Un rapport et après ?

Attendu par les uns, craint par les autres, le rapport Gillet a été rendu mi-juin à Sylvie Retailleau. Reste maintenant à savoir quoi en faire.

— Le 28 juin 2023

Dire que le document remis par Philippe Gillet et ses coauteurs comprenant 14 propositions « pour engager le processus de rénovation et de simplification de l’écosystème national » remis au ministère de la Recherche est rafraîchissant serait mentir, tant le constat est connu et partagé par tous : la recherche française ploie sous la complexité administrative, l’empilement ou la conjonction des hiérarchies, une politique de financement par appels à projet aujourd’hui questionnée et un sous-financement que les milliards de la Loi de programmation de la recherche ont seulement tenté d’enrayer. Le temps des arbitrages financiers et politiques est maintenant venu pour que cet opus ne finisse pas au purgatoire des rapports lus et non approuvés. 

« Recruter 10 000 chercheurs, comme on l’entend parfois, ce n’est juste pas possible en ce moment ! »

Philippe Gillet

Descendance. Ce rapport ne vient pas de nulle part : son principal auteur Philippe Gillet, a été directeur de cabinet de Valérie Pécresse, au moment où cette dernière alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR) a mis sur pied “sa” grande loi sur l’autonomie des universités, qui donne encore le “la” des débats sur l’ESR une quinzaine d’années plus tard. Son rendu le 15 juin dernier au ministère de Sylvie Retailleau s’est fait après une large concertation… et sous l’œil « vigilant » — c’est un euphémisme — de certains, syndicats en tête. Avec une certitude après lecture, la lettre de mission de la ministre a été suivie au pied… de la lettre.

Depuis le Château. « Ce rapport et la mission mise en place par la ministre s’inscrivent dans la suite de la campagne présidentielle, du rapport de la Cour des comptes [consultable ici, NDLR] et du discours d’Emmanuel Macron à France universités en 2021 [nous l’avions analysé ensemble, NDLR] ». Ce dernier avait mis sur la table la transformation des organismes de recherche (CNRS et consorts), encore floue à l’époque, en « agence de moyens », le tout au profit des universités. Une notion devenue par glissement sémantique « agence de programme » quelques mois après, notamment sous l’impulsion d’Antoine Petit, PDG du CNRS, inquiet du séisme institutionnel que la réforme aurait provoqué. Le statut d’agence de moyens viderait en effet d’une partie de leur substance les organismes de recherche.

« La crise de l’enseignement supérieur en France est un angle mort du rapport »

Christophe Bonnet

Hors de prix. D’agences de programme, il est donc question dans le rapport Gillet… mais aussi de simplification, de dotation aux jeunes chercheurs, de la création d’un Haut conseiller à la science au plus haut niveau de l’État, etc, etc. Une chose est sûre : les mesures proposées sont le fruit de l’actualité. En d’autres termes, elles devront se faire à l’économie : en période d’inflation galopante, post crise, post Covid, post Loi de programmation de la Recherche (LPPR), les portes du ministère des Finances risquent fort de rester fermer, surtout que ce dernier semble inclure la dizaine de milliards de France 2030 dans l’effort consenti à la recherche. La messe est-elle dite pour autant ?

Tirelire. De l’aveu même de Philippe Gillet, « les contraintes budgétaires sont dans l’air du temps : recruter 10 000 chercheurs, comme on l’entend parfois, ce n’est juste pas possible en ce moment ! La ministre a devant elle des arbitrages budgétaires compliqués. Notre rapport est là pour lui donner des arguments ». Les syndicats ne l’entendent évidemment pas de la même oreille : « De manière générale, la crise de l’enseignement supérieur en France est un angle mort du rapport : résoudre le problème de la productivité de la recherche française passe nécessairement par des embauches. À moyens constants, ça ne passe pas », analyse Christophe Bonnet, secrétaire fédéral de la CFDT.

« Il s’agit d’une attaque en règle des statuts »

Caroline Mauriat

Pas touche. Le rapport suit donc les recommandations de la ministre : le statut des Unités mixtes de recherche (UMR) ne sera notamment pas remis en cause. Sur l’exercice des chercheurs, le texte avance tout de même quelques pions, notamment la création d’une dotation pour les nouveaux recruté·es pendant trois ans, comprise entre 10 000 et 100 000 euros par an, pour un coût total estimé (mais non financé à ce jour) de 300 millions d’euros, assorti d’un allègement des enseignements, ramenés à 64 heures équivalents TD durant cette période de “rodage”. « Allouer un budget initial conséquent aux nouveaux recrutés, combiné à une décharge (…) en matière d’enseignement, revient à donner les conditions des Chaires de professeur junior (CPJ) pour tous ! », remarque un rien narquois Christophe Bonnet, dont le syndicat s’est opposé à leur création.

TD pour tous. Caroline Mauriat, co-secrétaire générale du Snesup a la dent beaucoup plus dure : « L’allégement de service des jeunes chercheurs mènera à alourdir le service des autres enseignants chercheurs. Si l’on ajoute la volonté de pousser les chercheurs à enseigner, il s’agit d’une attaque en règle des statuts ». Philippe Gillet le justifie : « Recruter un jeune sans lui donner de moyens est comme recruter un boulanger sans lui donner de la farine. L’excellence ne se construit pas sur un petit nombre mais sur la multitude. On entend beaucoup dire qu’il faut 1000 start-up pour une licorne, certes mais il faut aussi 1000 chercheurs pour un Nobel ». 

« Cette tendance à la suradministration n’est pas que française, elle se constate ailleurs »

Philippe Gillet

À votre bon cœur. Si le rapport pousse bien les chercheurs à passer la porte des salles de cours, confier 32 ou 64 heures de TD systématiquement à ces derniers ne figure pourtant pas parmi ses propositions : « Rien d’impossible si tous s’y mettent, assène Philippe Gillet, 32 h d’enseignement par an, ce n’est pas grand chose. Il y a peu de pays au monde où les chercheurs n’enseignent pas. On ne peut pas dire en même temps qu’il est important de communiquer la science et de ne pas le faire auprès des étudiants ». Gageons que cette polémique vieille comme l’ESR ne sera pas résolue dans les mois à venir, la ministre Sylvie Retailleau ayant mis l’accent sur la simplification du système, pas sur sa réforme.

Au pied du mur. Et puisqu’il est question de simplification, comment s’y atteler ? Comme le résume Philippe Gillet : « Les chercheurs attendent de la simplification qu’elle leur rende la vie plus simple pour éviter la perte de sens. Je vous rassure, cette tendance à la sur-administration n’est pas que française, elle se constate ailleurs ». Le ministère de la Recherche a sa petite idée : « Nous ne prendrons pas l’angle “système de gestion” mais préférons partir du service aux labos et de leurs besoins pour y aligner nos réponses. Cet angle système a été tenté [le SI labo visait à déployer des systèmes d’information partagés pour faciliter la gestion et le pilotage des activités de recherche, NDLR] et arrêté depuis. Ce qui reste à faire est donc à la fois le plus facile, puisqu’il n’y a pas de coûts de développement mais aussi le plus difficile puisqu’il s’agit de management et de négociation entre les acteurs ». Une série d’une dizaine d’expérimentations pilotées par le ministère seront mises en place dans les prochains mois. Vous jugerez sur pièces. 

« Le Haut conseiller à la science ne serait pas un ministre de la Recherche bis »

Ministère de la recherche

Superintendant. Reste une proposition qui a fait lever plus d’un sourcil : la création d’un Haut conseiller à la science (relire notre interview du Scientifique en chef québecois Rémi Quirion) directement “pluggé” à l’Élysée ou à Matignon — au plus haut niveau donc. Les contours restent aujourd’hui bien flou, malgré une inspiration ouvertement anglosaxonne, selon les propos-mêmes de Philippe Gillet : « Il aurait un rôle de sage, avec une vision à 360° des enjeux politiques de la science, notamment dans les négociations internationales et la diplomatie scientifique. Mona Nemer, la “scientific advisor” canadienne, réfère à la fois à Justin Trudeau et au ministre de la Recherche, tout en gardant une certaine neutralité ». Voilà qui aurait le mérite d’animer les débats — et de ne pas coûter cher. Est-ce pour autant une pierre dans le jardin du ministère de la Recherche ? 

Maintenant, discutons. Du côté de la montagne Sainte-Geneviève, on temporise sans en prendre ombrage : « Le HCS ne serait pas un ministre de la Recherche bis, il ou elle ne porterait pas la politique scientifique du pays. Il est donc trop tôt pour vous dire si cela sera retenu, le sujet doit être discuté à l’Elysée et à Matignon et son rôle exact reste à déterminer. Une chose est sûre : « tous les conseils précédents ont montré leur vacuité, une acculturation de la fonction publique à la science mais également des politiques et des parlementaires est nécessaire », commente le sénateur Pierre Ouzoulias. Avoir une parole scientifique au plus haut niveau, prendre des décisions dans tous les ministères sur la base de résultats scientifiques est intéressant. » En espérant que le message se fraie un chemin jusqu’à Emmanuel Macron ou son successeur et qu’il le gardera en tête si jamais il lui prenait l’envie de payer une visite à un Didier Raoult du futur.

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