Laurent Mucchielli peut-il tout dire ?

— Le 10 septembre 2021
Libres de s’exprimer, les chercheurs ne doivent pas oublier la responsabilité qui accompagne leur autorité naturelle. L’affaire Mucchielli rappelle ce dilemme.

Vieux comme le monde. Des chercheurs qui dérapent, ça ne date pas d’hier. « La question est ancienne », confie Jean-Gabriel Ganascia, président du Comets, le comité d’éthique du CNRS. « Nous avons vu des cas de figures similaires avec Claude Allègre qui s’exprimait sur le changement climatique alors que ce n’était pas son domaine, ou bien Luc Montagnier sur la mémoire de l’eau. »

En vitrine. Mais au delà des questions de compétence et de légitimité, le problème que pose le cas de Laurent Mucchielli au CNRS est que ses travaux n’ont pas été soumis à la communauté : « C’est problématique de voir sur le site internet du laboratoire LAMES des articles présentés comme scientifiques alors qu’ils ne le sont pas. »

Pas d’exception. Pour l’informaticien Jean-Gabriel Ganascia, il y a clairement un manquement aux règles déontologiques : « Il faut distinguer l’avis du scientifique, justifié par des procédures propres à chaque discipline, de ses opinions personnelles. Et le problème n’a rien à voir avec la sociologie, qui n’échappe pas aux règles de relecture par les pairs. »

Hydroxychloroquine. L’an dernier, Laurent Mucchielli s’était pourtant prêté au jeu de la relecture pour un papier traitant de la collusion entre autorités sanitaires et industrie pharmaceutique, confortant les déclarations de Didier Raoult. Des sociologues réunis autour de Jérémy Ward, spécialiste des controverses vaccinales, avaient décidé de critiquer sur le fond l’article en rappelant le rôle des SHS.

Réflexivité. « Aujourd’hui, il n’y a plus de discussion scientifique possible car Laurent Mucchielli est sorti du cadre académique », déplore un des auteurs, Arnaud Saint-Martin. « Il est important de distinguer la posture de recherche de celle de l’investigation quasi journalistique et d’avoir l’honnêteté de situer son point de vue », affirme le sociologue.

Liberté avant tout. Mais pas de sanction en vue pour Laurent Mucchielli : « Le CNRS veut préserver la liberté d’expression des chercheurs et ne souhaite pas faire la police », explique Jean-Gabriel Ganascia. Le Comets prépare cependant un avis sur la communication scientifique en temps de crise sanitaire… et les devoirs des chercheurs à cet égard.

Chapeau ou béret. Avec toujours cette idée de séparer explicitement les casquettes, confirme le président du Comets : « Les chercheurs ont la liberté d’argumenter, en tant que chercheur, au sein de la communauté scientifique. Ils ont également la liberté d’exprimer leurs opinions dans le débat public mais en tant que simple citoyen, en précisant qu’ils s’expriment à titre personnel. » 

Diversion  L’affaire a pris également un tour politique : les polémiques sur l’islamo-gauchisme sont encore présentes dans les esprits. « La sociologie est constamment contestée et cette affaire n’aide pas. Il y a un désir de contrôle de la parole face à un agenda politique, ainsi qu’une mauvaise foi de la part de ceux qui dénoncent la cancel culture », analyse Arnaud Saint-Martin. « Et pendant ce temps, les bonnes enquêtes – c’est-à-dire l’écrasante majorité des productions – sont oblitérées. »
Chronologie de l’affaire Mucchielli 

Début août  Mediapart supprime un article du blog de Laurent Mucchielli hébergé sur sa plate-forme portant sur la mortalité des vaccins contre la Covid. Le sociologue, chercheur au CNRS, crie à la censure.

Mi-août  L’histoire s’envenime sur les réseaux sociaux ainsi qu’à l’intérieur de la communauté scientifique, via les médias. Huit sociologues – dont les fameux Gérald Bronner ou Nathalie Heinich – dénoncent dans le Monde une manipulation des données et un positionnement idéologique. 

Fin août 
L’affaire prenant de l’ampleur, le CNRS, qui avait seulement pris ses distances sur Twitter, finit par réagir officiellement mais sans citer le sociologue. Il « déplore les prises de position publiques de certains scientifiques, souvent plus soucieux d’une éphémère gloire médiatique que de vérité scientifique, sur des sujets éloignés de leurs champs de compétences professionnelles, comme par exemple sur la vaccination contre la Covid. »

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