Jean Frances et Stéphane Le Lay : « Dans MT180 la compétition efface la coopération »

— Le 3 décembre 2021
Les deux sociologues Jean Frances et Stéphane Le Lay ont écumé le concours de Ma Thèse en 180 secondes. Ils développent dans leur ouvrage Ma thèse en 180 secondes, quand la science devient spectacle leur analyse critique.

Le concours MT180 est-il le révélateur d’une évolution du doctorat ?

JF Ce n’est pas un révélateur mais il s’inscrit dans un mouvement plus large et y participe : aujourd’hui, le doctorat n’est plus que la réalisation de travaux de thèse mais correspond aussi à une scolarité avec la formation et la validation de compétences. C’est dans ce cadre que les doctorants sont amenés à la communication, qui devient ici “promettante” [la promesse d’applications pourtant éloignées de leurs travaux, NDLR]. Le tout est légitimé par les institutions qui soutiennent ce concours – qui aurait été déconsidéré dans les années 1990.

SLL D’un côté, on attend des jeunes docteurs qu’ils soient affutés, de plus en plus brillants, bref, meilleurs qu’il y a quinze ans. De l’autre côté, MT180 banalise le rapport à la recherche. Cet aspect contre-intuitif crée une mise en tension.

Le bénéfice revient-il plutôt aux doctorants ou aux institutions ?

SLL Au départ, on peut penser que ce sont les doctorants qui en bénéficient car ils sont sous les projecteurs, présentent leurs travaux et sortent de l’isolement. Mais certains candidats qui sont allés loin dans le concours témoignent avoir eu le sentiment après coup d’avoir été instrumentalisés à des fins d’images [l’étude des sociologues se déroule en pleine création des Comue, NDLR]. Donc finalement, ce sont plutôt les acteurs institutionnels qui en bénéficient en montrant leurs doctorants.

JF La plupart des doctorants sont satisfaits de la formation à la communication mais moins du rôle qu’on leur demande de jouer. Ils se rendent compte a posteriori qu’ils se sont pris au jeu et en sont venus à une communication promettante.

Pousse-t-on les doctorants à un comportement contraire à l’éthique ?

JF Oui. Pas le format en lui-même – on demande juste au doctorant de faire de la vulgarisation – mais l’exacerbation de la compétition en est la cause. Et cela s’insère dans un contexte où la compétition pour l’obtention des moyens afin de mener ses recherches, qui deviennent de plus en plus rares, incite à des comportements contraires à l’éthique. Les candidats arrivent en général dans le concours sans cynisme mais réalisent que s’ils veulent gagner, ils doivent se débarrasser de certaines règles d’éthique. 

SLL La compétition interindividuelle efface la coopération. En recherche, on ne peut pas travailler seul mais le format du concours pousse à se mettre en avant. Certains candidats mettent “nous” et “équipe” dans leur topo ou sur leur diapositive mais la tendance est plutôt de se montrer comme un chercheur brillant et solitaire.

Comment voyez-vous le futur du concours ?

SLL Certains prédisaient que le concours allait mourir au bout de deux ans mais, huit ans plus tard, il continue à être suivi. Les candidats mentionnent même leur participation dans leur CV, sur LinkedIn ou dans des articles scientifiques. Le concours MT180 a pris une place à part entière dans la gestion de carrière.

JF Le format “trois minutes” tend à se déployer : les présentations courtes deviennent un standard auquel il faut savoir répondre car il est jugé pertinent, notamment par les ressources humaines.

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