C’est en toute discrétion que la naissance du contrat doctoral de droit privé crée un précédent. Instauré par un décret de septembre 2021, il donne la possibilité aux établissements de type EPIC (CEA, Onera, BRGM…) ou EESPIG (certaines écoles de commerce ou d’ingénieurs) mais aussi aux fondations et aux entreprises d’embaucher des doctorants dans le cadre de leur formation. Se pose immédiatement une question : quid du suivi académique de la qualité des recherches ?
Grand saut et petits pas. Moins contraignant que le dispositif Cifre qui impose qu’une partie des recherches soit effectuée au sein d’un laboratoire académique avec un directeur de thèse rattaché à une école doctorale, le contrat doctoral de droit privé permet de fait que les travaux soient menés à 100% dans une unité de recherche privée – c’est écrit noir sur blanc dans l’article 2 du décret. Pour l’encadrer, une convention de collaboration devra être établie entre l’employeur, l’université d’inscription et le doctorant ; le suivi devra être assuré par une école doctorale.
Privés mais de quoi. La mesure soulève tout de même de vives oppositions côté académique et cela depuis le départ, comme en témoigne Boris Gralak, du Snesup-SNCS : « Alors que les labos publics sont évalués par le Hceres [Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, NDLR], leurs pendants privés échappent totalement à cette évaluation académique, ne garantissant pas la qualité des recherches qui y sont effectuées, ce qui est problématique pour les doctorats qui y sont préparés ».
Frères ennemis. Pour d’autres, comme Christophe Bonnet du Sgen-CFDT, ces contrats offrent l’opportunité de renforcer les liens entre recherche publique et privée. Cette latitude donnée aux entreprises par rapport aux thèses Cifre (convention industrielle de formation par la recherche), Clarisse Angelier, déléguée générale de l’ANRT, voit cela d’un bon œil. L’éventuelle concurrence aux Cifre ne l’inquiète pas plus que ça car les entreprises restent « très gourmandes » d’un dispositif qui leur permet de faire de belles économies. Pourtant, si les craintes se cristallisent autour de ces doctorats en entreprise, la justification de ce nouveau contrat s’est faite sur le dos des EPIC. La ministre Frédérique Vidal l’affirmait d’ailleurs lors des discussions à l’Assemblée : « Nous voulons (…) permettre aux EPIC de recruter des doctorants de façon sécurisée ».
L’exception et la règle. Faute de mieux, ces établissements passaient jusqu’à il y a encore quelques mois avec les doctorants des contrats de formation par la recherche de trois ans – une dérogation au code du travail qui limite la durée des CDD à 18 mois. Ces contrats représentent encore environ les trois quarts des doctorats au CEA, le reste étant de plus classiques contrats doctoraux de droit public. D’après Jean-Luc Zimmermann, chef du service Formation par la recherche et emploi scientifique au CEA, « le contrat doctoral de droit privé formalise une chose qui existe déjà au CEA ».
Post pandémie. Pour Sylvie Pommier, présidente du Réseau national des collèges doctoraux (RNCD), la Covid et la gestion cauchemardesque des prolongations ont montré le besoin de border juridiquement la situation. Ce contrat nouvelle génération, calqué sur le modèle du contrat doctoral existant depuis 2009, définit ainsi clairement les conditions de prolongations, d’activités complémentaires, de formation doctorale ou de suivi du doctorat (qui d’ailleurs vont évoluer, voir encadré). Quelques-uns ont déjà été entérinés, notamment dans les EPIC, mais le plus gros contingent arrivera en septembre… ce qui fait craindre quelques lenteurs au démarrage. Auparavant limitée aux cas de cotutelle et signée dans les six premiers mois, la convention de collaboration avec l’université, rendue obligatoire, devra être signée avant tous les contrats. Cette convention est d’ailleurs « le gros changement car elle associe explicitement ce contrat à une formation », explique Sylvie Pommier.
