L’économiste Timothée Parrique a consacré sa thèse au concept de décroissance et à l’élaboration de scénarios pour sa mise en application. Qu’est-ce que la décroissance ? La décroissance n’est pas l’inverse de la croissance, ce n’est pas la récession ou la dépression qui se caractérisent par un PIB négatif. La décroissance est la réduction planifiée de la production et de consommation. C’est la réponse la plus efficace à la crise climatique : réduire autant que possible les activités les plus polluantes et concentrer nos efforts pour verdir ce qui ne peut pas être réduit. Au lieu d’attendre un découplage de la croissance et des pressions environnementales qui peine à se matérialiser, soyons plus ambitieux et tâchons de réorganiser l’économie afin qu’elle puisse fonctionner – et prospérer – sans croissance. Quelles différences dans les modèles quand on étudie les scénarios de décroissance ? En économique écologique, nos modèles sont inspirés par les travaux de Nicholas Georgescu-Roegen qui a été le premier à repenser la science économique à partir des lois de la physique et de la biologie. Certains économistes diront que l’énergie a peu d’importance car ce secteur ne représente que quelques points de PIB ; mais je vous mets au défi d’imaginer ne serait-ce qu’une seule activité économique qui pourrait fonctionner sans énergie (spoiler alert : il n’y en a aucune). L’économie écologique chamboule la hiérarchie des questions de recherche et améliore la puissance analytique des modèles économiques pour permettre d’explorer des scénarios beaucoup plus précis. Pour étudier des scénarios de décroissance, il faut revoir nos modèles pour y intégrer les écosystèmes mais aussi des phénomènes sociaux comme la convivialité, les inégalités, et la qualité des institutions. Par quels indicateurs remplacer la croissance ? L’économie, ce n’est pas du Tetris ; arrêtons de penser qu’on peut gérer une économie moderne avec un seul bouton. Nous avons besoin d’un tableau de bord qui présente une diversité d’indicateurs économiques, sociaux, et environnementaux. Celui que la Nouvelle-Zélande a mis en place depuis 2019 contient 65 indicateurs, à la fois sur le bien-être présent (coût du logement, sécurité, temps disponible, santé, pauvreté etc.) et le bien-être futur (gestion des déchets, espérance de vie, discrimination, investissement, valeur du patrimoine naturel, etc.). Il y a trente ans, les indicateurs n’existaient pas et il y avait très peu de données. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le sujet de la décroissance est-il en train de devenir populaire ? La pandémie a vu exploser l’intérêt pour la décroissance. En 2016 quand j’ai démarré ma thèse, j’ai dû convaincre mes directrices de thèse de travailler sur la décroissance, un sujet qui n’intéressait pas grand monde. Et aujourd’hui, un an après sa publication, mon manuscrit de thèse a été téléchargé 45 000 fois et des éditeurs m’ont contacté pour publier un livre sur la décroissance ! C’est le rêve de tout doctorant : que tout le monde s’intéresse à son sujet de recherche. Mais c’est aussi une lourde responsabilité ; il faut maintenant expliquer et débattre, même si c’est difficile, surtout sur un sujet aussi controversé que la décroissance. Quand on parle des problématiques liées à l’urgence environnementale, cela ne suffit pas de créer de la connaissance, il faut aussi que les scientifiques interagissent directement avec les gouvernements, les entreprises, et le public en général. |
Hélène Gispert : « L’absence des femmes aux Nobel n’est que la partie émergée de l’iceberg »
Les femmes sont encore une fois les grandes perdantes de cette série de Nobel 2024. Faut-il s'en indigner ? En effet, si l’on regarde les cinq dernières années, sur les trois prix de médecine, physique et chimie, 29 hommes et seulement six femmes ont été récompensés....