Pierre Ouzoulias : « Les scientifiques sont instrumentalisés »

— Le 15 avril 2020
Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine et archéologue au CNRS, est devenu par la force des choses la voix de l’opposition à la loi Recherche.

La France semble gouvernée par les scientifiques depuis maintenant un mois, c’est historique ! Est-ce un changement de mentalité ? 


Contrairement à ce qu’on nous explique, les décisions politiques sont prises… puis justifiées par la science. Aujourd’hui, les scientifiques sont instrumentalisés. Quand le président de la République prend la décision de passer trois heures avec Didier Raoult à Marseille, je doute qu’il ait demandé l’avis de son conseil scientifique avant. C’est désespérant. L’épidémie aurait dû être le moment de renouer le fil entre la République et ses savants, fil qui s’est rompu depuis un certain temps. Mais pour des raisons qui touchent à la fois aux finances, à une défiance générale contre la recherche publique mais aussi au statut de la science et de la vérité, cela n’a pas eu lieu. Un autre discours était possible.

Les millions débloqués pour la recherche contre le Covid-19 ne sont-ils tout de même pas une preuve d’intérêt ?


Il n’y a pas d’appel d’air budgétaire que ce soit sur la recherche médicale ou fondamentale sur le virus lui-même. Au contraire ! Mes collègues de Marseille [L’unité de virologie de Bruno Canard, NDLR] demandaient depuis 2016 un microscope cryogénique adapté à l’étude des virus dont Frédérique Vidal m’a assuré qu’il était disponible à Nice [université dont elle a été présidente, NDLR] mais que personne n’a retrouvé, c’est ballot. Or le microscope de Nice est de type photonique et toute autre discussion est renvoyée à l’examen de la LPPR… dont on ne sait pas si elle sera examinée un jour, selon ses propres dires. Il n’y a donc pas de changement.

Quand Emmanuel Macron fait ses annonces le 19 mars à l’institut Pasteur (lire notre numéro spécial. NDLR), personne ne l’y pousse, surtout dans ce contexte. Ne faut-il pas y voir tout de même un signe positif ?


Absolument… mais le budget qui l’accompagne discrédite le discours, avec cette annonce de 5 milliards en plus au bout de 10 ans. Souvenez-vous des demandes du premier groupe de travail LPPR : tous conviennent que pour rattraper le retard, il faut 5 milliards par an ! L’annonce d’Emmanuel Macron, c’est dix fois moins. On ne peut pas s’en satisfaire. De plus, la communication autour de ces annonces est très alambiquée. On parle de 400 millions dès 2021 pour toute la Mires [Que diable est la Mires ? NDLR]. Si c’est bien le cas, ce serait dérisoire. Prendre des engagements sur les mandatures suivantes tout le monde sait le faire. Or 2021 était la dernière année pleine pour ce gouvernement ; on aurait pu espérer un signal plus fort.

À lire aussi dans TheMetaNews