Dix-huit mois mais pour quoi faire ?

Tout au décryptage de la parole présidentielle, les réactions fusent aux lendemains de la « séquence » élyséenne sur la recherche.

— Le 13 décembre 2023

L’événement était attendu depuis la mi-octobre, il a enfin eu lieu le 07 décembre dernier. Après quelques semaines d’un suspense somme toute mesuré puisque de nombreuses sondes avaient été envoyées ces derniers temps, dont le rapport Gillet (nous vous en parlions). L’heure de discours qu’a déclamé un Emmanuel Macron mi-humble mi-connivent devant un parterre de chercheurs n’a pas réservé de surprises majeures aux professionnels de la profession que sont les présidents d’établissements, organismes et universités en tête. Pas de bonnes surprises non plus côté postes ou financement de la science malgré l’annonce officielle du plan de recherche à risque, plusieurs fois repoussé (relisez notre enquête). La loi de programmation de la recherche (rappelez-vous) étant entérinée, le gouvernement estime avoir « rattrapé le retard » sur certains de ses voisins même si nous serions « largement derrière nos voisins allemands », reconnaît le premier intéressé. L’essentiel est ailleurs en ce début décembre : de la bouche même du PR, « on a un système qui est trop peu lisible et qui parfois gaspille des énergies par trop de bureaucratie rampante ». Quelles solutions ? Nous avons également interviewé Sylvie Retailleau sur ces sujets.

« Les agences de programme sont une bonne idée mais sans moyens, ce ne sont que des mots »

Alain Fischer, Académie des sciences

Meccano, toujours. Puisqu’il ne semble plus question d’investir massivement dans la recherche d’ici la fin de ce quinquennat, le PR propose de la réorganiser, dans la droite ligne des préconisations faites devant les président·es d’université en 2022. De fait, les représentants des universités ont applaudi des deux mains les demi-annonces faites sous les ors élyséens par la voix de leur principal lobby, France Universités qui, selon lui vont « dans le sens d’une confiance renouvelée ». Ces demi-annonces tiennent en quelques mots-clefs dont l’interprétation fera tout le sel de l’actualité des dix-huit prochains mois entre universités et organismes de recherche CNRS en tête : universités de chef de file, phase 2 de l’autonomie, agences de programmes… Auquel il faudrait ajouter celui de “simplification”. 

Action, réactions. Pour Michel Deneken, président du lobby Udice représentant les Idex et président de l’Université de Strasbourg, il s’agit carrément d’un « alignement de planètes, on entre dans l’âge de la stratégie », saluant le discours présidentiel mettant en valeur les universités en tant que « cheffes de file dans les territoires dans une logique de site ». Une pierre dans le jardin des organismes de recherche, en premier lieu le CNRS, dont le PDG Antoine Petit n’avoue néanmoins pas une grande inquiétude : « Le président de la République a souhaité que l’autonomie des universités soit renforcée, ce qui ne pourra que fluidifier et renforcer nos partenariats, essentiels dans l’organisation française de la recherche. Et si les organismes sont confortés dans leur rôle de chefs de file de la politique nationale, il est cohérent que les universités soient cheffes de file sur leur territoire », écrivait-il dans un message diffusé en fin de semaine aux agents CNRS.

« Les CPJ, les PERP, c’est peut-être génial mais où est l’évaluation ? »

Patrick Lemaire

Fluctuant nec mergitur. « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément », disait Boileau. Pourtant le rôle même des agences de programmes, tel qu’énoncé dans le discours du PR, semble encore fluctuant. S’il ne s’agit sur le papier que de “flécher” certaines thématiques au sein des organismes nationaux, Emmanuel Macron a pourtant déclaré que « si on veut simplifier nos structures, vous aider à terrasser la bureaucratie, faisons des vraies agences de financement qui arrêtent de gérer directement les personnels », ce qui semble bien différent. Transformé en agence de  programme, le CNRS coordonnera les recherches sur le climat, la biodiversité et la société durable, en lien avec l’Ifremer et l’IRD. L’INRAE s’occupera de développement durable, d’agriculture, d’alimentation durable, des forêts, des ressources naturelles. Les énergies décarbonées, le numérique, le logiciel seront dévolus à l’INRIA, la santé à l’INSERM, les composants aux systèmes et infrastructures numériques au CEA, le spatial au CNES.

