Postdocs, votre temps est compté

Trois petites années et puis s’en vont, ainsi font les nouveaux contrats de postdoc introduits par la loi Recherche (LPR). Leur mise en place dans les universités n’est pas exempte de difficultés ni de critiques.

— Le 29 septembre 2022

Vous avez fraîchement soutenu votre thèse ? Désormais, il vous faudra trouver un poste dans les trois ou quatre ans qui suivent ! C’est la philosophie du nouveau contrat de postdoc introduit par l’article 7 de la loi recherche fin 2020 et précisé par un décret – et un arrêté pour les rémunérations – de novembre 2021. Si la motivation première était certainement d’avoir un cadre juridique spécifique pour les postdocs, des bornes temporelles ont été clairement posées : « Le contrat post doctoral doit être conclu au plus tard trois ans après l’obtention du diplôme de doctorat », peut-on lire dans le texte de la LPR. Pour les plus chanceux, le contrat pourra être renouvelé sur une durée maximale de quatre ans. 

« Postdoc ne doit pas devenir un métier »

Sébastien Chevalier, enseignant-chercheur en mission au ministère

Lapin blanc. Trouver le bon tempo et s’assurer d’un nouveau contrat avant la date fatidique des trois ans sera donc le nouveau défi pour les jeunes chercheurs. Pour celles et ceux qui ont obtenu leur doctorat en 2019 et qui veulent signer un nouveau contrat cette année, c’est la douche froide, comme pour Julie B.*, en postdoc depuis trois ans. Son contrat prenant fin dans quelques mois, son chef a commencé les démarches en août pour lui en proposer un autre. Mais l’université leur a proposé à la place un contrat d’ingénieur de recherche, à leur grande surprise. Demandant des explications, ils ont appris tous deux l’existence de cette nouvelle disposition. Julie B.* a en effet soutenu sa thèse il y a trois ans et quelques mois.

Intrication. Cela pourrait paraître déconnecté mais c’est en fait bien relié : une passe d’arme a récemment eu lieu entre les organismes (CNRS, Inserm…) et les universités au niveau de la gestion des financements sur projet (ANR, ERC ou autres) dans les UMR. Si le CNRS reste le premier gestionnaire français des contrats européens, des universités telles que Sorbonne U, Aix Marseille ou Grenoble Alpes se retrouvent avec une part non négligeable du gâteau à gérer – les sommes en jeu sont considérables – suite à la signature de conventions cadres. 

Bricoman. Qui dit contrat de recherche, dit emploi de personnels en CCD, donc de postdocs. Ainsi, Sorbonne Université en embauche environ 350 par an. Or, contrairement aux organismes de recherche, les contrats de postdoc proposés jusqu’à présent par les universités relevaient un peu du “bricolage”, selon des sources bien placées, et manquaient d’un modèle stable. Certains des plus gros établissements ont donc fait le choix de ne plus embaucher que sur des contrats de postdoc “LPR”. Au grand dam de certains chercheurs.

« Cela pénalise les plus précaires »

Romain L.*, chercheur

Gazomètres. Romain L.* est typiquement dans ce cas. Chercheur en physique à l’interface avec la biologie dans une UMR CNRS-Sorbonne Université, il voulait recruter un postdoc expérimenté venant de l’étranger et lui faire bénéficier d’un salaire attractif. La gestion de son projet de recherche se faisait par Sorbonne U, il s’est tourné vers l’université puis a été très vite retoqué car le jeune chercheur avait plus de trois ans d’expérience après sa thèse. Pour Romain L.*, ce processus de recrutement est devenu une véritable « usine à gaz ». 

Pis-aller. En effet, le temps qu’une commission statue, la mise en place du contrat a pris du retard, laissant le jeune docteur sans salaire. « Cela pénalise les plus précaires », s’insurge Romain L.*. La même solution lui a été proposée : embaucher sur un contrat d’ingénieur de recherche (IR). Mais ce contournement n’est pas sans inconvénients pour les jeunes chercheurs : les grilles de salaire sont inférieures – d’au moins 100 euros par mois – et ces années ne seront pas comptabilisées de la même façon pour le calcul de leur ancienneté. « Cela pose des problèmes évidents d’équité », s’inquiète un cadre de l’administration d’une grande université. 

Justifications. Au sein de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP), Béatrice Noël, qui a également porté le projet de contrat postdoctoral de droit privé – relire notre enquête sur le contrat doctoral dans le même esprit –, explique la gestation de la mesure : « Face à l’accumulation de contrats de postdoc, l’objectif est de lutter contre la précarité ». « Postdoc ne doit pas devenir un métier » complète Sébastien Chevalier, enseignant-chercheur et en mission au sein de la même DGESIP. 

