Peut-on rester neutres face au dérèglement climatique ?

— Le 22 octobre 2021
Chercheurs en sciences du climat, ils se sont longtemps astreints à une stricte neutralité. Ils questionnent aujourd’hui ce positionnement.

Science first. La stricte neutralité, c’est la posture à laquelle les chercheurs en sciences du climat s’astreignent traditionnellement lorsqu’ils communiquent vers le grand public. Il s’agit de transmettre les connaissances dans son domaine d’expertise, de réfuter les fake news, de présenter en toute transparence les incertitudes et les limites de nos recherches. Si diffuser les connaissances sur le changement climatique, comme le font par exemple le train du climat ou l’OCE, peut déjà être considéré comme une forme d’engagement, le discours reste factuel. C’est la crédibilité, la confiance entre chercheurs et citoyens qui est en jeu.

Légitime ou pas ? La dimension multidisciplinaire des sciences du climat est une difficulté. Celles-ci font intervenir des domaines très variés de la physique, de la chimie, de la biologie… Parler du changement climatique nécessite donc de sortir de son domaine d’expertise. Quelle légitimité a-t-on alors ? « Une grande force de notre discipline est l’existence du GIEC », explique Jean-Louis Dufresne, chercheur au LMD : « C’est une base pour diffuser des connaissances larges, issues d’un consensus scientifique, avec un discours argumenté et construit. ». “Science first”, c’est d’ailleurs aussi la posture du GIEC. Mais face à l’urgence climatique, cette posture est-elle encore tenable?

Un problème trop grave. Un élément déclencheur est souvent à l’origine de ce questionnement et d’un éventuel changement de posture, comme la tribune prônant la désobéissance civile face à l’inaction climatique, la lecture du livre « Why do we disagree on climate change », ou la parution du 6e rapport du GIEC. Derrière les progrès sur la quantification et la compréhension physique du changement climatique, l’essentiel est bien connu. Tout comme la Terre est ronde, le climat se réchauffe, c’est maintenant acquis. Faut-il continuer à le rappeler ou agir? « Le problème est trop grave pour se contenter de faire de la diffusion des sciences », affirme François Dulac, chercheur au LSCE.

Des solutions… Le déclencheur peut aussi tout simplement être les réactions du public quand on leur expose les résultats du GIEC : « C’est trop déprimant, les gens veulent savoir ce qu’il est encore possible de faire », dit François Dulac. Les questions du grand public dévient très rapidement vers les solutions. La posture de neutralité apparaît alors illusoire. “Même si le GIEC se veut policy-relevant  et non policy-prescriptive, quand il présente des scénarios insoutenables pour les écosystèmes et les communautés, c’est implicitement prescriptif », remarque Agnès Ducharne, chercheuse au METIS.

Mais lesquelles ? « Tout le monde est d’accord pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, le problème c’est comment », dit Jean-Louis Dufresne. Ce problème dépasse alors le cadre scientifique. Il fait intervenir des considérations économiques et sociales. La dimension systémique du problème ne peut pas être ignorée : le changement climatique est un problème parmi d’autres, comme la réduction de la biodiversité, la pollution, les inégalités sociales. « Le changement climatique est une opportunité pour réfléchir au projet de société », dit Eric Guilyardi, chercheur au LOCEAN. Et là, les chercheurs sur le climat n’ont pas toute l’expertise. Pire, la réponse n’est pas que scientifique : elle dépend de nos valeurs personnelles. Produire des solutions nécessite une co-construction entre experts de domaines variés et acteurs de la société, comme par exemple dans le projet Acclimaterra.« On ne peut plus faire l’économie de cette réflexion collective »

Alors, quelle posture ? Proposer des solutions, certains chercheurs se l’interdisent, pointant des questions de légitimité, de pertinence ou de crédibilité. D’autres se l’autorisent, à condition de préciser qu’ils parlent en tant que citoyen, pour éviter d’abuser de leur position de scientifique. Certains s’impliquent dans des initiatives militantes, comme le collectif Labos1point5. Mais clarifier son positionnement est une nécessité sur laquelle tout le monde s’accorde : « qui est-on, d’où vient-on, quelles sont nos motivations? », précise Eric Guilyardi. Comment choisir sa posture ? Ce dernier pointe la nécessité pour les chercheurs d’acquérir une culture sur les liens sciences-société : « On ne peut plus faire l’économie de cette réflexion collective ».

Camille Risi 

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