Il a suffi de poser la question et les témoignages ont afflué : plusieurs dizaines de vacataires ont répondu à notre appel diffusé il y a deux semaines. Les situations évoquées se suivent et se ressemblent : des doctorants ou des docteurs plutôt en début de carrière aux prises avec les complexités d’un statut qui les dépassent souvent. Paiements en retard, difficultés kafkaïennes (voir encadré plus bas)… Pour ces collègues aux portes de l’académie, la potion est amère. Une situation figée depuis de nombreuses années qu’un collectif tente de faire évoluer.
« Être vacataire ne peut pas être un métier. Nous devons certainement mieux encadrer [les vacations] »
Sylvie Retailleau
Tous ensemble. « C’est la première fois qu’un mouvement national de rétention des notes se met en place chez les précaires : parmi les collègues, beaucoup en craignent évidemment les conséquences pour eux-mêmes mais ils sont dégoûtés de la manière dont ils sont traités depuis des années », témoigne-t-on du côté du collectif Vacataires, dont les actions sont colligées sur ce site. Leurs demandes ? Doubler leur rémunération, faute de quoi les intéressé·es sont appelés à retenir les notes des copies qu’ils devront corriger courant mai.
Comptez-vous. Qui sont les vacataires ? Sur le principe, rien de mystérieux : des professionnels extérieurs censés amener leur expérience au sein des établissements d’enseignement supérieur. Un principe que le cabinet de Sylvie Retailleau au ministère de la Recherche veut défendre : « Les vacations sont essentielles dans l’enseignement supérieur, sans professionnels intervenants dans les formations, ce serait problématique. Mais il ne faut pas dévoyer le système ». Interpellée sur le sujet à l’Assemblée nationale début mai, la ministre a posé un début de constat : « être vacataire ne peut pas être un métier. Nous devons certainement mieux les encadrer »… sans s’avancer plus à ce stade.
« L’utilisation du statut de vacataires pour faire travailler des jeunes chercheurs et chercheuses devrait être interdit »
La Confédération des jeunes chercheurs
Doigt mouillé. « Le nombre de vacataires a connu une évolution progressive depuis les années 1990 avec un renforcement dans les années 2000 dans un contexte d’autonomie des universités, qui les a amenées à réduire les coûts. Impossible pour elles de délocaliser… alors même qu’elles embauchent à des taux horaires dérisoires », pointe le collectif des vacataires. Taillé pour des professionnels rémunérés par ailleurs, l’utilisation du statut de vacataire « pour faire travailler des jeunes chercheurs et chercheuses devrait être interdite », dénonce de son côté la Confédération des jeunes chercheurs, très remontée sur ce sujet depuis des années. « L’utilisation de ce statut est aujourd’hui très peu régulée, et largement aux limites de la légalité ». Il fait pourtant florès.
Tableau Excel. Dans un petit monde qui adore les datas, celles sur le recours aux vacations manquent pourtant cruellement de “granularité”, comme on dit : un chiffre de 127 952 vacataires circule, calculé par les services du ministère… mais date de 2019. La Confédération des jeunes chercheurs (CJC) extrapole elle que « le nombre total d’enseignant·es vacataires en 2020-2021 peut être estimé à environ 166 000 personnes, un chiffre global comprenant toutes les catégories d’intervenants. Ce nombre est en augmentation constante depuis dix ans ». Julien Gossa, enseignant-chercheur et spécialiste des données de l’ESR, renchérit : « Ce qu’on a de plus solide au niveau national, ce sont les taux d’encadrement [des étudiants avant doctorat, NDLR] par les titulaires : il baisse de 20% entre 2013 et 2020, sans baisse du nombre d’heures, ce qui conduit mécaniquement à plus de vacations et plus d’heures complémentaires ».
