Vanina Paoli-Gagin : « En quoi déposer un brevet serait de la fausse science ? »­­­­

— Le 5 juillet 2022

Cette sénatrice de l’Aube est la rapporteuse de la mission sur la recherche, dont les conclusions ont été rendues fin juin. Conclusions et diagnostic.

Vous appelez au lancement de deux grandes loi sur l’enseignement supérieur et l’innovation, quelle probabilité pour qu’elles soient mises en place ?

↳ Je ne peux évidemment pas vous répondre avec certitude même si un regard un peu prospectif [suite aux élections législatives, NDLR] nous permet de dire que le temps va être au compromis. Nous ne voulions pas tomber dans l’effet catalogue ; nous avons proposé des mesures opérationnelles déployables rapidement. J’ai bien évidemment envoyé ce rapport à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche [le voici ! Sylvie Retailleau a été confirmée à son poste lundi 04 juillet dernier, NDLR].

Existe-t-il une approche partisane au sens politique du terme sur la manière de réformer la recherche ?

↳ L’approche devrait être agnostique, me semble-t-il. La mission a été montée à l’initiative du groupe des Indépendants mais nombre de mes collègues ne sont pas de mon obédience or nous sommes ressortis avec un consensus extrêmement large sur l’état de la recherche en France, les pistes de réforme et les mesures concrètes que nous avons proposées. Les pistes de réforme que nous proposons peuvent avoir des effets sans toucher au budget.

« Il ne s’agit pas de faire plaisir aux chercheurs mais d’utiliser de manière optimale l’argent public »

Vanina Paoli-Gagin

Vu la situation internationale, le gouvernement aura-t-il la tête à investir dans la recherche ? 

↳ La situation française est le fruit de dizaines d’années d’impérities. C’est justement dans ce contexte que la France devrait stopper cette chute libre : le léger redressement qu’a permis la loi de programmation de la recherche ne devrait être qu’un début, l’amorçage d’une logique qui devrait nous mener au respect de l’objectif de Lisbonne. Ce n’est pas une élucubration personnelle mais bien une promesse faite il y a maintenant une vingtaine d’années, celle de porter l’investissement dans la recherche à 3% du produit intérieur brut (PIB). Nous sommes toujours à 2,2% aujourd’hui : il ne s’agit pas de faire plaisir aux chercheurs mais d’utiliser de manière optimale l’argent public. Ce sujet impose le temps long, qui seul permet de faire “fructifier” cet investissement. Dans le cas inverse, nous ne resterons pas un pays leader.

C’est le Covid et l’absence de vaccin “made in France” qui a provoqué cette prise de conscience ?

↳ Vous comme moi n’avons pas attendu la Covid pour faire ce constat : la pandémie a simplement ouvert les yeux aux gens qui ne voulaient pas voir la situation en face. Avec 70% de la recherche réalisée dans les industries, la désindustrialisation aboutit mathématiquement à la situation dans laquelle nous sommes : un effet domino avec à l’origine la croyance que nous pourrions transformer le pays en un territoire de cols blancs, de services, “fabless” [néologisme désignant une société qui sous-traite l’intégralité de sa fabrication sans recours à des usines, NDLR], en somme. Or c’est un continuum : les pays en pointe sur ces sujets mettent énormément d’argent public sur la table, notamment par le biais de la commande publique. Je vous renvoie au témoignage lors des auditions de Stéphane Bancel, PDG de Moderna sur l’environnement américain [vous pouvez le consulter ici, NDLR]. 

« Le CIR ne doit être supprimé sous aucun prétexte mais réformé au profit des PME »

Vanina Paoli-Gagin

Patrick Caine, PDG de Thalès, déclarait lors des auditions qu’une agence d’innovation de pointe type “Darpa à la française”, n’était selon lui pas envisageable… Qu’en pensez-vous ?

↳ Peut-être qu’il n’est pas trop tard et que la France a aujourd’hui changé. Pendant des dizaines d’années, le pays a manqué d’une vision stratégique, d’un pilotage auquel nous nous serions tenus au lieu de multiplier les dispositifs. Or la France n’est pas un pays continent contrairement à la Chine… et l’exemple de Moderna montre que les Français ont eu la capacité de réussir aux États-Unis, grâce aux milliards en précommande de l’état américain et ce alors que Moderna ne faisait pas un euro de chiffre d’affaires. Quand on pense que le capital risque a été inventé par un Français [apparemment un certain Georges Doriot dans les années 50, NDLR]… que s’est-il passé entre temps ? 

