Thierry Galli : « On entend parler d’excellence mais pas de rigueur »

— Le 16 mai 2019
Comment monter un institut de A à Z et l’amener au plus haut niveau dans une discipline émergente ?

Thierry Galli, fondateur de l’Institut de psychiatrie et de neurosciences de Paris (IPNP) qui a emménagé il y a quelques mois, en a une petite idée, tout comme sur le recrutement et l’évaluation des chercheurs. Interview.

L’IPNP est un tout jeune institut, comment avez-vous recruté les chercheurs qui le composent aujourd’hui ?


Cela s’est fait de la façon suivante : l’unité Inserm était alors en bout de course et la mission qui m’était confiée par les tutelles (Inserm et Université Paris-Descartes) était de la replacer sur la scène internationale de la recherche en psychiatrie et neurosciences. Le conseil scientifique de six personnes que nous avons réuni, travaillant intégralement hors de France, a été chargé d’évaluer les candidatures reçues suite à un appel d’offre pour des chefs d’équipe. Les chercheurs de l’ancienne unité désireux de diriger ou continuer à diriger une équipe devaient aussi candidater. Nous avons fait tabula rasa d’une certaine manière et c’est certainement ce procédé qui a été le plus innovant par rapport aux habitudes françaises. Nous avons pu faire venir des gens d’horizons très divers (des neurosciences moléculaires et cellulaires jusqu’à la recherche clinique) même si ils sont moins larges qu’espérés, puisque l’interdisciplinarité que nous désirions, avec des mathématiciens, des physiciens… n’a pu se faire.

A l’heure où l’impact factor est décrié, comment le conseil scientifique a-t-il procédé ?


Ils ont utilisé des critères classiques et de notoriété, y compris les IF des journaux mais pas uniquement. Ils ont surtout passé beaucoup de temps à auditionner les candidats. C’est la clef. Il y a plusieurs problèmes bien connus avec les IF et pour l’évaluation l’on peut résumer en disant: un article dans un journaux dont l’IF est 20 n’est pas nécessairement et automatiquement “scientifiquement ou techniquement meilleur” ou “d’impact double dans le domaine” qu’un article publié dans un journal dont l’IF est 10. Il faut toujours regarder le contenu précis (qualité des données et de leur interprétation) et évaluer l’impact dans le domaine scientifique. Pour cela, il faut bien connaître le domaine et savoir positionner les travaux avec des experts. A distance, le nombre de citations d’un article peut être utilisé à condition de vérifier qu’il n’est pas cité parce qu’il est contredit. Bref, on est en droit de prendre en compte le journal dans lequel a été publié les travaux pour se faire une idée de l’effort qu’il a fallu pour qu’ils soient publiés mais cela n’épargne pas une évaluation approfondie. En passant beaucoup de temps, c’est ce que notre SAB a fait pour l’IPNP.

Pourtant tout le monde veut publier dans Nature, Cell, Science…


C’est l’attrait de la marque : ils ont été extrêmement intelligents en la déclinant pour élargir leur assise éditoriale. Il en va de même quand on achète une voiture, on décide souvent de la marque puis du modèle, les gens peuvent être fidèles à une marque toute leur vie. Ces journaux les plus en vue recherchent le tremblement de terre permanent, la preuve définitive. Avec leurs titres secondaires, les auteurs sont tentés de rester chez le même éditeur, un peu comme si, ne pouvant se payer le cabriolet de la marque, l’on restait malgré tout fidèle en achetant la petite citadine. Fondamentalement, le problème est que quand on veut évaluer des chercheurs, deux paramètres sont également importants : la rigueur et la créativité. L’une ne devrait pas aller sans l’autre. La condition première et obligatoire pour recruter est la rigueur. Sans rigueur, on peut se fourvoyer et fourvoyer ses collègues or, depuis dix ans, on entend trop peu parler de rigueur et beaucoup trop d’excellence. La prime trop importante à la nouveauté et à la créativité sans bonne estimation de la rigueur est probablement la cause de rétractations d’articles médiatiques.

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