[TMN#29] Des Publis Pas Comme Les Autres

Qu’avez-vous fait le weekend dernier ?
Beau rendez-vous le weekend dernier, à Nantes : les Utopiales. Ça parlait de sciences, d’arts, de science-fiction et de relation science / société, sur des sujets brûlants tels que l’IA ou le climat.
Le grand public doute parfois de la science, qui doit se montrer irréprochable, alors qu’elle-même est sous pression. Pas évident… Une piste qu’on vous propose cette semaine : les registered reports, un format alternatif de publication.
Bonne lecture,
Lucile de TheMetaNews
PS. Au festival, j’ai aussi rencontré l’ingénieur Philippe Bihouix, dont vous retrouverez l’interview plus bas  !


Des publis pas comme les autres 

Les registered reports (RR) sont un format de publication qui monte, qui monte… Explications.
Ça vous est forcément déjà arrivé : vous montez un superbe protocole pour répondre à une question sur laquelle la communauté sèche et, une fois la manip bouclée… les résultats ne sont pas au rendez-vous. Des résultats, vous en avez, oui, mais rien de « sexy »… On le sait : pas facile de publier des résultats « négatifs ». Que faire, alors ? « C’est du boulot d’écrire un article. On ne va pas le faire si on sait qu’il n’a aucune chance d’être accepté », nous confie Nicolas Grimault. Ce chercheur fait partie des 250 signataires d’une toute récente lettre ouverte pour le développement d’une forme alternative de publication, les registered reports (RR) ou « preregistration » pour les intimes : « Dans un contexte de course à la publication, il est important de lutter contre les fraudes. Les chercheurs peuvent être tentés de supprimer une ou deux lignes dans leurs tableaux de données pour obtenir les résultats tant espérés et pouvoir publier leurs travaux », détaille-t-il.
Publication garantie
En soumettant votre projet grâce au format RR, la problématique, l’hypothèse de travail ainsi que les méthodes sont examinées lors d’une première étape de peer review. Après acceptation, vous pouvez suivre vos protocoles et soumettre l’article final pour une deuxième étape de peer review. Si la démarche est bien respectée et l’interprétation correcte, l’article est accepté, quelle que soit l’issue de l’expérience. Et ça a l’air de marcher. Une des premières études sur les RR nous apprend que dans 60% des cas, les RR ne valident pas leur hypothèse de départ, contre une estimation de 5 à 20% pour les publications conventionnelles.
L’initiative a germé il y a environ 5 ans, en grande partie suite à la crise sur la reproductibilité des travaux en psychologie et en sciences cognitives. Il existe maintenant environ 200 journaux proposant des RR (voici une liste), mais encore peu d’articles sont publiés dans ce format. Chris Chambers, un des pionniers du mouvement, en a fait un premier bilan dans Nature. Les avantages pour les auteurs ? Améliorer le protocole expérimental avant même de le démarrer, notamment. Le RR permet de plus de référencer la publication plus tôt, ce qui est très important pour les jeunes chercheurs.  
Recherche incarcérée ?
Le système est encore imparfait. D’après les éditions Wiley, les éditeurs voudraient plus de soumissions de RR… alors que certains auteurs ne trouvent pas toujours de revues qui les acceptent. Toujours selon Nicolas Grimault « toutes les revues devraient proposer les deux processus de publications, le conventionnel et le registered report. Comme ça, les chercheurs pourraient continuer de soumettre à leurs journaux habituels, en changeant juste de format. » Quant aux inconvénients ? Les RR ne conviennent pas vraiment aux travaux exploratoires. Et surtout, les chercheurs ont peur de prendre de perdre leur liberté. Ce que réfute pourtant, Chris Chambers, qui promeut au contraire leur flexibilité : « RRs are a plan, not a prison. » Tentés ? Voici un tutoriel pour vous y mettre.


