Bienvenue au « Puy du faux »

15.04.2022 • №1 • LA RECHERCHE ET SA PRATIQUE


Saut dans l’inconnu

Pas de côté. Quelle position délicate que celle du journaliste qui doit faire fi de ses convictions et analyser froidement l’actualité, même quand elle nous bouleverse.

Présidentielle. Vous l’aurez deviné, je pense aux résultats du premier tour de l’élection présidentielle. Sur ce grand moment de la vie politique française, TheMetaNews a effectué, sans vouloir se jeter des fleurs, un beau travail.

Retour au quotidien. Nous ne parlerons pas politique dans ce numéro, le premier numéro de TMN vendredi qui s’habille d’une nouvelle maquette moins fluo, plus sobre mais toujours avec ce ton léger auquel nous sommes attachés.

J moins quatre. Vous retrouverez néanmoins mercredi prochain le dernier numéro de notre série #ParlonsRecherche avec les réponses d’Emmanuel Macron (et les bribes de celles de Marine Le Pen).

A très vite, 
— Lucile de TheMetaNews.

Sommaire

→  ANALYSE Bilan carbone, les chercheurs attendent les directives
→  INTERVIEW  « Au Puy du Fou, la visée est clairement politique »
→  OUTIL  Utiles pour le minage de texte
→  ET POUR FINIR Docteur au carré

TEMPS DE LECTURE : 7 MINUTES

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EMPREINTE CARBONE

Je réduis si tu réduis


Faut-il continuer à prendre l'avion ?

Réduire leurs émissions ? Les chercheurs sont prêts à le faire, ils n’attendent qu’une chose : qu’on les y oblige.

▶ Unanimes. Pensez-vous que l’urgence climatique exige des changements profonds dans la pratique de nos métiers ? À cette question, une écrasante majorité (88%) de chercheurs répond oui. Les premiers résultats de cette enquête menée en 2020 auprès de 6000 d’entre vous avaient été publiés en janvier 2021 par Labos1point5.

▶ Colibris. « Les chercheurs sont prêts à faire des sacrifices », commente Marianne Blanchard, co-autrice de ce rapport d’interprétation. En effet, 92% des répondants de l’enquête pensent que la recherche doit réduire ses émissions d’un tiers ou plus d’ici 2030, comme la France s’est engagée à le faire.

▶ Dans les nuages. Néanmoins, « ils n’ont pas forcément en tête les ordres de grandeur des émissions liées aux différentes activités et donc ne savent pas où faire des efforts », nuance la sociologue. Si l’on parle beaucoup de l’avion, il s’agit bien de la première source d’émission dans la recherche : 58% des répondants ont pris l’avion en 2019 alors que dans les professions de même niveau, la moyenne est d’un sur cinq, toujours selon le rapport.

▶ Dissonance. Plus de la moitié des répondants se déclare prêt à diminuer ses vols d’au moins un tiers même si les chercheurs ne se sentent pas forcément libres de le mettre à exécution : « On observe une contradiction entre les volontés individuelles et les cadres collectifs et institutionnels », analyse la sociologue.

▶ Cadeaux de Noël. Malgré leur apparente bonne volonté, les chercheurs cèdent donc aux injonctions de visibilité internationale et de productivité. Le système actuel pousse de surcroit à la surconsommation : afin d’utiliser les reliquats de budget non reportables, certains achètent du matériel informatique (20% des répondants) ou des billets d’avion (5%) qui ne sont pas indispensables.

▶ Dictature verte. L’étude propose donc des mesures simple comme l’interdiction de l’avion si le voyage en train dure moins de six heures ou l’établissement d’un quota de vols par personne et par an. « Pour la plupart, ces mesures ne semblent pas rencontrer d’opposition de la part de la communauté », observe Marianne Blanchard.

