Gaëlle Vitali-Derrien : « Mon handicap est invisible »

Doctorante à Paris-Saclay, Gaëlle Vitali-Derrien plaide pour une recherche plus inclusive, notamment vis-à-vis des jeunes en situation de handicap. Elle nous raconte la sienne.

— Le 15 décembre 2023

Photo Lucile Veissier

En quoi les jeunes chercheurs en situation de handicap sont un sujet à part entière ?

Nous sommes peu nombreux [quelques centaines, les chiffres étant difficiles à rassembler devant la diversité des situations, comme le montrent les chercheuses Jeanne Boisselier et Jeanne Perrier, NDLR] et beaucoup de chercheurs en situation de handicap ne le sont devenus qu’après leur embauche [plusieurs exemples dans notre enquête sur les chercheurs malvoyants, NDLR]. Les études supérieures sont plus difficiles à mener avec un handicap : on observe plus de décrochage. Voyager ou partir à l’étranger est un élément essentiel de la recherche et participe à son prestige mais malheureusement, le handicap reste souvent un obstacle à la mobilité, notamment au moment des postdocs. 

Pourquoi est-ce plus compliqué d’aller faire un postdoc à l’étranger ?

Pour une raison simple : il n’existe pas de statut de chercheur ni même d’étudiant en situation de handicap reconnu à l’international – alors que celui d’étudiant européen existe. Partir vivre à l’étranger en situation de handicap implique de devoir tout reconstruire, socialement mais aussi administrativement. Alors que l’on est déjà confronté à des difficultés, typiquement des médicaments qui ne sont pas accessibles hors de France – même en Allemagne ! –, obligeant ainsi les jeunes chercheurs à faire des allers-retours juste pour récupérer de quoi suivre leur traitement. La création d’un tel statut d’étudiant en situation de handicap fait d’ailleurs partie du plaidoyer de l’association 100% Handinamique dans laquelle je suis engagée.

« Le handicap est la première source de discrimination en France »

Gaëlle Vitali-Derrien

Quel est le but de cette association ?

100% Handinamique est un mouvement en faveur d’une société plus inclusive grâce à un réseau réunissant acteurs publics et entreprises, représentant tous les handicaps mais toujours centré sur la jeunesse. Je l’ai découvert lors d’un événement au début de mon doctorat et j’en suis aujourd’hui vice-présidente pour l’enseignement supérieur. J’ai par ailleurs pu réaliser un mini-stage auprès de la ministre Sylvie Retailleau dans le cadre du Duoday en 2022, temps fort annuel de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées. J’ai pu constater qu’elle était très sensibilisée à la question du handicap.

L’inclusivité est dans l’air du temps. Mais comment la mettre en pratique ?

On parle certes de plus en plus d’inclusivité mais on oublie trop souvent que le terme visait au départ à lutter contre les discriminations rencontrées par les personnes en situation de handicap. D’après le défenseur des droits, le handicap est la première source de discrimination en France devant le sexe ou l’origine ethnique. Et l’ESR n’est pas à l’abri : selon l’enquête ACADISCRI, 4% des personnels déclarent en avoir subi [soit environ la même proportion que celle des personnels en situation de handicap dans la recherche, NDLR], pour beaucoup des violences verbales. Alternativement à l’inclusivité, on parle aussi d’accessibilité – par exemple un guide vient de paraître sur l’accessibilité numérique –, ce qui est une bonne première étape mais reste souvent un pansement. L’inclusivité va plus loin, cherche à englober toutes les personnes, quelle que soit leur situation. C’est une sorte d’idéal que l’on cherche à atteindre et la jeunesse a un rôle à jouer là-dedans. 

Voulez-vous parler de votre handicap ?

Mon handicap est invisible : je suis atteinte d’une maladie orpheline, une myopathie, pour laquelle j’ai été diagnostiquée à l’adolescence. Le traitement que je dois suivre pour tenter de l’enrayer est assez lourd, ce qui m’a obligé à rater des cours durant ma scolarité et mes études supérieures. Et malheureusement, les aménagements proposés aux étudiants sont parfois contre-productifs : rallonger les épreuves pour les personnes comme moi qui fatiguent très vite y ajoute de la difficulté ! Je tiens à préciser qu’après mes années de classe préparatoire qui étaient assez difficiles, j’ai été très bien accueillie à CentraleSupélec ainsi qu’à l’Université Paris-Saclay, où je poursuis actuellement mon doctorat en physique.

« Le programme de contrats doctoraux fléchés handicap est très compétitif »

Gaëlle Vitali-Derrien

Justement, comment se déroule votre doctorat ?

