Au revoir Moscou (et à jamais)

13.05.2022 • LA RECHERCHE ET SA PRATIQUE


La clef des champs

Pas de faux-semblants. Tout juste diplômés, ils refusent pourtant de partir dans des « jobs destructeurs » et de s’y perdre. Ces ingénieurs frais émoulus d’AgroParisTech l’ont annoncé lors de dernière remise des diplômes.

Responsables… Malgré l’utilité de leurs missions, ils dénoncent une formation qui « pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours ». S’orienter vers la paysannerie ou le militantisme leur sied mieux.

… mais pas coupables ? Le parallèle avec la recherche est vite fait, face aux injonctions à la productivité, la rentabilité et l’innovation auxquelles vous êtes confrontés. Certains d’entre vous se rebellent ainsi contre le “business as usual” (nous vous en parlions).

Le grand saut. Si vous doutez (ou si vous ne doutez pas), écrivez-nous pour en témoigner. Et rendez-vous peut-être un jour dans un champ ou sur une ZAD, qui sait…

A très vite, 
— Lucile de TheMetaNews.

Sommaire

→  INTERVIEW  Valérie Pozner revient de Moscou
→  UN CHIFFRE  Plus de visuels dans les publis
→  EXPRESS  Des d’infos en passant comme si il en pleuvait
→  ET POUR FINIR Parlez-vous mainiot ?

TEMPS DE LECTURE : 4 MINUTES

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TROIS QUESTIONS (OU PLUS) À VALÉRIE POZNER

« La Russie préfère laisser partir ses têtes pensantes »


Spécialiste de l’histoire du cinéma russe et soviétique au CNRS, Valérie Pozner était à Moscou au moment de l’invasion de l’Ukraine.

­Vous avez quitté la Russie il y a quelques semaines, dans quelles circonstances ?
    ↳ J’ai quitté Moscou le 31 mars 2022. J’y dirigeais le Centre d’études franco-russes (CEFR) qui dépend du CNRS mais aussi du ministère des Affaires étrangères. Des chercheurs français y étaient affectés pour quelques années. Nous recevions donc des boursiers, doctorants ou chercheurs qui effectuaient des recherches sur le terrain en Russie. 

Quand et pourquoi avez-vous pris la décision de fermer le Centre ?
   ↳ À mon arrivée en septembre 2021, la situation était déjà tendue. Au sein du CEFR, nous avions compris que les relations avec l’Ukraine seraient suspendues pour un certain temps. Trois jeunes doctorants sont venus à Moscou entre octobre et décembre, d’autres étaient prévus pour février ou mars. Certains sont arrivés la veille de la guerre et ont eu ordre de repartir le 25 février. Mon adjoint n’est jamais arrivé. Prenant conscience que le centre ne remplissait plus ses missions, j’ai décidé sa fermeture le 23 mars. Il était inutile de maintenir pour 1200 euros par mois une bibliothèque que personne ne visitait… 

Certains chercheurs russes s’exposent à des risques en critiquant le gouvernement. Pouviez-vous les aider ?
    ↳ Dès le début de la guerre, nous les avons soutenus en les aidant à obtenir un visa – je m’en occupe d’ailleurs encore quotidiennement. Tout d’abord pour ceux partis dans les pays limitrophes puis pour ceux qui demandent un visa de circulation dans l’espace Schengen « au cas où ». En effet, beaucoup veulent rester en Russie au moins jusqu’à juin pour terminer leurs enseignements ou l’encadrement des étudiants. Ils sont environ 200 chercheurs en SHS à avoir obtenu un visa. 

Quelles sont les réactions de vos collègues russes face à la guerre et à l’exil ?
   ↳ Elles sont très différentes. Certains ne veulent pas laisser leur pays aux mains des fascistes [pour ceux-là, certains médias russes aident à contourner la censure, NDLR], d’autres ne peuvent pas assumer de rester dans un pays agresseur face aux exactions en Ukraine. Parfois, le départ n’est même pas envisageable à cause de parents malades. Enfin, certains sont déjà partis pour Israël ou d’autres pays limitrophes qui n’exigent pas de visa pour les citoyens russes. 