« Nous tenons à ce que la mensualisation des paiements se mette en place »
Ministère de la Recherche
Toujours des chiffres. Dans son guide des droits des enseignants vacataires, paru début avril, la CJC a réussi à mettre la main sur un jeu de data plus fouillé remontant à 2017, que vous pouvez télécharger ici. En 2017 donc, le trio de tête hexagonal du recours aux vacataires était occupé par l’université de Montpellier (5049 vacataires), suivi de près par Strasbourg (4868) et Aix Marseille Université (4754). Les délais de paiement remontent comme un des principaux motifs d’insatisfaction dans les témoignages que nous avons reçus. L’université de Rouen, l’université de Strasbourg ou celle de Toulouse 3 mettaient en moyenne six mois à régler leurs vacations mais des délais de plus de deux ans nous ont été signalés dans d’autres établissements. Avec pour les intéressé·es, des problèmes administratifs et humains parfois insolubles à la clef, notamment avec Pôle emploi (voir encadré).
Moi après mois. La loi a évolué depuis : depuis le 1er septembre 2022, les rémunérations des vacataires sont censées être mensualisées. Censées, parce que dans les faits, le dispositif n’est pas encore en place ou alors de manière très hétérogène. Un retard que reconnaît et déplore le cabinet de Sylvie Retailleau : « Nous tenons à ce que cette mesure se mette en place. Les problèmes sont variés : le système veut que la paie se fasse à service fait. Avec la mensualisation cette pratique doit changer, or les process sont lourds à gérer pour les établissements et chronophages pour les personnels ». Ce qui est un inconfort pour les vacataires “légitimes” — employés par ailleurs — a tout du casse-tête pour ceux pour qui ces rémunérations sont le principal revenu, en plus d’une expérience valorisable sur le CV académique.
« Beaucoup en craignent évidemment les conséquences pour eux-mêmes mais ils sont dégoûtés de la manière dont ils sont traités »
Le Collectif Vacataires.org
Vacataires&co. À la fois le Collectif et la CJC pointent la situation particulièrement problématique des jeunes chercheurs amenés à effectuer des vacations en plus ou — c’est encore plus problématique — en lieu et place d’un contrat doctoral en bonne et due forme. Côté ministère, on rappelle que « les vacations sont destinés à des professionnels qui viennent faire profiter les étudiants de leur expérience » et avance quelques chiffres, obtenus par sondage auprès des établissements : « 70% à 80% des vacataires sont dans ce premier cas, comme des fonctionnaires d’autres administrations (santé, justice, police…), du CNRS, des salariés d’entreprise. Le reste est constitué d’employés de plus petites entreprises — voire des autoentreprises — et 10% maximum sont constitués d’étudiants, soit environ 14 000 personnes ».
Fragiles. Ces personnels tout particulièrement précarisés se compteraient beaucoup parmi les sciences humaines et sociales au sens large du terme, qui plus est toujours surreprésentés parmi les 25% de thèses non financées. Des disciplines qui de surcroît ont moins bénéficié des milliards des plans d’investissement thématiques, comme l’hydrogène ou d’autres. Ils sont logiquement les plus en pointe dans le mouvement de contestation qui prend son envol en ce mois de mai. Reste maintenant à savoir s’ils ont une chance d’obtenir gain de cause surtout en prenant le risque de retenir les notes des copies passant entre leurs mains. Difficile en effet de demander à des précaires de se mettre en délicatesse avec leur employeur.
« Augmenter [les rémunérations] aurait des répercussions à plusieurs niveaux, y toucher est donc compliqué »
Le ministère de la Recherche
Mission possible ? Le Collectif a donc adopté une approche permettant de déclencher la rétention des notes une fois qu’un certain nombre de vacataires se sont déclarés volontaires, afin d’obtenir des avancées établissements par établissements. Les syndicats n’étant majoritairement pas de la partie, faut-il attendre un geste au niveau national ? Dans ce cas comme dans d’autres, l’autonomie aidant, les universités ont la main, analyse le ministère : « Les établissements pourraient dans certains cas aller plus loin [en termes de rémunération, NDLR] mais ne le feront pas par peur de créer des déséquilibres, notamment entre titulaires et vacataires : la base de rémunération est l’heure complémentaire, elle est indexée sur le point d’indice. L’augmenter aurait des répercussions à plusieurs niveaux, y toucher est donc compliqué ».