Agences tous risques. Cette “surcouche” de gestion opérée par les organismes est accueillie avec un scepticisme dû à leur caractère encore très abstrait : « Les agences de programme ne seront pas la solution. Sans être passéiste, les laboratoires ont besoin de budgets récurrents. Le fonctionnement des agences de programme n’est toujours pas clair. Comment faire la part des choses avec les missions propres des organismes ? C’est le mal français habituel, on crée une nouvelle couche », analyse Pierre Ouzoulias, sénateur PCF des Hauts-de-Seine et historien au CNRS. Pour Alain Fischer, président de l’Académie des sciences, « les agences de programme sont une bonne idée mais sans moyens, ce ne sont que des mots ». L’absence de budget dédié à ces nouvelles missions revient souvent parmi les critiques. Pour Patrick Lemaire, président du Collège des sociétés savantes académiques de France, « il y a un problème de méthode, le président parle à des scientifiques d’évaluation or il en faut aussi pour les politiques publiques. Les CPJ, les PERP, c’est peut-être génial mais où est l’évaluation ? Beaucoup de travaux existent sur l’organisation des systèmes de recherche, le président de la République ne devrait pas les ignorer ».

« Si vous dites que vous allez changer les statuts (…) ça va être tout de suite la bronca »

Emmanuel Macron

Statuts, statues. Tout à sa faconde, Emmanuel n’a néanmoins pas pu s’empêcher de faire du Macron avec une sortie qui semblait improvisée : « elle [Sylvie Retailleau] m’a dit “si vous dites que vous allez changer les statuts (…) ça va être tout de suite la bronca. Tout le monde va se mettre en travers, on n’arrivera à rien faire.” Donc je n’ai pas dit qu’on allait réformer les statuts. Mais à la fin des fins, qu’est-ce qu’on veut ? (…) Je suis incapable de dire au fond s’il faudrait 100% de temps de recherche pour la même personne tout au long de sa vie et c’est sans doute une stupidité absolue de notre système. Les statuts ne sont pas des protections, ce sont devenus des éléments de complexité. Donc moi, je vous invite très sincèrement (…) à les changer vous-mêmes ». « C’est l’équivalent de “il suffit de traverser la rue pour retrouver un emploi”, je me sentais assez mal pour Sylvie Retailleau », nous confie Patrick Lemaire.  « J’ai le sentiment que le président, derrière la private joke, nous dit de ne pas avoir de tabou. La question des statuts va se poser à terme si on va au bout des choses, ça ne se règle pas en dix-huit mois », réagit Michel Deneken. Du côté des syndicats, les réactions sont évidemment beaucoup moins mesurées.

Réjouissances. Du côté du SNCS-FSU, « cette séquence du discours du président de la République est particulièrement choquante, avec un mélange de provocation, d’ironie et d’attaques, sans même parvenir à délivrer un message clair » et demande à Sylvie Retailleau une clarification rapide (qu’elle esquisse dans l’interview qu’elle nous a accordée). Ce besoin de clarification, la CFDT l’exprime aussi : « En réalité, la manière dont sont formulées les annonces présidentielles sont extrêmement floues et nous avons un besoin urgent d’éclaircissements ».  D’urgence, il sera en effet question dans les prochains temps, le président de la République ayant donné dix-huit mois au système pour se réformer et se simplifier de fond en comble. « Le vrai problème, ce ne sont pas les UMR ou des logiciels moisis mais la complexité des sources de financement et des règles comptables qui font exploser en vol les personnels administratifs », conclut Patrick Lemaire. Serez-vous en mesure de prendre simplement un billet de train d’ici l’automne 2025 ? Suspense.

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