🍀 Dans la peau d'un rĂ©fĂ©rent intĂ©gritĂ©



19 novembre 2021 | La recherche et sa pratique 
Toujours
la confiance

Vous n’avez jamais rencontrĂ© votre rĂ©fĂ©rent intĂ©gritĂ© scientifique ? C’est peut-ĂȘtre une bonne chose – cela signifie que vous n’avez jamais Ă©tĂ© impliquĂ© dans une affaire de mĂ©conduite.
TheMetaNews a plongĂ© dans leur quotidien et la gestion de ces affaires plus ou moins spectaculaires et vous offre une longue interview de l’un d’entre eux : RĂ©my Mosseri, rĂ©fĂ©rent Ă  l’intĂ©gritĂ© scientifique du CNRS depuis 2018.
« C’est une mission passionnante et les enjeux sont de plus en plus importants, notamment autour de la confiance des citoyens envers la science, mais aussi celle entre chercheurs », me confiait Alexandre Serres, rĂ©fĂ©rent de l’universitĂ© Rennes 2.
Une confiance en la science qui reste heureusement Ă©levĂ©e d’aprĂšs une Ă©tude rĂ©cente de l’universitĂ© de Lorraine et su Gemas. Autre rĂ©sultat important, les scientifiques inspirent largement plus confiance que les politiques – ouf !

A trĂšs vite,
Lucile de TMN

 PS.  Le dĂ©sordre informationnel sera le thĂšme d’une journĂ©e Sciences, recherche et sociĂ©té organisĂ©e vendredi 26 novembre au ministĂšre. Laurent et moi-mĂȘme animerons deux tables rondes sur les solutions Ă  y apporter.


Au sommaire de ce numéro
  • Les rĂ©fĂ©rents intĂ©gritĂ©, enquĂȘteurs de l’ombre
  • RĂ©my Mosseri, une interview au long cours
  • Les laurĂ©ats sont de plus en souvent des laurĂ©ates
  • Des infos en passant
  • Votre revue de presse express
  • Et pour finir avec un rhinocĂ©ros sur un skate



A partir de ce point, cinq minutes de lecture



Les enquĂȘteurs de l’ombre


Mais qui sont les rĂ©fĂ©rents Ă  l’intĂ©gritĂ© scientifique ? Petit tour d’horizon français.




Justiciers mais pas masqués
Avant-garde. Les rĂ©fĂ©rents Ă  l’intĂ©gritĂ© scientifique (RIS pour les intimes) sont apparus depuis la circulaire Mandon de 2017 et ce vadĂ©mĂ©cum qui en fixe ses contours, mĂȘme si certains postes Ă©quivalent existaient auparavant. Ils sont aujourd’hui 170 en France, rien n’obligeant pour le moment un Ă©tablissement Ă  en possĂ©der un. 
A mon signal. Les situations sont disparates. A l’universitĂ© de Rennes 2, Alexandre Serres, RIS de son Ă©tat, a reçu quinze signalements en quatre ans. Le CNRS dispose quant Ă  lui d’une Ă©quipe de cinq personnes avec Ă  sa tĂȘte RĂ©my Mosseri (en interview â–Œ) pour gĂ©rer les quelques 125 signalements dĂ©posĂ©s en trois ans.
MĂ©thode maison. Une hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© qui se retrouvent Ă©galement dans les pratiques, qu’essaie de pallier le RĂ©seau national des rĂ©fĂ©rents Ă  l’intĂ©gritĂ© scientifique Ă  grand renfort de documentation et de sĂ©minaires. Alexandre Serres tĂ©moigne :
« Lorsque j’ai pris mes fonctions en 2018, c’Ă©tait le flou total sur les procĂ©dures de traitement des dossiers ».
ProtĂ©ger et sĂ©vir. « Notre rĂŽle n’est pas celui de mĂ©diateur mais d’Ă©tablir la rĂ©alitĂ© des faits et de les expertiser en termes d’intĂ©gritĂ© scientifique », affirme Alexandre Serres. Revient ensuite au chef d’établissement la dĂ©cision d’éventuelles sanctions.
« Il y a eu beaucoup d’impunitĂ© sur le plagiat en France, nous avons le devoir d’ĂȘtre plus ferme ».
Confortez-les. D’aprĂšs une Ă©tude menĂ©e par l’IRAFPA sur les RIS en France, ces derniers manquent de confiance en eux, en partie Ă  cause du manque de soutien et de moyens, notamment sur l’accĂšs Ă  l’information et au dialogue avec les chercheurs. Le turnover est assez grand dans ce genre de fonction.
Dark side of the… Certains rĂ©fĂ©rents vivent une vĂ©ritable crise existentielle une fois confrontĂ©s Ă  la face noire du mĂ©tier de chercheurs que beaucoup ne voient (ou ne veulent pas voir). L’IRAFPA pointe Ă©galement l’absence de formation et mĂȘme de critĂšres prĂ©cis de recrutement des rĂ©fĂ©rents par les Ă©tablissements.
Incorruptible. Une bonne connaissance de l’Ă©tablissement et des disciplines couvertes est importante pour Alexandre Serres, « mais il faut surtout ĂȘtre impartial et avoir de la distance par rapport aux enjeux internes : on ne peut pas ĂȘtre directeur de labo par exemple. L’Ă©mĂ©ritat permet tout cela en mĂȘme temps ». De fait, un tiers des RIS est Ă©mĂ©rite.
 Et la transparence, dans tout ça ?  Les rĂ©fĂ©rents dĂ©fendent la plus stricte confidentialité durant l’enquĂȘte qui leur permet d’Ă©viter les pressions mais plaident pour une procĂ©dure transparente : « Tous les chercheurs doivent voir comment nous travaillons ». C’est d’ailleurs un des points du dĂ©cret Ă  paraĂźtre prochainement (voir encadrĂ© ci-dessous).