ELLES ET ILS TÉMOIGNENT « Ce versement annuel ou semestriel, au-delà des difficultés évidentes à payer son loyer et ses factures dans les mois d’intervalle, a généré des difficultés administratives importantes pour les vacataires. Une personne témoigne notamment d’une procédure de Pôle emploi accusant la vacataire d’avoir caché ses revenus mensuels afin de percevoir frauduleusement des indemnités… parce qu’elle a déclaré sa rémunération effectivement reçue en une fois à la fin du semestre (…) Nos difficultés de vacataires sont difficiles à faire entendre à l’administration. Les personnels administratifs en charge des paiements sont souvent elleux-mêmes face à des conditions et une charge de travail qui les mettent en difficulté. Les revendications des vacataires pourraient déstructurer l’organisation qu’iels ont créée pour que la barque ne coule pas » ▶ Collectif Dicensus (Université de Strasbourg) « J’ai été payée minimum 6 mois après la fin de mes TDs. Une année, j’ai remarqué que je n’avais pas été payée l’année précédente grâce à ma déclaration d’impôts : quand j’ai appelé la fac, je me suis rendu compte que la secrétaire avait changé et que les dossiers n’avaient pas été transmis (combien de vacataires n’ont pas été payé·es cette année là… ?) » ▶ Albane*, doctorante parisienne « Je démarre en septembre 2016 une thèse financée par un contrat Région. Je donne plusieurs cours à l’époque. Ne pouvant pas louer d’appartement dans la ville où je réalise ce travail de thèse avec mission d’enseignement, je décide de retourner (à 26 ans) vivre chez ma mère. Toutes les semaines, je voyage en train, à mes frais. Lorsque les correspondances s’enchaînent sans accroc, je mets 3 à 4 heures pour faire le chemin. C’est épuisant. C’est surtout très coûteux. De septembre à janvier, j’ai donc travaillé à perte, les trajets me coûtant plus cher que ce que je gagnais (ou gagnerai plus tard) pour donner ces cours. Le salaire des heures de cours dispensées alors que j’étais sous contrat post-doctoral n’a pas été mensualisé. L’Université ne m’a payée que plusieurs mois plus tard, alors que mon contrat de travail était terminé et que j’étais à nouveau au chômage, m’obligeant à négocier avec Pôle Emploi pour ne pas perdre mon allocation. » ▶ Camille*, doctorante en sociologie « Les vacations arrondissent les fins de mois et me permettent d’accumuler une expérience dans l’enseignement. Sans cela, je serais mal. Mais le temps avance, je suis mère de famille, je vis seule avec ma fille et j’attends toujours la reconnaissance de tous mes efforts. Pour mes vacations, j’ai dû attendre février pour être rémunérée d’un travail effectué en septembre. Ces 3200 euros manquant ont fait que je paye des agios ; chaque lettre de rappel de la banque me coûte 80 euros. On se plie au jeu de peur de passer pour des moutons noirs mais la situation est pire que dans un système ultralibéral. Dans ma discipline, on compte 120 personnes pour un seul poste, tout revient à cela, au final. » ▶ Anaïs*, vacataire « J’avais déjà eu des expériences dans le privé auparavant, je n’ai pas l’habitude d’un fonctionnement institutionnel où on doit faire valoir ses droits en permanence, c’est une perte d’énergie monstrueuse. Je suis militante dans l’âme, ça doit bouger pour les générations suivantes même si c’est peine perdue pour la mienne. J’ai tout de même eu la chance d’être soutenue par mon laboratoire, notamment grâce à un gestionnaire au sein de l’unité qui était très à jour sur ces questions mais je n’ai pas du tout été guidée par l’école doctorale. » ▶ Jeanne Gavard-Veau * Les prénoms signalés par une astérisque ont été anonymisés à leur demande |