Le jour où la recherche s'arrêta




 



20 mars 2020 /// L’actu des labos


Fermé…
pour un temps


En début de semaine, dans la plupart des labos, c’était la fermeture : on arrête les manips, on éteint les appareils, on range, on nettoie…
Certains l’avaient anticipé en fin de semaine dernière mais la situation reste inédite. Et l’agitation fait maintenant place au silence.
Bonne lecture et bon courage,
Lucile de TMN


Si vous n’avez que 30 s



A partir d’ici 6 mn de lecture au calme


Des souris ou des hommes


Survie des animaux, sécurité des animaliers ou continuité des recherches, le confinement génère de nombreux dilemmes.


C’est une conséquence inattendue de la pandémie de coronavirus. « Quand arrivent les vacances ou un déménagement, en général on anticipe », témoigne Alexandra Gros, postdoctorante en neurosciences, « mais là, la situation est exceptionnelle ». Au sein de l’Institut des maladies neurodégénératives de Bordeaux, Alexandra conduit des expériences impliquant des rats. Jeudi dernier, le directeur de son unité avait anticipé le confinement mais les consignes ne sont officiellement tombées que lundi : les chercheurs doivent rester chez eux. Que faire alors des animaux ?
Charge de travail
Le bâtiment comporte une grande animalerie conçue pour trois instituts, la majorité des équipes travaillant avec des modèles animaux.
Alexandra avait seize rats. En temps normal, une dizaine d’animaliers s’occupent de la reproduction mais aussi des zones d’expériences et de la “laverie” – ils étaient déjà en sous-effectif. Durant le confinement, ils vont effectuer un roulement par binôme pour éviter la contamination de l’ensemble de l’équipe. « Il fallait donc diminuer au maximum le nombre d’animaux afin de diminuer la charge de travail », explique la chercheuse.


« En général on anticipe, mais là, la situation est exceptionnelle. »
Alexandra Gros, postdorante à l’Institut des maladies neurodégénératives de Bordeaux
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La biologiste retourne exceptionnellement ce vendredi au laboratoire pour sacrifier huit rats sur lesquels elle avait déjà commencé une expérience. Elle a obtenu une autorisation spéciale pour la mener à son terme jusqu’à vendredi. « Pour les expériences en cours, les animaux sont sous la responsabilité des chercheurs », donc elle se sent obligée de passer. Alexandra aidera les animaliers en effectif réduit à “sacrifier” les rats – une tâche déchirante –, et gardera les cerveaux congelés pour les étudier à la fin du confinement.
Contre mauvaise fortune
Eviter au maximum de sacrifier des animaux tout en soulageant les animaliers, c’est le dilemme des chercheurs. La décision de garder ses huit autres rats s’est faite en concertation avec le personnel de l’animalerie. « Ce ne sont que quatre cages, ils étaient d’accord. » Mais comment ces “vieux” rats pourront-ils être utilisés ? La solution d’Alexandra, c’est de mettre à profit la situation et « faire la même étude que je fais d’habitude avec de jeunes rats, mais avec des vieux ! »


« La moitié sacrifiée avec le fol espoir que ceux que j’ai opérés la semaine dernière pourront servir la science d’ici deux mois.  » 
Christopher Stevens, doctorant au Neurocentre Magendie à Bordeaux (Twitter)

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Cela s’est passé différemment au Collège de France. La chercheuse Armelle Rancillac déplore « un véritable massacre ». La population de 1 500 souris de son équipe a pratiquement été réduite de moitié et va sûrement encore diminuer. La direction demande de signaler les animaux que les chercheurs souhaitent absolument conserver. « La priorité, c’est de garder les lignées précieuses, que nous ne pouvons pas racheter », explique Armelle, « mais ça fait vraiment mal au cœur car on en prend soin, de nos souris… »

Accès limité
En cause, des effectifs réduits et l’impossibilité pour les chercheurs de soulager les personnels de l’animalerie : « Nous avions fait une liste de personnes – y compris des chercheurs – prêts à venir s’occuper des animaux, mais la direction n’a retenu que quatre personnes – au lieu de dix en temps normal. Et nos badges ne fonctionnent plus », regrette Armelle. En temps de crise, parfois, aucune solution n’est vraiment satisfaisante.  


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Trois questions antivirales à… Christian Gianese 


« Ca a été un crève-cœur d’arrêter les expériences »


Pour le responsable du plus grand liquéfacteur d’hélium de France, l’arrêt brutal des expériences signifie stocker une quantité gigantesque de ce gaz en un temps très court. 


Aviez-vous anticipé l’arrêt complet des expériences ? Oui, nous avions anticipé depuis une dizaine de jours. Il faut savoir que notre plateforme produit 400 000 litres d’hélium liquide par an. La moitié est pour l’institut Néel, le reste approvisionne des structures privées ou publiques dans toute la région. La récupération de l’hélium “chaud” [c’est-à-dire au-dessus de 4°K, NDLR] est cruciale étant donné que son prix a été multiplié par quatre en deux ans. 

Comment s’est passé l’arrêt ? Ca a été un crève-cœur d’arrêter les expériences à basses températures, souvent longues à mettre en place mais les chercheurs ont joué le jeu. Entre vendredi et lundi, 60 à 80 expériences ont été stoppées. Elles se réchauffent toutes au même moment et l’ensemble du gaz est ramené vers le centre de liquéfaction. Dans ces circonstances exceptionnelles, la question était : aurons-nous assez d’espace pour stocker tout cet hélium gazeux ? Nous avons eu de la chance car nous n’avions pas été ravitaillé récemment, nous pouvions donc tout stocker.
Il n’y a donc plus personne au labo maintenant ? Beaucoup de paramètres peuvent être suivis en temps réel de la maison mais pas tous. Tous les deux jours, une personne de notre équipe se rendra sur place. Le reste du labo est vide. J’ai fait le tour avec le directeur avant de fermer. D’habitude, même le weekend, on entend tous les appareils, les pompes à vide, qui fonctionnent. Là, c’était très impressionnant de voir ces 27 000 m² sans personne mais surtout sans aucun bruit ! Et sans savoir quand nous pourrons revenir…


Vous avez rendez-vous sur Discord


Mathilde, une doctorante très active sur Twitter, a crée un Discord doctorants. « Nous sommes 120 dessus, ça aide beaucoup. Toutes les disciplines sont représentées : informatique, biologie, science de communication, droit, matériaux … c’est génial ! » Discord accueille également une bibliothèque solidaire du confinement pour partager des ressources entre chercheurs.


Votre revue
de presse express



Et pour finir…

La distanciation sociale, les journalistes de New York Times l’ont mise en pratique dans leur maquette ! Une belle illustration du vide que cela crée autour de nous.