Vous traitez beaucoup du Crédit impôt recherche (CIR), sans aller jusqu’à prôner sa suppression, parfois réclamée. Pourquoi ?

↳ Le CIR ne doit être supprimé sous aucun prétexte. Nous proposons d’en reventiler l’enveloppe à euros constant. Un euro versée à une PME entraîne un effet de levier de 1,4 euros, contre 0,4 euros pour un grand groupe. C’est un effet d’aubaine que nous voulons résoudre. La dépense globale sera la même, nous voulons simplement en réformer le versement au-delà de 100 millions d’euros de dépenses en recherche et développement par entreprise. Une somme calculée au niveau des holdings de tête, ce qui est déjà une somme considérable et permet d’éviter les doubles effets d’aubaine des groupes intégrés fiscalement, capables de “tunneliser” les sommes du CIR dans leurs différentes filiales. Nous voulons également maximiser l’effet de levier de l’argent public en doublant le crédit impôt innovation [une extension du CIR destinée aux petites et moyennes entreprises, NDLR].

Bercy l’entendra-t-il de la même oreille ?

↳ Tout cela a été chiffré précisément, ce ne sont pas des fantaisies de sénateurs. 100 bénéficiaires du CIR sur les 21 000 captent un tiers des montants, d’où nos interrogations. Nous avons rassemblé un front uni au Sénat pour signer les amendements nécessaires. Nous ne prônons pas la révolution mais des réglages au sein d’une même enveloppe pour augmenter les dépenses de recherche. Dois-je vous rappeler la promesse de Lisbonne ? Cet objectif est atteint voire dépassé par nombre de nos voisins, je prendrais l’exemple du Portugal. Il s’agit de choix politiques. La recherche doit être rendue plus attractive et le goût du risque cultivé dans notre pays. L’innovation s’accélère, nous devons suivre le mouvement et le retard accumulé ne joue pas en notre faveur. La France est-elle un pays de production ou de sous-traitance ? Si nous choisissons la première réponse, nous devons nécessairement consacrer 3% de nos budgets à la recherche.

« La France tend à trop sanctionner l’échec »

Vanina Paoli-Gagin

Vous pointez également une culture française qui serait à refonder, pourquoi ?

↳ En quoi déposer un brevet serait de la fausse science, se dégrader ou vendre son âme au diable ? Ce sont des postures, des arguments d’autorité qui en arrangent certains. Si un chercheur est plus orienté vers l’applicatif, quel est le problème ? La dichotomie entre recherche fondamentale et appliquée n’a pas vraiment de sens, c’est mon avis et c’est celui des gens que nous avons auditionné : c’est un processus non linéaire, qui ne se mesure pas en TRL [l’indice de maturité d’une technologie, NDLR] mais de manière plastique. Cette culture commence à l’école, où la France tend à trop sanctionner l’échec, il nous faut apprendre cette culture. Je reconnais néanmoins que France 2030 est en train de changer les choses à sa mesure… mais les choses auraient dû changer bien avant.

En quoi l’évaluation des chercheurs est un problème ?

↳ Les chercheurs auditionnés ne comprennent pas le système dans lequel nous évoluons et j’avoue comprendre leur incompréhension concernant les publications et la propriété intellectuelle. Que des cerveaux soient utilisés la moitié de leur temps à répondre à des appels à projet n’est pas une bonne politique. Je fais là allusion à la récurrence des appels à projets mais aussi à leur complexité croissante, même si des efforts ont été faits. Il en va de même pour les conditions de l’évaluation des chercheurs, qui de manière générale passent trop de temps à effectuer des tâches administratives, quitte à les déléguer à des cabinets extérieurs spécialisés, comme on le constate dans d’autres secteurs de la vie publique. Le rapport l’évoque moins crûment mais c’est la réalité.

Un mot de conclusion ?

↳ La question est toujours la même : la France compte beaucoup de chercheurs et d’innovation mais comme le pays rechigne à investir dans la transformation de ces secteurs. Nous revendons les fruits de la recherche publique française à un prix intéressant pour les autres. En tant qu’élue, je considère que c’est un gâchis.

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