« Est-on la promotion crash test ? »

Julie B.*, postdoctorante

Génération sacrifiée. Mais cette limite de trois ans après le doctorat paraît déconnectée de la réalité pour beaucoup : « À l’étranger, il est très rare de trouver un poste permanent avant d’avoir fait typiquement cinq à dix ans de postdoc. On peut le déplorer mais en France les recrutements, notamment  en biologie, se font dans la même fourchette », analyse le chercheur Romain L.*. Julie B.* ne comprend pas non plus cette mesure qui arrive en pleine pénurie de postdoc, alors que l’âge de recrutement moyen en recherche biomédicale est de 37 ans. « Aux concours, les comités seront-ils prêts à recevoir des candidats n’ayant que trois ans d’expérience post-doctorat ? Est-on la promotion crash test ? ». 

Complètement non. « Ce nouveau contrat introduit par la LPR n’est pas une mesure protectrice », s’insurge également le bureau de l’ANCMSP (association nationale des candidat·es aux métiers de la science politique). En sciences humaines et sociales (SHS), les candidats auditionnés en 2020 aux concours avaient en moyenne soutenu leur thèse depuis quatre ans et les carrières se stabilisent plutôt aux alentours de 35 ans – sans compter tous les autres qui ne parviendront jamais à être titulaire dans la recherche. « Quel sera le devenir des personnes qui ne seront pas en poste après trois ans ? », s’interroge l’association. 

Expatriation. Alors, quelles solutions propose le ministère pour ces “vieux” docteurs ? « Pour ceux ou celles ayant dépassé la limite des quatre ans [trois ans plus un an en contrat, NDLR], il y a la possibilité de vivre une expérience dans une structure de recherche à l’étranger en postdoc  », répond Sébastien Chevalier, qui présente le CDD de mission comme une alternative. Ce contrat du troisième type permet en effet le recrutement de chercheur sur un projet de plusieurs années, leur laissant le temps de passer les concours… même si, aux dernières nouvelles, aucun établissement n’y a encore eu recours

« On ne pourra pas faire disparaître ces postdocs car la recherche ne peut pas faire sans eux »

Le bureau de l’ANCMSP

Basique anatomie. « Les effets mécaniques sont facilement anticipables, notamment des effets genrés », affirme le bureau de l’ANCMSP car la loi ne prévoit pas de soustraire de la période des trois ans un potentiel congé maternité : « Encore plus qu’auparavant, on va demander aux femmes entre 28 et 33 ans de choisir entre maternité et carrière ». L’aspect “course contre la montre” après le doctorat risque donc de s’accentuer, avec un décompte des années, mais aussi des heures de travail afin de dégager du temps pour faire sa recherche, publier, et garnir son CV. 

Protection renforcée. Une contrainte supplémentaire pour les postdocs en SHS est la “valorisation de la thèse” – généralement la publication sous forme d’ouvrage de son travail doctoral et la reprise de certains chapitres – qui peut leur prendre jusqu’à la moitié de leur temps de travail mais varie en fonction de la bonne volonté de leur employeur. Le bureau de l’ANCMSP regrette que le nouveau contrat de postdoc ne mentionne pas noir sur blanc ce genre d’aménagement pour plus de transparence et de sécurité.

Itinéraires bis. Le contournement de cette limite des trois ans par des contrats d’ingénieurs de recherche – qui sont normalement pour de l’appui à la recherche – va-t-il devenir la nouvelle norme ? L’ANCMSP observe « un déplacement du marché de l’emploi : de plus en plus d’offres d’ingénieur de recherche sont publiées ». Ce qui montre bien la nécessité pour les docteurs en recherche de poste de trouver des contrats mais également le besoin de personnels de recherche dans les labos : « On ne pourra pas faire disparaître ces postdocs car la recherche ne peut pas faire sans eux », analyse l’ANCMSP, alors qu’un manque de chargés de recherche et maîtres de conférences se fait cruellement ressentir, que ce soit dans les labos ou pour les enseignements. 

« J’y perdrai certainement, que ce soit en salaire ou autre. Mais j’accepterai le contrat que l’on me proposera »

Julie B.*, postdoctorante

Abnégation. Romain L.* a accepté d’embaucher son postdoc sur un contrat d’IR, à la condition qu’un indice supérieur à la normale lui soit attribué : « La personne recrutée est donc maintenant en poste avec un salaire raisonnable correspondant à son ancienneté », témoigne le chercheur, à moitié satisfait. De son côté, Julie B.* est toujours dans l’attente : « Je suis très inquiète car dans deux mois, je n’ai plus de contrat ». Présente depuis trois ans sur le projet, elle est enfin proche de la publication et ce n’est pour elle pas le moment de partir. Coincée, elle ne peut pas se permettre de faire la fine bouche : « Je ne me fais pas beaucoup d’illusion, j’y perdrai certainement, que ce soit en salaire ou autre. Mais j’accepterai le contrat que l’on me proposera pour finir ce travail, même s’il s’agit d’un sacrifice ».

* Les noms et prénoms ont été changé à la demande des interviewé·es.

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