🍀 Survendez-vous vos papiers ?



11 février 2022 | La recherche et ses pratiques
Surpromotion
obligée

Cri de désespoir. « Je n’en peux plus de lire toujours les mêmes introductions dans les papiers ! », m’a confié une amie chercheuse autour d’un verre de vin lundi soir.
Conformisme. En effet, pour voir leurs papiers acceptĂ©s, les chercheurs se sentent obligĂ©s de dire que leur travail est gĂ©nial, qu’il a plein d’applications et qu’il va rĂ©volutionner le monde – souvent sans y croire eux-mĂŞmes.
Contreproductif. « Résultat : on n’écrit plus les vraies raisons qui nous ont poussées à faire cette recherche et plus personne ne lit les introductions – on n’y apprend rien ! », conclua-t-elle.
Loupe Ă  la main. Cette « surpromotion » est un vrai enjeu. Trois chercheuses l’ont quantifiĂ© dans les abstracts des preprints liĂ©s Ă  la Covid et l’une d’elles, FrĂ©dĂ©rique Bordignon, rĂ©pond Ă  nos questions â–Ľ.Bonne lecture,
Lucile de TMN


Si vous n’avez que 30 secondes
  • FrĂ©dĂ©rique Bordignon passe au crible les abstracts
  • Du Python pour les SHS, c’est possible
  • Des infos en passant
  • Votre revue de presse express
  • Et pour finir avec de l’art cambrien



Cinq minutes dans le monde de la recherche



Trois questions (ou plus) à… FrĂ©dĂ©rique Bordignon


« Survendre est dangereux »


Avec deux collègues informaticienne et sociologue des sciences, cette linguiste a passé au crible les abstracts des preprints liés au Covid.


Les chercheurs ont-ils changĂ© leurs habitudes d’Ă©criture avec la Covid ?
C’est exactement la question que nous nous sommes posĂ©e, mes deux co-autrices et moi : la crise de la Covid et la dĂ©ferlante de preprints qui l’accompagnait avaient-elles un impact sur la façon de rĂ©diger ? La rĂ©ponse est oui : les chercheurs ont utilisĂ© un lexique plus optimiste dans les abstracts des preprints sur la Covid partagĂ©s au tout dĂ©but de la crise, comparĂ© Ă  un corpus tĂ©moin avant Covid.
Comment quantifier ces changements ?
Nous avons cherchĂ© diffĂ©rents types de marqueurs dans les abstracts [presque 24 000 preprints au total, NDLR] et comparĂ© leur Ă©volution par rapport Ă  avant la crise. D’une part les mots positifs comme « robust », « impressive », « effective », « significant » ou encore « novel » – le plus frĂ©quent de tous – étaient encore plus employĂ©s dans les preprints sur la Covid. D’autre part, les mots nĂ©gatifs, dĂ©jĂ  peu prĂ©sents dans la littĂ©rature scientifique, l’étaient encore moins. Enfin, nous avons remarquĂ© la prĂ©sence accrue de mots montrant l’incertitude comme « may », « would », « suggest ». En rĂ©sumĂ©, notre corpus regorge de « it could be effective » (« ça pourrait ĂŞtre efficace »).
Surpromotion et incertitude en mĂŞme temps, cela peut sembler contradictoire, non ?
Les chercheurs ont certainement eu recours à l’exagération pour accrocher le lecteur et se démarquer dans le très large lot de preprints. Mais ils ont aussi très vite compris que dans ce moment particulier, ils allaient toucher une audience particulière. Tout le monde peut lire les preprints au-delà de la communauté scientifique, comme les politiques ou les journalistes. D’où cette invitation à la prudence vis-à-vis des tout premiers résultats partagés, surtout que le résumé est souvent la seule partie que les gens lisent.
Cette tendance Ă  la surpromotion existait-elle avant la Covid ?
Oui et elle avait déjà été repérée dans les abstracts, les introductions ou même dans le corps principal des articles. L’exagération des résultats – « hyping science » en anglais – est particulièrement visible dans les abstracts car il s’agit d’un genre promotionnel en général gratuit : une accroche pour que le lecteur lise la suite.

Y a-t-il des conséquences néfastes ?
Oui, on peut parler de méconduite scientifique lorsque les résultats scientifiques sont exagérés, mais aussi lorsque la présentation des résultats est infidèle à la réalité – notamment en laissant de côté ce qui n’a pas marché. La survente est dangereuse et il faut éviter de partir dans l’exagération car si les chercheurs savent déjouer les pièges, un lecteur moins averti peut être biaisé et de faux espoirs être communiqués dans la presse. Pour lutter contre cette mauvaise pratique, les éditeurs scientifiques ont réagi en publiant des guidelines ou en interdisant même l’usage de certains mots.

