet un site du CEA qui abritait un laboratoire pionnier en la matière, l’Institut de recherche sur la fusion par confinement magnétique (IRFM).

Forces en présence. L’IRFM et ses 250 chercheurs constitue une grosse moitié de la fédération de recherche que dirige Yannick Marandet, en plus de pôles de recherche fondamentale, dont celui d’Aix-Marseille. A ITER, le groupe “recherche” comporte une trentaine de chercheurs seulement : « Ils poussent le lancement de programmes de recherche partout dans le monde », rapporte Greg De Temmerman (voir notre interview).

Masse critique. Une influence que constate également Thiéry Pierre : « la plupart des postes CNRS en plasmas chauds depuis dix ans sont pour des sujets liés à ITER ». Ce qu’il estime « catastrophique pour la discipline » car cela « réduit le champ des recherches à de la physique appliquée au cas très pointu des tokamak (…) alors qu’il y a d’autres applications en médecine ou pour la fabrication d’hydrogène.

Le tore tue-t-il ? ITER reste une motivation pour Yannick Marandet : « Depuis le début de la phase d’assemblage cette année, le projet ITER devient concret, c’est la perspective de participer à un grand projet de type CERN. » Cette comparaison revient d’ailleurs souvent, même si le projet est bien mieux accepté dans la communauté scientifique – parce que plus fondamental ?

Martingale. Et s’il fallait mettre encore plus d’argent ? Certains physiciens le pensent, comme Yannick Marandet : « Le projet ITER peut paraître très cher, oui, mais ce n’est pas un effort démesuré à l’échelle de la société si on le compare au programme Apollo ou aux Jeux olympiques… et les retombées sociétales peuvent être très importantes. » Et vous, paririez-vous dessus ?
ITER est-il si vert ? 

L’absence de source d’énergie fiable et sans impact sur le climat est un argument phare de la communication d’ITER ou des start-up du secteur. Mais la fusion nucléaire serait loin d’être parfaite, argumente le physicien à la retraite Daniel Jassby. Au menu : une consommation d’électricité importante uniquement pour la structure (cryostat, pompe à vide…), la production de tritium, pour l’instant issu de la fission, encore à résoudre. Mais aussi la problématique des déchets radioactifs — en moindre quantité que dans la fission, certes —, ainsi que les besoins en eau pour le refroidissement, sans compter le stockage de la gigantesque quantité de données nécessaire au projet ou les matériaux impactant l’environnement. Reste l’espoir que des solutions seront trouvées en cours de route.
Les pères de la fusion 

Hans Bethe  A la suite des travaux d’Eddington dans les années 1920, cet astrophysicien met en équation la réaction de fusion ayant lieu dans les étoiles, libérant ainsi de l’énergie. Cette découverte datant de 1939, et d’autres, lui vaudront le prix Nobel en 1967. 

Ernest Rutherford Père de la physique nucléaire, il est à l’origine des premières expériences de fusion entre 1932 et 1934 avec Mark Oliphant, dans son labo de l’université de Cambridge : deux atomes d’hydrogène fusionnent en un atome d’hélium. 

Lyman Spitzer La légende raconte que c’est après avoir lu une fake news provenant d’Argentine, selon laquelle des chercheurs auraient réussi à produire de l’énergie grâce à la fusion, que cet astrophysicien aurait proposé en 1958 une machine à fusion, le Stellerator. 

Andrei Sakharov Avec Igor Tamm, il est l’inventeur en 1949 du tokamak ou “bouteille à plasma”, à partir de l’idée d’Oleg Lavrentiev. Le secret ne sera partagé qu’en 1968, à fin de la Guerre froide. Aujourd’hui, c’est la technologie qui a bénéficié du plus d’investissement.
 

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