Mon état de santé s’est grandement amélioré depuis que j’ai commencé ! Le doctorat offre plus de flexibilité que les études, ce qui me permet d’ajuster la charge de travail à mon état de santé. J’ai par exemple pu tenter une réduction de mon traitement – ce dernier entraîne des effets secondaires –, tout en sachant que les conséquences seraient de grosses fatigues et donc potentiellement du retard dans la thèse…

En tant que doctorante et en situation de handicap, bénéficiez-vous d’un contrat ou d’un financement particulier ?

J’ai obtenu un contrat doctoral fléché handicap par l’Université Paris-Saclay, similaire à ceux des campagnes annuelles nationales. Ce programme est assez compétitif, il y a beaucoup de candidats par rapport au nombre de financements. Cela demande également une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) qui prend du temps et qu’on anticipe rarement avant le doctorat – on pense qu’elle n’est utile que lorsqu’on travaille. J’aurais pu signer un doctorat ordinaire mais je suis très contente de bénéficier d’un de ces contrats fléchés car il m’a permis d’obtenir une extension de mon financement, plus facilement accordée dans ce cadre. 

Les encadrants sont-ils assez sensibilisés ?

Le niveau de sensibilisation est très variable. Cela faisait partie des critères quand je cherchais où faire mon doctorat. J’en parlais à chaque équipe que je rencontrais et aucune n’a refusé ma venue mais j’ai choisi l’endroit qui était le plus bienveillant, où les personnes avaient fait la démarche de se former. L’absence d’obligation à la formation sur ces sujets est un gros problème dans l’ESR. On le sait pourtant et les enquêtes du Réseau national des collèges doctoraux (RNCD) le montrent, les situations de mal-être proviennent principalement d’erreurs de management

« L’excellence et l’élitisme de la recherche sont actuellement de vrais vecteurs d’exclusion. »

Gaëlle Vitali-Derrien

Une convention cadre vient d’être signée entre France Universités et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP, voir encadré). Quels sont les enjeux ?

100% Handinamique était présent lors de la signature de cette convention qui vise à faire progresser à la fois l’embauche des personnels et l’inclusion des étudiants. Elle doit se décliner localement car depuis 2013, chaque université doit fournir un Schéma Directeur Handicap – ce que beaucoup ont fait mais malheureusement pas toutes. L’obligation d’embauche de 6% de personnes en situation de handicap dans la fonction publique n’est pas respectée dans l’ESR (voir encadré) et bien qu’il existe un recrutement fléché de type CPJ [chaire de professeur junior, un CDD avec titularisation à la clé, NDLR], les personnes en situation de handicap sont majoritairement recrutées en catégorie C, la plus basse de la fonction publique. L’excellence et l’élitisme de la recherche sont actuellement de vrais vecteurs d’exclusion. Pourtant, les personnes en situation de handicap peuvent devenir des acteurs à part entière de l’excellence française.

Comment améliorer la situation en amont sur la formation universitaire ?

L’aspect positif est que les étudiants en situation de handicap se tournent majoritairement vers l’université [neuf sur dix selon les chiffres du MESR, même s’ils sont sous-représentés en master et doctorat, NDLR]. En revanche, il est dommage qu’on les décourage de s’orienter vers certaines formations comme celles en sciences de la nature en général et de médecine en particulier, avec l’argument que les travaux pratiques ne sont pas adaptés aux étudiants en situation de handicap. Les maquettes pédagogiques devraient au contraire être repensées. Lors de la signature de la convention, 100% Handinamique a mentionné le nombre trop faible de contrats doctoraux handicap, qui sont eux-mêmes trop souvent fléchés sciences naturelles au détriment des sciences humaines et sociales [alors que la majorité des étudiants sont orientés vers ces disciplines, NDLR]. Enfin, la vie étudiante est souvent mise de côté. Le handicap étant traité uniquement sous un aspect “médical”, l’accessibilité n’étant pensée qu’autour des enseignements, alors que les étudiants en situation de handicap ont aussi besoin de se socialiser et de s’amuser !

OBJECTIF 2028

Le président de France Universités Guillaume Gellé le rappelle : il s’agit du renouvellement d’une convention existante et qui sera valable quatre ans (la convention est à télécharger ici). « Elle permet à chaque établissement de porter des actions envers l’intégration des personnes en situation de handicap avec l’expertise et les moyens du Fonds handicap », une trentaine y participant actuellement. De moins de 1% en 2018, le taux d’employés en situation de handicap dans les universités est passé à plus de 4% : « D’ici dix ans, le renouvellement des ressources humaines va être l’opportunité de recruter plus de personnes en situation de handicap », prédit celui qui est également président de l’université de Reims Champagne-Ardenne.

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