Cinq ans après un premier sondage mené en pleine conception de la Loi de programmation de la recherche (LPR), le Collège des sociétés savantes académiques de France (CSS), comptant 84 institutions de toutes disciplines, a remis ça avec une consultation sur le financement de la recherche publique, dont voici les premiers résultats. Au total, début février dernier, en pleine polémique sur les keylabs (relire notre analyse sur le sujet), 2600 collègues de tous horizons ont consacré de 30 minutes à deux heures (!) pour les plus assidus afin de répondre à 280 questions. Le CSS l’a dévoilé en partie le lundi 30 juin dernier, avant que trois autres volets ne soient publiés : sur l’organisation de l’Enseignement supérieur et la recherche (ESR) à l’automne 2025, l’emploi scientifique cet hiver et les relations sciences et société au printemps 2026.
« Le système encourage une aversion au risque »
« Le système encourage une aversion au risque »
Sentiments nus. On ne va pas se mentir : les répondants à l’enquête manifestent de manière écrasante une insatisfaction vis-a-vis de la manière dont la recherche est financée aujourd’hui en France. Peut-on contester un ressenti ? Environ neuf collègues sur dix estiment que le système ne favorise pas — malgré les discours officiels — l’émergence de projets novateurs ou risqués et, de manière encore plus écrasante, qu’il n’est pas accueillant pour les jeunes chercheurs. Des propos de « losers » en marge de l’excellence scientifique ? Pas selon les résultats du Collège : en effet, si l’on croise ces réponses avec le fait pour chaque répondant d’avoir reçu les honneurs de sa discipline (médaille, prix international…), le taux d’insatisfaction plafonne toujours à 90%, sans changement notable. Pour Patrick Lemaire, biologiste montpelliérain et président du Collège, le système « encourage une aversion au risque, en opposition avec cette notion que les appels à projets permettraient justement d’en prendre ».
Entravé·es. Les appels à projets et, plus généralement, les turpitudes en termes de gestion et d’administration qu’entraînent le système (relire notre analyse sur le sujet) dans les labos préoccupent évidemment beaucoup les collègues : il sont même légèrement plus nombreux (près de huit sur dix) à considérer que ces « entraves administratives », pour reprendre le terme du conseil scientifique du CNRS, les gênent plus dans l’exercice de leur recherche qu’un manque de financement. Et la situation n’est pas perçue comme s’améliorant : depuis cinq ans, les répondants au sondage considèrent que ce fardeau s’est plutôt alourdi… avec des réponses légèrement différentes en fonction des établissements : le CNRS et les universités sont pointés du doigt, le CEA s’en sort mieux. Les promesses de simplification répétées des politiques (relisez notamment notre interview de Sylvie Retailleau) semblent donc ne pas avoir atterries.
Les chercheurs n’ont-ils que « Dieu pour supérieur hiérarchique » ?
Au calme, etc. Les indicateurs sont donc globalement au rouge, sans beaucoup d’éclaircie à l’horizon : ils sont une ultra minorité (moins de 5%) à considérer travailler plus sereinement qu’il y a cinq ans. Dans le même ordre d’idée, environ un répondant sur dix se sent poussé à plus d’ambition dans ses travaux avec en toile de fond un temps consacré à la rédaction de demande de financement en augmentation dans la majorité des cas. Ne nous en cachons pas : le sentiment général qui émane de cette enquête est celui d’une incompréhension voire d’une grande défiance entre la recherche et ses gestionnaires. Avec une conséquence mise en avant par les sondés : à la question « Avez-vous le sentiment que la recherche publique française décroche dans la compétition internationale ? », ils et elles sont plus de 60% à répondre « tout à fait » ou « un peu ». Avec en toile de fond une baisse perçue des effectifs et de l’attractivité du métier ainsi qu’un écart se creusant avec les conditions de recherche à l’étranger. C’était avant le raz-de-marée trumpien… mais quand même.
Pilote dans l’avion. Si les chercheurs n’ont que « Dieu pour supérieur hiérarchique », pour reprendre le bon mot d’un collègue (il se reconnaîtra), ils sont néanmoins attentifs au pilotage stratégique de la recherche publique par l’État… qu’ils estiment soit absent (40% environ), soit pour près d’un sur deux répondants limité à certains domaines technologiques, souvent à court et moyen termes et parfois mal à propos. En témoignent les commentaires libres (et anonymes) autour de la gestion des Programmes et équipement prioritaires de recherche (PEPR, relisez notre analyse) qualifiés ça et là « d’opaques », de « top-down », dont la mise en place aurait été faite « sans concertation avec les acteurs des communautés », relève le Collège… sans que l’on puisse attribuer ou non ces appréciations à des déçu·es des PEPR.
« Les scientifiques priorisent les problèmes de société, l’État la compétitivité et le prestige »
Collège des sociétés savantes
Sous et sous. Les scientifiques se perdent en conjectures depuis 25 ans sur la meilleure manière de convaincre les politiques de consacrer 1% du PIB à la recherche publique : il faudrait mieux faire reconnaître ses contributions (>80%), renforcer l’expertise scientifique au sein des institutions (environ 75%), former les élus à l’apport de la science dans les politiques publiques (environ 75%). Ça, c’est pour la théorie. Dans la pratique, les perceptions sont différentes : « Les scientifiques priorisent les problèmes de société, l’État la compétitivité et le prestige », résume le Collège de manière lapidaire : les collègues sondés mettent en avant l’adaptation au réchauffement climatique, la protection de l’environnement, la santé publique ou la décarbonation de l’économie comme étant leurs priorités… mais pensent que l’État se concentre uniquement sur les innovations technologiques et la quête d’excellence. Cinq ans après la Loi de programmation de la recherche (LPR), considérée par les plus optimistes comme un « rattrapage », le système de recherche n’a donc connu ni choc de financement ni choc de simplification, à écouter les premiers intéressés. Le contexte budgétaire pour 2026 n’incite évidemment pas à beaucoup plus d’optimisme pour les années à venir.