▶ Expéditions polaires. « Une mesure est cependant moins approuvée : celle d’instaurer comme critère d’attribution des financements le bilan carbone des projets », précise-t-elle. Une telle mesure serait en effet perçue comme pénalisante pour les missions sur des terrains éloignés, ou nécessitant l’usage de matériel fortement émetteur.

TROIS QUESTIONS (OU PLUS) À PAULINE DUCRET

« Au Puy du Fou, la visée est clairement politique »


Doctorante en histoire ancienne, Pauline Ducret a co-écrit Le Puy du Faux (Ed. Les Arènes), ouvrage analysant le détournement de l’histoire à des fins politiques par le célèbre parc d’attraction.

L’équipe des auteurs : Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère, quatre historiens chacun spécialiste d’une période de l’histoire distordue par le Puy du Fou.

Comment en arrive-t-on à faire un livre sur le Puy du Fou ?
↳ L’idée originale de Florian Besson et de notre éditrice était d’écrire sur les usages politiques de l’histoire. Les exemples sont nombreux mais nous nous sommes très vite concentrés sur le Puy du Fou en observant la porosité entre ce parc d’attraction et de vraies rencontres scientifiques – des visiteurs enchaînent par exemple Les Rendez-vous de l’histoire de Blois avec une visite au parc. Nous aurions laissé passer si l’impact du parc était mineur mais le Puy du Fou est l’un des parcs les plus visités en France et projette l’ouverture de plusieurs autres sites ailleurs dans le monde, le lancement d’un train, le tournage d’un film

En quoi le Puy du Fou pose problème aux historiens que vous êtes ?
↳ Le discours politique pose problème. On observe parfois des distorsions de l’histoire dans le but de divertir, comme ce peut être le cas au Parc Astérix qui a par ailleurs lui aussi fait l’objet d’études menées par des historiens. Mais au Puy du Fou, c’est très insidieux car la visée est clairement politique. Elle est d’ailleurs assumée par Philippe de Villiers qui, dès sa création du parc, annonçait vouloir rétablir “sa” vérité historique : l’idée d’une France catholique immuable, où les étrangers sont un danger et Dieu la solution. Non seulement cette vision est fausse mais elle donne l’image d’une histoire immobile, là où les historiens cherchent justement à mettre en lumière les évolutions.

Quel est l’objectif de votre livre ?
↳ Notre ouvrage se veut une sorte de manuel à destination des usagers du parc. Nous voulions souligner ses contradictions sans tomber dans le fact-checking, même si pour l’exercice nous avons passé un des spectacles au crible. Nous souhaitions également lancer un avertissement : derrière le divertissement se cache un sous-texte politique. Personnellement, j’aimerais que les écoles n’y envoient pas leurs classes car ces visites imprègnent : je peux en témoigner, j’y suis allée en tant qu’élève. Enfin, nous souhaitions montrer que nous n’étions pas opposés au divertissement en proposant des spectacles qui ne sont pas erronés au point de vue historique.

Et que répondez-vous aux critiques vous accusant d’avoir vous-mêmes une démarche politique ?
↳ Le choix d’étudier un discours de droite extrême peut en effet être perçu comme politique. Cependant, nous avons respecté une méthode scientifique. Bien sûr que vous avons nos opinions politiques, comme absolument tout historien ou historienne. Mais nous travaillons en suivant une méthode et la recherche de vérité, pas en fonction de nos idées.

CHIFFRE

Un sur quatre


Un quart des chercheurs ont déjà publié dans une revue prédatrice, participé à une conférence prédatrice ou supposent l’avoir fait. Ce chiffre surprenant est un des résultats du sondage effectué auprès de 1800 chercheuses et chercheurs de 112 pays différents par l’InterAcademy Partnership (IAP), un réseau de 140 académies des sciences, de l’ingénierie ou de la santé, nationales ou régionales. L’IAP publie un rapport complet pour lutter contre ce fléau. Vous y trouverez un petit guide à destination des chercheurs à la page 11.