18%
des docteurs français travaillent
à l’étranger,
3 ans après leur diplôme


C’est ce qu’indique une note d’information sur la mobilité internationale des jeunes docteurs. Elle fait suite à l’enquête IPDoc 2017, menée sur environ 7000 doctorants diplômés en 2014. Parmi ces 18%, près des trois quarts ont un poste dans la recherche académique. Les lieux de prédilection sont l’Europe (56%) et les amériques (30%).


« Certains innovent la baïonnette dans le dos »

L’ingénieur Philippe Bihouix était aux Utopiales, à Nantes. Auteur de Le bonheur était pour demain : Les rêveries d’un ingénieur solitaire (Ed. Seuil), il aborde le sujet de l’innovation et de ses conséquences sociétales.
Vous dénoncez l’actuelle « injonction à l’innovation » : pourquoi se forcer à innover ?
PB Le discours dominant glorifie la prise de risque, l’innovation technologique et les aventures entrepreneuriales ; pourtant, lorsqu’on compare avec les années 70 par exemple, nous vivons indéniablement dans une société plus peureuse, inquiète et sans doute moins ouverte à des changements profonds. Et les hommes ne sont pas des innovateurs par nature : pendant des millénaires, les sociétés humaines ont dû préserver à tout prix le fragile patrimoine culturel et technique nécessaire à leur survie. Aujourd’hui, dans les entreprises ou dans les administrations, il existe une injonction à innover. Les gens n’ont pas le choix : les entreprises sont en concurrence, et au sein des organisations, les éventuels réfractaires au changement seraient menacés de remplacement. Certains innovent donc la baïonnette dans le dos. L’homme a par contre une grande capacité à imiter. La plupart du temps, on ne fait donc « qu’innover comme les autres », ce qui est moins dangereux si on échoue.
L’innovation promet un bonheur à venir, pour les générations futures. Il y a un aspect presque religieux là-dedans. Est-ce que cela peut se retourner contre les sciences ? 
PB
Il y a en effet une vraie religion de l’innovation, avec ses grand-messes (comme le Consumer Electronic Show de Las Vegas), ses lieux de pèlerinage (la Silicon Valley), des prêtres ou des gourous, un caractère quasi sacré – contester la course en avant technologique, c’est être hérétique ! Mais il est intéressant de noter que ce culte de l’innovation se cantonne au domaine technologique et concerne rarement le social ou le politique ; c’est d’ailleurs ce que recommandait sagement Francis Bacon, l’auteur de La Nouvelle Atlantide. Je ne pense pas que les prophéties non réalisées (immortalité, intelligence artificielle forte, bases lunaires ou conquêtes galactiques…) se retourneront contre la science. La plupart des promesses sont régulièrement répétées depuis le XVIIIe ou le XIXe siècle. Aujourd’hui, on voit le retour des voitures volantes, qui étaient déjà promises dans les années 1950. Chaque génération a le même enthousiasme et égrène le même lot de promesses. Les générations précédentes pourraient peut-être dénoncer cela mais on oublie vite.
Les low-tech, c’est aussi valable pour la recherche ? 
PB
Le mouvement (ou la démarche) des low tech, ce n’est pas nier tout progrès technologique, mais le mettre au service d’un progrès humain véritable et faire preuve « de techno-discernement ». Malheureusement dans le domaine technologique, il est toujours difficile de séparer les « bons » usages des « mauvais ». Et la recherche a pris de mauvais plis. Je pense à la dérive sur les critères de sélection, la course à la publication, les mécanismes de financement. Toute découverte doit être maintenant accrochée à des cas d’usages bankable et finir dans une startup. Pour moi, les solutions doivent être sociotechniques et pas uniquement techniques.

Photo © Hermance Triay pour Ed. Seuil


Notre revue de presse express


ET POUR FINIR

Et pourtant elles tournent ! Dans ce gif hypnotique réalisé par @PhysicsJ, vous pouvez admirer la rotation des planètes (et de celles des naines Pluton et Cérès) du système solaire qui ont été cartographiées. Pour une version HD encore plus qualitative, c’est par ici.