Avez-vous donc fait attention lorsque vous avez écrit votre abstract ? 
Oui, nous avons fait attention ! On se surveille mais on se surprend également : ne serions-nous pas un peu trop positives ici ? Et il n’y a pas que dans les publications que cela nous arrive, les promesses sont très présente dans les réponses aux appels à projets, à coup de « promising » et « unique ». Mais sommes-nous capables de les tenir ?


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Un outil dans la boîte
Python fait dans le social
Pourquoi et comment utiliser le langage Python en sciences humaines et sociales ? Le sociologue Émilien Schultz (qu’on avait d’ailleurs interviewé au sujet des postdocs) vous l’explique dans ce tutoriel organisé par Mate-SHS avec des exemples concrets tirés de ses recherches. Petit spoiler : c’est évidemment pour le traitement de données mais aussi pour la collecte de données numériques.


 Des infos en passant  La France doit organiser une confĂ©rence internationale sur l’attractivitĂ© des carrières acadĂ©miques, clament les sociĂ©tĂ©s savantes //////// Springer multiplie les accords transformants — des forfaits incluant les abonnements et les frais de publication pour permettre l’accès ouvert des revues. Le gĂ©ant de l’édition scientifique vient de signer avec le Canada et en AmĂ©rique latine, ce qui fait 17 accords nationaux Ă  son compteur //////// L’Institut des Ă©tudes et de la recherche sur le droit et la justice, crĂ©Ă© fin 2021, lance ses premiers appels Ă  projets //////// 


Vous aimez ce que vous lisez ? Alors réfléchissez à deux fois avant de nous transférer : une fois ça va, vingt fois, bonjour les dégâts.


//////// Les biologistes accepteraient plus facilement des projets proposĂ©s par des Ă©quipes amĂ©ricaines que chinoises, rĂ©vèle une publication dans Scientometrics basĂ©e sur un sondage rĂ©alisĂ© en Europe et aux États-Unis. C’est le biais gĂ©ographique //////// Autre biais, celui de genre : des scientifiques nĂ©erlandais rĂ©vèlent que les femmes sont moins bien Ă©valuĂ©es que les hommes dans les appels Ă  projets. MalgrĂ© leur moins bonnes notes, elles sont quand mĂŞme sĂ©lectionnĂ©es sous couvert de paritĂ©, ce qui laisse croire de l’extĂ©rieur Ă  une parfaite Ă©galitĂ© de traitement //////// Transition parfaite : nous cĂ©lĂ©brons aujourd’hui et comme tous les 11 fĂ©vrier depuis 2016 la JournĂ©e internationale des femmes et des filles de science, Ă  l’initiative de l’Unesco. Sauf que cette annĂ©e, c’est en direct de Dubaï ////////


Votre revue
de presse express


  • Aux sombres hĂ©ros. Le One Ocean Summit s’achève Ă  Brest aujourd’hui, mĂŞlant politiques et chercheurs internationaux. Ces derniers ont beaucoup d’attentes mais ne se font pas d’illusions, d’après le Huffington Post. L’exploitation minière est notamment discutĂ©e.
  • TĂ©lĂ©phone maison. D’autres prĂ©fèrent regarder le ciel Ă  la recherche de vie extraterrestre. Des projets comme celui du chercheur de Harvard Avi Loeb nourrissent la rumeur qui monte aux États-Unis sur la dĂ©couverte imminente de nos homologues intergalactiques, rapporte The Guardian.
  • Paroles, paroles. Encore un record en fusion nuclĂ©aire – un mois après la Chine, c’est ici au sein du JET britannique, rapporte le Monde via l’AFP. Pour reprendre vos esprits devant ce dĂ©chaĂ®nement mĂ©diatique, vous pouvez relire notre numĂ©ro de septembre dernier sur le sujet.
  • Petites ou grosses gouttes ? Le dĂ©bat fait toujours rage (relire notre numĂ©ro). Les anonymes de RogueESR attaquent le Haut Conseil de SantĂ© Publique (HSCP) pour son dernier rapport reposant sur « un travail bibliographique non exhaustif et choisi pour valider des conclusions rigoureusement inverses Ă  celles de la littĂ©rature scientifique ».


Et pour finir…
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Tout chercheur aimerait que d’aussi belles reprĂ©sentations d’artiste soient rĂ©alisĂ©es Ă  partir de son travail, n’est-ce pas ? Celle-ci montre Ă  quoi pouvait ressembler Utaurora comosa, une espèce de l’ordre des opabiniidĂ©s qui remonte au Cambrien. CrĂ©dit : F. Anthony