Un décret qui se fait attendre
C’est un peu passĂ© inaperçu mais l’article 16 de la loi recherche (votĂ©e il y a un an dĂ©jĂ ) appelait Ă  l’écriture d’un dĂ©cret sur l’intĂ©gritĂ© scientifique. Si sa parution est toujours attendue, un projet de dĂ©cret prĂ©voit :
  1.  Une reconnaissance officielle  des rĂ©fĂ©rents Ă  l’intĂ©gritĂ© scientifique, enfin inscrits dans la loi, et l’obligation pour tous les Ă©tablissements d’en possĂ©der un,
  2.  Une dĂ©tection des manquements “favorisĂ©e”  par les Ă©tablissements (et non systĂ©matique) – ouf, les RIS ne devront pas passer leurs journĂ©es Ă  scruter Pubpeer,
  3.  Un dĂ©lai « raisonnable » d’enquĂȘte  qui reste flou et, selon les rĂ©fĂ©rents intĂ©gritĂ© eux-mĂȘmes, est aujourd’hui difficile Ă  contracter (voir l’interview de RĂ©my Mosseri â–Œ),
  4.  Une possibilitĂ© de dĂ©port en cas de conflit d‘intĂ©rĂȘts  si des chercheurs du mĂȘme laboratoire que le rĂ©fĂ©rent intĂ©gritĂ© ou carrĂ©ment la gouvernance de l’établissement sont impliquĂ©s. 
Soumis au vote du Cneser le 12 octobre, le dĂ©cret encore en suspens a Ă©tĂ© rejetĂ© par les syndicats car il ne rĂ©pondait pas Ă  leurs attentes : protection insuffisantes des lanceurs d’alerte mais aussi des accusĂ©s selon la CFDT voire crainte de restriction des libertĂ©s acadĂ©miques pour FO – dĂ©gĂąt collatĂ©ral du faux dĂ©bat sur l’islamogauchisme. MalgrĂ© ces critiques, tout porte Ă  croire que le texte restera en l’état. 


Vous voulez réagir ? On vous lira

Une interview au long court de… RĂ©my Mosseri


« Une investigation sérieuse prend du temps »


Physicien, RĂ©my Mosseri est le rĂ©fĂ©rent Ă  l’intĂ©gritĂ© scientifique du CNRS depuis 2018.




