Le physicien Jean Daillant qui dirige le synchrotron Soleil, un accélérateur de particules implanté sur le plateau de Saclay, est toujours dans l’expectative. Dans cette grande infrastructure de recherche, les dépenses d’électricité vont certainement tripler, avec des estimations comprises entre 12 et 15 millions d’euros pour 2023. Les factures avaient déjà augmenté de 3,5 à 4,8 millions d’euros en 2022 suite à la liquidation judiciaire de la société Hydroption gérant les contrats avec l’État.
« L’activité du synchrotron Soleil sera revue à la baisse »
Jean Daillant, synchrotron Soleil
Col roulé sur les tuyaux. La diminution de 10% des dépenses énergétiques décrétée par le plan sobriété du gouvernement est envisageable au synchrotron Soleil… mais pas sans effort. « Cela va affecter son mode de fonctionnement, avec une activité à la baisse », précise Jean Daillant. L’infrastructure consomme en effet 38 GWh par an – l’équivalent à la louche de 10 000 foyers –, dont une grande partie pour refroidir ses installations et une autre pour chauffer les bureaux l’hiver. « On va refroidir un peu moins, et couper un peu plus de choses lors des arrêts techniques », explique le directeur.
Coma léger. Lors du premier confinement de mars à mai 2020, l’accélérateur avait été plongé dans une sorte de « sommeil profond » un niveau de fonctionnement minimum consommant cinq à six fois moins d’énergie que la normale, avant de renouer avec un fonctionnement standard en juin 2020. Les conséquences d’une potentielle baisse de l’activité de Soleil d’ici la fin de l’année et en 2023 se feront sentir sur l’accueil des extérieurs dont il faudra prioriser les projets, mais également sur les recherches en interne.
« Nous n’avons pas connu d’interruption à cause de la Covid, au contraire ! »
Guillaume Harry, Idris
Calcul intense. Autre grande structure de recherche gourmande en énergie et présente sur le plateau de Saclay, l’Institut du développement et des ressources en informatique scientifique (Idris) est le principal centre du CNRS pour le calcul numérique. Celui-ci héberge notamment le supercalculateur Jean Zay qui bat des records. « Jean Zay a été pensé pour être le plus vertueux possible en termes d’efficacité énergétique », explique Guillaume Harry, responsable de la sécurité des systèmes d’information. La consommation d’énergie – 19 GWh sur l’année – est suivie de près et une partie de la chaleur dégagée est récupérée afin de limiter l’empreinte carbone du centre.
Si vis pacem… Mais cet hiver, en cas de pic de consommation à l’échelle de la région, il faudra certainement choisir entre chauffer les étudiants, faire tourner les labos ou refroidir les serveurs. Guillaume Harry et ses collègues de l’Idris en sont bien conscients et se tiennent prêts à baisser leurs activités au besoin. Si coupure il y a, les procédures sont rodées. La situation s’annonce donc bien différente de celle vécue en 2020, où l’activité avait pu être maintenue, même en plein cœur du premier confinement : « Nous n’avons pas connu d’interruption à cause de la Covid. Au contraire, la puissance de calcul était utilisée pour des recherches sur la Covid : simuler la propagation du virus ou des molécules chimiques », explique Guillaume Harry. Comme à Soleil, des recherches seront certainement ralenties, avec un arbitrage entre les projets qui reviendra aux comités de sélection.
« Ça fait du bien de questionner l’équilibre entre disponibilité et service rendu par les équipements »
François Godet, La Rochelle Université
Extinction des feux. À leur échelle, les labos de taille moyenne se préparent aussi. À La Rochelle par exemple, l’université les a prévenus que deux types de coupures sont à prévoir pendant les tranches horaires de forte consommation nationale : de plus de deux heures – pouvant entraîner la fermeture des bâtiments par sécurité – ou de juste quelques minutes. La perspective de coupures inopinées reste peu probable : elles seront à priori annoncées par la préfecture 72 heures à l’avance. La Rochelle Université a également sollicité son personnel de recherche afin d’inventorier les expériences et équipements qui doivent prioritairement rester allumés.
Redémarrage sensible. Responsable d’un ensemble d’appareils de caractérisation au sein d’un labo de sciences des matériaux à la Rochelle, François Godet réfléchit à optimiser l’emploi du temps des machines afin de grouper leurs utilisations et les mettre en veille à certains moments. L’arrêt – durant la nuit ou de courts congés par exemple – de ce genre d’équipements qui consomment plusieurs kilowatts de puissance n’est pas dans la culture des labos : « Certains instruments, innovants et peu robustes, sont parfois le produit d’une conception complètement en interne. Cela peut tenir de l’exploit d’arriver à les démarrer sans problème électronique ou mécanique », explique-t-il.
Sobriété heureuse. Les pratiques se voient remises en cause avec cette perspective de fin d’abondance et ce n’est pas pour déplaire à l’ingénieur de recherche : « Ça fait du bien de questionner l’équilibre entre disponibilité et service rendu par les équipements », confie François Godet, notamment en terme d’empreinte carbone, avec en tête des initiatives telles que Labos1point5 – relire notre numéro spécial sur le sujet. La crise énergétique risque donc fort de bouleverser la recherche et ses habitudes, pour le pire et, on l’espère, aussi pour le meilleur.
Des budgets au cordeau
La crise énergétique aura de fortes conséquences pour les universités – plus que dans les organismes de recherche –, annonçait France Universités lors de sa conférence de presse de rentrée. Le club des présidents d’université se veut confiant quant à la capacité des établissements à réduire de 10% les consommations d’énergie d’ici fin 2022. Mais pour la suite, les choses sont plus incertaines. Les estimations des budgets électricité pour 2023 explosent, avec des augmentations allant jusqu’à 500% dans certaines universités – relire notre article sur les budgets tiraillés entre les augmentations de salaire et l’inflation. Ce sont les fonds de roulement – sorte de trésor de guerre – qui vont être mis à contribution, sachant que certains établissements n’ont que le minimum obligatoire, c’est-à-dire quinze jours de trésorerie. Il y a vingt ans, l’université Paris Sud tirait la sonnette d’alarme après une augmentation de 45% en cinq ans du prix du chauffage et fermait ses portes aux étudiants. Aujourd’hui, même si la situation s’annonce pire et que des fermetures ont été évoquées, l’ambiance n’est pas encore à l’urgence, semblerait-il.