En tant que Française à Moscou, avez-vous eu peur ?
  ↳ Non et pourtant j’apportais les listes des demandeurs de visa, considérés comme traîtres à la nation, à l’ambassade française. Mais je parle russe couramment, j’ai une tête passe-partout et je ne lisais bien sûr pas de médias interdits dans le métro ! Au début de la guerre, on pouvait craindre une fermeture des frontières mais il n’en fut rien. La Russie préfère laisser partir ses têtes pensantes. En revanche, pour nos recherches, nous allons devoir trouver une solution à long terme car nous sommes aujourd’hui — et pour des années — coupés de notre terrain…

◆ REDOUBLER LES EFFORTS ◆­
­Au lendemain du long discours du président Volodymyr Zelensky adressé aux étudiants français réunis à Sciences Po mercredi 11 mai, une tribune paraît dans Libération d’une cinquantaine de présidents d’université et de chercheurs, Manuel Tunon de Lara, président de France Universités, en tête. Le programme Pause étant sous-dimensionné (nous vous en parlions) pour les besoins actuels d’accueil de chercheurs ukrainiens, russes et biélorusses, leurs confrères français demandent à l’État « une dotation exceptionnelle d’urgence » et suggèrent aux entreprises qui bénéficient du Crédit impôt recherche (CIR) de contribuer également au soutien des scientifiques en exil. Il est encore possible de signer cette tribune

EXPRESS

Des infos en passant (1/2)


● Liste VIP. Qui mérite d’être auteur d’un papier ? Les sociologues possèdent une vision bien différente de celle des médecins, suggère cette étude publiée dans Plos One qui compare la définition des éditeurs du médical avec les réponses de plus de 2 000 chercheurs en sciences sociales. Les auteurs de l’étude appellent les institutions et les éditeurs à être plus explicites. Ce qu’a justement fait la Faculté de médecine de Sorbonne Université en recommandant notamment de définir la liste des auteurs en début de projet.

● Les oubliés. Les publications comportant des erreurs sont (parfois) rétractées, mais qu’en est-il des preprints ? Une étude de Plos One montre qu’en sciences de la vie et médecine, seulement un tiers des preprints à l’origine de publis rétractées sont mentionnés comme tels. Les auteurs n’ont recensé que trente cas mais alerte les plateformes de preprints : elles doivent prendre des mesures avant que le phénomène ne prenne de l’ampleur.

● Je m’voyais déjà. Les articles en couverture de Nature sont-ils plus cités que les autres de la même revue ? Oui mais si l’on compare aux autres publications des mêmes auteurs, ce n’est plus le cas, révèle une publication du Journal of Informetrics. Hypothèse personnelle : les publis en couverture seraient-elles donc sélectionnées pour leurs auteurs et non pour les résultats qu’elles contiennent ?

● Bons procédés. Les éditeurs s’échangeraient-ils des citations entre revues d’une même maison d’édition ? Toujours dans Journal of Informetrics, des chercheurs coréens proposent de mesurer le phénomène d’auto-citation à l’échelle d’une maison d’édition et non juste d’une revue. 

UN CHIFFRE

5,6%


Le nombre d’éléments visuels (graphes ou images) présentés dans les publis de biologie a augmenté d’un facteur 5,6 en trois décennies, révèle une étude postée sur BioarXiv. Si en 1989 un article comptait en moyenne une image et 4 graphiques, la norme est aujourd’hui à 13 images et 15 graphes (données de 2019). Une augmentation qui se répercute par l’explosion du nombre de “panels” par figure. Les biologistes – mais ils ne sont certainement pas les seuls – semblent vouloir en montrer toujours plus !

EXPRESS

Des infos en passant (2/2)



● