Le baromètre de l’Enseignement supérieur et de la recherche pour 2023 est paru ! 2460 répondants de toutes disciplines et fonctions dans l’ESR l’ont rempli tout ou partie. Voici les résultats intégraux en un seul fichier ainsi que sur le site de la CPESR (Conférence des praticiennes et praticiens de l’enseignement supérieur et de la recherche). Cette dernière a mené le travail de conception et traitement des résultats que TMN a accompagné dans la diffusion. Avant de se plonger dans les chiffres, précisons que les répondants sont représentatifs de toute la population de l’ESR en ce qui concerne la pyramide des catégories et des responsabilités. Les enseignants-chercheurs titulaires sont sur-représentés, ainsi que les disciplines Lettres Langues Arts (LLA) / Sciences humaines et sociales (SHS) et STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques). >> Cet article est le premier d’une série. Le suivant sera publié le 15 novembre prochain. Tous les verbatims sont issus du baromètre. |
Bis repetita. Les années se suivent dans l’enseignement supérieur et la recherche. Mais se ressemblent-elles ? Le secteur a connu un train régulier de réforme depuis les années 2000, la dernière en date étant la Loi de programmation de la recherche (relire notre interview de Frédérique Vidal) initiée en 2019 et bouclée en 2020. À tel point que les mouvements incessants de ce meccano institutionnel (relire notre interview de Joël Laillier et Christian Topalov) ont projeté les praticiens que vous êtes dans un nouveau monde, fait d’Initiatives d’excellence (Idex), d’établissements expérimentaux (EPE), d’autonomie croissante des universités… avec en toile de fond un feu roulant d’appels à projets. La génération en poste est aux premières loges ; elle témoigne aujourd’hui.
« L’université n’est plus cet espace de liberté que j’avais choisie »
Dans le même sac. Le baromètre CPESR/TMN permet en effet de toucher du doigt ce qui ressemble à une déconnexion entre les praticiens “de base” et l’application des réformes de l’ESR depuis le début des années 2000. De façon écrasante, vous jugez en effet que les dernières loi du secteur (LRU, Loi Fioraso, loi ORE, Loi de programmation de la recherche et tutti quanti) ont eu pour effet de dégrader les conditions d’exercice de vos missions avec autour de 90% d’opinions négatives, quelque soit le texte considéré. À noter que la dernière en date, la LPR, s’en sort encore moins bien que ses prédécesseurs avec 5% d’opinions positives. L’amphigourique Loi organique relative aux lois de finances de 2001 reste en revanche un mystère pour un tiers d’entre vous. Elle a pourtant posé les bases des discussions budgétaires qui animent l’ESR tous les ans (et encore cette année). Au total, « 4% des opinions des répondants sur les réformes sont positives, contre 72% qui sont négatives ».
« Les instances proches sont tout à fait constructives et cherchent à faire fonctionner la machine du mieux possible »
Loin du cœur. Il en va des praticiens de l’ESR comme du Français moyen, qui salue le maire de son village mais regarde d’un œil plus torve ses élus, régionaux ou, à plus forte raison, nationaux. De près, on se comprend mieux, en somme. Les résultats du baromètre 2023 montrent que la proportion de répondants accordant leur confiance « pour améliorer [leurs] conditions de travail et la qualité de [leurs] missions » à la direction de leur laboratoire ou de leur composante (l’échelon le plus proche) culmine à plus de 50%. A contrario, l’État pris dans sa globalité et son bras armé le ministère de la Recherche récoltent la défiance de près de 90% des répondants.
« On va attendre la retraite en se préservant (…) même si la retraite s’éloigne quand on s’en approche »
Qui me parle ? Ce score, seules deux autres structures nationales s’en approchent : l’Agence nationale de la recherche, ainsi que le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hceres) avec près de 75% de défiance. Ce sentiment vis-à-vis de l’ANR, un sondage du Collège des sociétés savantes l’avait exploré en 2019 : près de la moitié des répondants souhaitait la voir disparaître, tant que les taux de succès ne dépassent pas les 25% – ce qui est en passe d’être le cas. Au total, « 18% des opinions des répondants témoignent d’une confiance envers les instances, contre 55% qui rapportent une défiance », note le baromètre.
« Deux burnouts dans mon laboratoire sur les trois dernières années, et probablement un troisième en cours… dans une université Idex »
Points aveugles. Chose remarquable — au sens premier du terme —, certaines institutions semblent être passées plus que d’autres sous les radars des praticiens. Tout particulièrement les instances représentatives des universités, puisque 20% environ des répondants avouent ignorer l’existence de France Universités et d’Udice, lobbys respectifs des président·es d’université et des établissements « intensifs en recherche », à savoir les dix Idex de France. L’Alliance des Universités de Recherche et de Formation (Auref), il est vrai plus discrète depuis quelques temps, est même une inconnue pour près d’un tiers des répondants. Le reflet d’un foisonnement institutionnel pas toujours lisible, y compris de l’intérieur.
« Qui utilisera le 49.3 pour embaucher les 11000 EC manquant à la France ? »
Tous ensembles ? Le décorticage des premiers résultats du baromètre dessinent un paradoxe : la liberté de chercher s’accompagne d’un encadrement de la part des instances nationales ressentie comme rigide voire étouffante par les répondants, notamment sur la charge administrative. Créant ainsi un sentiment de déclassement, d’isolement voire de fatalisme dans la profession, que nous décrivait l’historienne de l’ESR Emmanuelle Picard dans une récente interview (à relire ici), pointant le divorce consommé avec les instances de pouvoir et les politiques. L’historien des sciences Yves Gingras le résumait en des termes encore plus crus : « les chercheurs sont incapables d’actions collectives ». Le mot de la fin, nous le laisserons à un répondant de l’enquête : « Je déplore le déficit chronique d’engagement des personnels de l’ESR dans les mouvements sociaux d’opposition aux réformes néolibérales. Parmi les causes, selon moi, une forte adhésion à une norme individualiste (et) une sensibilité politique centriste ».
Ce sont au total 84 commentaires libres qui ont été récoltés grâce au baromètre CPESR/TMN. Pour ne pas prêter le flanc à des biais d’interprétation, ils ont été passés à la moulinette de ChatGPT. Ils se tiennent en trois points : ➤ Les conditions de travail : Les répondants soulignent les conditions de travail difficiles, notamment en raison de la charge administrative, des changements de règles fréquents et de la surcharge de travail. Ils expriment également leur épuisement et le manque de soutien des collègues et de l’administration. ➤ La précarité : Les répondants mentionnent la précarité des collègues sans poste, le manque d’opportunités d’emploi et la difficulté à obtenir un poste stable. Ils soulignent également les salaires bas et la dégradation de la qualité de l’administration publique. ➤ Les réformes : Les répondants critiquent les réformes du système d’enseignement supérieur et de recherche, les considérant comme des causes de dégradation. Ils mentionnent notamment la privatisation, la bureaucratisation excessive et les politiques de gestion basées sur des critères quantitatifs plutôt que qualitatifs. |