Comme on se quitte. Y mettre fin sera largement simplifié par rapport aux précédents contrats pour lesquels il fallait souvent justifier d’une faute professionnelle : « Si la formation s’arrête, il n’y a pas de licenciement », constate Sylvie Pommier. Pour Jean-Luc Zimmermann, « c’est plus sécurisant pour le CEA ». En ce qui concerne l’encadrement, les règles ne changent pas : fixées par l’article 16 de l’arrêté relatif au doctorat, la version de 2016 ne sera à priori pas modifiée, elles sont les mêmes que pour le contrat doctoral de droit public. Dans le cas général, le directeur ou un des co-directeurs de thèse doit être habilité à diriger des recherches et rattaché à une école doctorale.
Les petits caractères. Cependant, cet article 16 donne aussi de la souplesse, permettant exceptionnellement et sur proposition de l’école doctorale, que les fonctions de directeur de thèse soient exercées « par d’autres personnalités, titulaires d’un doctorat ». Si cette disposition a été pensée typiquement pour des maîtres de conférences sans HDR, affirme le ministère, notre source reconnaît également que l’arrivée du contrat doctoral de droit privé ouvre la porte à un doctorat réalisé dans le privé et uniquement encadré par un acteur privé. Mais, nuance-t-elle, le ministère recommandera cependant toujours aux écoles doctorales d’imposer la présence d’un directeur de thèse académique muni d’une HDR.
Ayez confiance. Les syndicats interrogés ne semblent pas s’inquiéter outre-mesure de ce détail – le point crucial étant pour eux le lieu où les recherches seront menées – et font confiance aux écoles doctorales : « On n’acceptera pas n’importe qui comme directeur de thèse ». Ce que confirme le RNCD. La qualité de ces doctorats sera donc garantie par les écoles doctorales placées par le ministère « au cœur de ce nouveau dispositif », comme l’analysait la Confédération des Jeunes Chercheurs dans son communiqué de mars. Celles-ci devront à la fois s’assurer des compétences d’encadrement de la thèse dans le privé mais aussi veiller à son bon déroulé – et on sait grâce à l’exemple des Cifre que cela peut ne pas être une sinécure.
Under pressure. Les écoles doctorales qui ne disposent la plupart du temps que d’une personne à temps plein vont bientôt devoir mettre en place la réforme du doctorat (voir encadré). La CJC se dit donc « perplexe » sur leurs capacités en temps et en moyens de garantir « l’absence de conflit d’intérêt dans l’ensemble des travaux de recherche » et « la bonne répartition du temps de travail de recherche / travail » pour les doctorants en entreprise. Les plus sceptiques resteront donc vigilants et les plus empathiques leur souhaiteront bonne chance.
Un arrêté enfin arrêté
Le projet de réforme du doctorat a finalement reçu une majorité favorable au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser). Il faut dire que les principaux points de tension (pré-soutenance à huis clos et rôle de sanction du comité de suivi, dont on vous parlait en janvier) sont passés à la trappe et que le conseil, réunissant représentants du ministère, des personnels de la recherche et des étudiants, a largement amendé le texte qui devrait s’appliquer en octobre ou novembre. Les grandes nouveautés ? Le comité de suivi voit son rôle de prévention et d’alerte renforcé avec l’obligation de comporter un membre extérieur à la discipline, indépendant du directeur de thèse et formé à ces problématiques. Les écoles doctorales devront également proposer aux encadrants des formations à la gestion des conflits, à la détection des situations de discrimination ou de harcèlement moral et sexuel ou d’agissements sexistes. On sent ici le résultat de la survenue dans le débat public de ces questions, sous l’impulsion notamment d’Adèle Combes que nous avions interviewée. Enfin, les conditions de prolongation du doctorat – le mot thèse ayant été banni de tout l’arrêté – évoluent légèrement à la faveur des doctorants. Concernant le serment des docteurs (relire notre article), critiqué depuis le début, le texte va être modifié. Nous y reviendrons bientôt.