A très vite,
Lucile de TMN
 PS.  Le livre d’Adèle Combes fait grand bruit : nous avions été parmi les premiers à l’interviewer dans cet épisode de Rendez-vous avec Matilda.

Au taquet de l’actualité géopolitique ?

« Je voulais réagir à votre interview sur le Brexit et la science car il se trouve que nous venons d’être informés que notre projet EIC Pathfinder soumis en mai 2021, associant trois pays (France, Espagne et Suisse) était inéligible. La raison étant que la Suisse ne fait plus partie des pays associés à l’UE. Je passerai sur notre déception et notre impression d’avoir encore bossé pour rien… Le fait que la décision soit rétroactive à tous les appels à projet de 2021 est un coup bas pour la recherche. Et pourtant j’entends déjà dire autour de moi : « Vous auriez pu vous en douter ! ». Donc, en plus de rédiger des projets, des rapports, des demandes de financement, des évaluations, de la formation des jeunes, et accessoirement de faire un peu de science, on s’attend aussi à ce que je sois au taquet de l’actualité géopolitique ? Je suis perplexe. »

Encadrement : La compétence scientifique n’est pas suffisante

« Il est pour le moins surprenant qu’un directeur de thèse puisse écrire « je propose un contrat CDD (type ingénieur) de trois ans avec engagement de résultats pour le candidat, et qui peut être interrompu à tout moment (avec justification, bien sûr) par le directeur si le travail n’est pas satisfaisant » sachant que, comme son nom l’indique, le propre d’un CDD est que sa durée est convenue en amont et qu’il ne peut être interrompu qu’exceptionnellement et dans des cas très précis encadrés par la loi. Quant à envisager de faire rembourser des salaires à des doctorants qui ne donneraient pas satisfaction, cela nécessiterait de réécrire le droit du travail !
La compétence scientifique n’est pas suffisante pour encadrer des personnes. Encadrer cela s’apprend et doit s’accompagner de la prise de conscience que, dans l’organisation normale du travail, c’est l’encadrant qui est responsable des résultats des gens qu’il encadre et ce d’autant plus qu’un doctorant est en apprentissage du métier de chercheur. Si certains encadrants semblent espérer que des apprentis produisent les résultats à leur place sans avoir besoin de consacrer du temps à les accompagner, c’est peut-être qu’ils n’ont pas été formés et manquent de compétences pour réaliser leur mission d’encadrement.
Des fiches permettant de sensibiliser les encadrants de thèse à cette mission – qui dépasse les compétences scientifiques – ont été rédigées conjointement par deux associations, l’Andes et la CJC et sont à la disposition de l’ensemble des acteurs du doctorat (dans le cas qui nous occupe, les fiches 11 et 20 paraissent très utiles). »

Doctorat : de quelle dévalorisation parle-t-on ?

« Je passerai sur la confusion « étudiant » / « doctorant », et sur le qualificatif péjoratif de « thésard » dans le texte, assez habituelle malheureusement mais qui ne m’étonne pas de la part de l’auteur d’une telle proposition. J’ai été assez choquée par la proposition qui y est décrite. Celle de renommer le contrat doctoral en contrat d’ingénieur, qu’on assortira à un droit — pour le directeur de thèse — de vie ou de mort du contrat.
D’une part, cela entraînerait une confusion des rôles et des rapports hiérarchiques entre le doctorant et son directeur de thèse. Le second est supposé accompagner le premier dans son apprentissage du métier (et dans le décryptage de ses règles du jeu) et non lui imposer un certain nombre de tâches à exécuter comme l’impliquerait un simple contrat d’ingénieur.
D’autre part, soumettre la poursuite d’un contrat à la satisfaction du directeur de thèse, deviendrait un moyen de pression supplémentaire inacceptable vis-à-vis du doctorant qui assume déjà le poids d’un grand nombre d’incertitudes dans l’exercice de son travail et vis-à-vis de son avenir. Et puis ce serait nier la distribution des responsabilités dans l’échec d’une thèse, entre celles du doctorant (et des aléas éventuels qu’il peut rencontrer en parallèle de sa vie professionnelle), de l’encadrant, des organisations dans lesquelles s’inscrivent la thèse et de l’institution.Cela dit, il est peut-être difficile d’attendre de la part d’un encadrant qui trouve les réunions de comité de suivi chronophages (que dire alors de l’encadrement d’une thèse), qu’il assume sa responsabilité partielle dans l’échec d’une thèse.
Que je sache, nous parlons bien de recherche et je ne connais pas encore d’instance dans la recherche qui permette de licencier un chercheur pour « travail insatisfaisant », c’est-à-dire hors constat d’insuffisance professionnelle ou faute grave.
Enfin, j’ai aussi lu avec stupeur dans cette réaction que l’obtention d’une thèse après trois ans serait une simple formalité qui entraînerait la dévalorisation du diplôme de doctorat. Mais donnons directement le diplôme aux masterants, puisque c’est le cas ! Je serais aussi très intéressée à comprendre de quelle dévalorisation il est fait mention. Par les chercheurs et enseignants-chercheurs eux-mêmes ? Sur quels critères ? Des critères bibliométriques ? Mais dans ce cas là supprimons le doctorat et n’ouvrons des postes que sur la base de critères de publication. A moins qu’on ne parle ici de la dévalorisation du doctorat en France par les acteurs du monde socio-économique ? Mais je ne crois pas que la simple formalité de l’obtention d’un diplôme de docteur entre dans leurs critères d’appréciation et dans leur système de représentation. »

Science ouverte & évaluation : juste de la com’ ?

« Petite réaction sur les « nouvelles » modalités de recrutement au CNRS : c’est bien beau de changer ces modalités, mais avec la réduction drastique du nombre de postes et la volonté encore plus affichée de vouloir supprimer le CNRS (pour le remplacer en agence de moyen, voir le rapport de la Cour des Comptes), je me demande si finalement tout ça n’est pas juste de la com’ pour les quelques dernières années où des postes en nombre ridicule sont encore proposés au concours. En tout état de cause, je ne vois pas trop comment réduire la liste de production scientifique à dix éléments permet de limiter le recrutement sur la base du h-index étant donné qu’on se doute bien que les membres du jury chercheront l’ensemble des publis des candidats et que ces dernier·e·s en toute logique les mettront en avant dans leurs rapports sur les travaux antérieurs et dans leur projet. »

• Femme avant tout. Une chercheuse enceinte admise au concours peut reporter sa prise de fonction si elle le souhaite. Viviane Pons – relisez son interview – explore la maternité en recherche sur son blog à travers trois témoignages.
• Encore une louchée. Didier Raoult, nous n’avons pas fini d’en entendre parler. Mediapart résume deux années d’enquête sur le chercheur marseillais et son entourage en quinze minutes de vidéo (en libre accès).
• Principes et réalités. Le rapport commandé par la Maison blanche sur l’intégrité scientifique conclut au besoin de protéger l’autonomie des chercheurs face aux conflits d’intérêt mais reste flou sur les dispositions concrètes à prendre, selon Axios.