OUTIL

Descendez à la mine


Besoin d’un outil de fouille de texte ? L’assistant de l’Inist recense 300 logiciels spécialisés dans le traitement automatique du langage et l’exploration de texte (text mining). Pour trouver chaussure à votre pied, vous pouvez les trier en fonction des tâches à effectuer ou des types de licence.

EXPRESS

Des infos en passant


Chose promise, chomdu. Toucher le chômage après une fin de contrat avec le CNRS ? Depuis janvier 2022, l’établissement est passé en “auto-assurance” : c’est donc au CNRS de vous indemniser et non à Pôle Emploi. Attention, la procédure peut prendre beaucoup de temps ! Pour vous préparer, voici la procédure. Merci à la toute récente docteure Mathilde Maillard (en attente d’indemnisation depuis trois mois) pour le signalement.


Viser l’open. CNRS toujours : l’organisme de recherche vous encourage à ne plus publier dans des revues payantes – que ce soit pour le lecteur ou les auteurs. Le choix va devenir assez limité.


● Nippon ni mauvais. Au Japon, quatre chercheurs ont été bannis de la principale agence de financement de la recherche suite à des fraudes, nous apprend Retraction Watch.


● Diversification. Cairn se lance dans les sciences et techniques avec une nouvelle plateforme dédiée aux ouvrages de sciences formelles et naturelles. À ce jour, elle reprendrait un millier de publications provenant notamment des éditions Dunod, EDP Sciences, Lavoisier, De Boeck Supérieur et Flammarion…


● Actions réactions. Les Scientifiques en rébellion nous promettaient une semaine d’action (relire l’interview d’Élodie Vercken) et il y en a eu quelques unes dont certaines assez musclées. Selon les organisateurs, plus de 1000 scientifiques auraient participé à des actions partout dans le monde, que ce soit au Museum national d’histoire naturelle à Paris (avec les squelettes de dinosaure !), sur le campus de Nice, devant les bureaux de Shell à Londres. Certains se sont même enchaînés aux grilles de banque ou de la Maison Blanche aux États-Unis.

EXPRESS

Votre revue de presse


→ Publis 2.0. Encore figé sur le modèle papier, le système de publication scientifique est bien dépassé, estime un chercheur en psychologie dans The Guardian. La solution ? Tirer profit d’internet en créant des formats ouverts et interactifs.

→ Passés de mode. Tenir ou ne pas tenir un blog académique ? Dans LSE Impact Blog, Mark Carrigan témoigne de ce qu’écrire lui a personnellement apporté mais avoue douter de la pertinence de se lancer dans cette aventure pour les jeunes chercheurs, notamment devant l’investissement en temps.

→ Le temps long. Le premier ministre roumain est accusé de plagiat pour sa thèse – c’est le troisième en dix ans à qui cela arrive. La docteure et journaliste Emilia Şercan, qui a révélé l’affaire, estime dans Times Higher Education que, malgré les réformes, résoudre le problème prendra des décennies.

Scrupules. Que faire avec des publications qui bafouent les droits humains, parfois vieilles de 50 ans ? Peut-on les citer ? Doit-on les rétracter ? Ces questions d’éthique sont posées à travers des exemples concrets par le chercheur David W. Christianson dans Chemical and Engineering News.

Machine à produire. Les chercheurs marocains publient moins d’un article par an, met en avant l’Instance nationale marocaine d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche qui semble s’indigner de l’inactivité de certains de ses chercheurs, rapporte Le Matin.

DOCTEUR AU CARRÉ

Et pour finir…


Le premier doctorat en lettres remonte à… 1810. Parce que deux, c’est mieux, le grammairien Pierre Fontanier soutenait, il y a 212 ans, deux thèses d’un coup, l’une en philo, l’autre en littérature. Celle-ci est conservée à la Bibliothèque municipale de Besançon qui nous a aimablement accordé le droit d’utiliser l’image.