Quel genre de cas rencontrez-vous ? Est-ce difficile d’enquĂȘter ?
On se rĂ©fĂšre souvent Ă  la trilogie FFP [Fabrication, Falsification, Plagiat, NDLR] Ă  laquelle s’ajoute un ensemble de pratiques dites « discutables » qui sont souvent moins graves, mĂȘme si les personnes touchĂ©es les ressentent vivement. Nous rencontrons tous ces types de mĂ©conduites, mĂȘme s’il faut le dire – et c’est tant mieux – que les cas graves sont rares. Une bonne moitiĂ© des cas correspondent Ă  des collaborations qui ont mal fini, le contenu, les places dans les publications ou l’utilisation des donnĂ©es est alors disputĂ©. Ces cas-lĂ  sont souvent complexes Ă  traiter car il faut dĂ©mĂȘler ce qui relĂšve d’élĂ©ments partagĂ©s avant la querelle de ce qui vient ensuite. Et, oui, il peut ĂȘtre difficile d’obtenir des informations pertinentes, ce qui ralentit les investigations. Un bon tiers des cas relĂšvent du plagiat potentiel. Enfin, les sciences de la vie reprĂ©sentent la moitiĂ© des cas – une part supĂ©rieure Ă  leur proportion au sein du CNRS –, ce qui mĂ©riterait une analyse pour essayer d’en expliquer les raisons. 
Les chercheurs connaissent-ils assez l’existence et le rĂŽle des rĂ©fĂ©rents intĂ©gritĂ© ? 
L’image des rĂ©fĂ©rents intĂ©gritĂ© est, je crois et j’espĂšre, plutĂŽt bonne, en tout cas auprĂšs de ceux qui nous connaissent. Nous rĂ©pondons Ă  toutes les invitations pour prĂ©senter nos missions, nous passons notre temps Ă  parler aux chercheurs, notamment via la communication du CNRS. J’insiste toujours sur le fait que le respect de l’intĂ©gritĂ© scientifique est une condition importante pour maintenir la confiance, que ce soit entre chercheurs mais Ă©galement auprĂšs du grand public. Nous nous sommes demandĂ© si le fait de beaucoup communiquer en interne ouvrirait une boĂźte de Pandore mais la frĂ©quence des signalements a peu Ă©voluĂ© depuis trois ans. Je voudrais par ailleurs prĂ©ciser que je suis toujours chercheur : je consacre 60% de mon temps Ă  mon rĂŽle de rĂ©fĂ©rent et le reste Ă  mon activitĂ© de recherche.
Qu’attendez-vous des dĂ©crets d’application de la loi recherche ?
La LPR parlait d’intĂ©gritĂ© mais se concentrait sur les rĂŽles du HcĂ©res, et par lĂ  de l’Ofis, sans Ă©voquer ceux des rĂ©fĂ©rents intĂ©gritĂ© scientifique – alors que le rapport de l’OPESCT s’y attardait. Je craignais donc au dĂ©part une approche par trop descendante et, comme beaucoup, je souhaitais que les rĂ©fĂ©rents, aujourd’hui dĂ©finis uniquement par une circulaire, soient inscrits dans la loi, comme c’est le cas pour nos collĂšgues rĂ©fĂ©rents dĂ©ontologues. Nos voix semblent avoir Ă©tĂ© entendues, Ă  la lecture du projet de dĂ©cret d’application de la LPR, et c’est tant mieux.


Lisez l’interview en intĂ©gralitĂ©

Un chiffre qui en dit long
 1 sur 5 
Voici la proportion de femmes parmi les laurĂ©ats des plus grands prix internationaux (140 au total) sur la pĂ©riode 2016-2020 d’aprĂšs une Ă©tude publiĂ©e dans Quantitative Science Studies. Une proportion en nette augmentation car elles n’étaient que de 6% entre 2000 et 2005


 Des infos en passant  AprĂšs “ma thĂšse en 180 secondes”, “ma recherche en une minute” ! En collaboration avec l’entreprise Merck KGaA – dont on se demande un peu ce qu’ils viennent faire lĂ  –, Nature lance Science in Shorts, des vidĂ©os courtes pour ceux qui ont publiĂ© dans Nature depuis un an //////// Les femmes seraient moins citĂ©es parce qu’elles privilĂ©gient des avancĂ©es sociĂ©tales plutĂŽt que des avancĂ©es purement scientifiques, concluent deux chercheurs //////// Trois rencontres en janvier et fĂ©vrier prochains autour du logiciel libre par le ComitĂ© pour la science ouverte du ministĂšre //////// La recherche sous contraintes (en Cifre par exemple) est le thĂšme d’un appel Ă  contribution ouvert jusqu’au 26 novembre //////// 


//////// La science ouverte sur le terrain et pas que dans des textes venus d’en haut ? Datactivist met Ă  disposition un kit pour crĂ©er des groupes locaux s’insĂ©rant dans le rĂ©seau des Open Science Communities //////// AprĂšs la science ouverte, la chimie ouverte : le chercheur Luke D Lavis raconte dans un article dans eLife comment il en est venu Ă  distribuer gratuitement ses colorants Ă  la communauté //////// Difficile d’ĂȘtre vraiment impartial quand on est reviewer
 le reconnaĂźtre est une premiĂšre Ă©tape, argumente l’édito de Nature Plants //////// L’encadrement des doctorants fait perdre le sommeil des directeurs de thĂšse, montre une Ă©tude britannique. MalgrĂ© l’augmentation de la charge de travail, les chercheurs trouvent la tĂąche trĂšs gratifiante ////////


Votre revue de presse express



Et pour finir

—
DĂ©cidĂ©ment, les crĂ©ateurs d’affiches des transports en commun (souvenez-vous, celles-ci) n’ont pas les sciences dans la peau. Antoine, physicien, se demande quelle propriĂ©tĂ© physique se cache derriĂšre cette Ă©quation qui n’a rien « d’homogĂšne ». De notre cĂŽtĂ©, on est curieux de savoir depuis quand les rhinocĂ©ros font du skate.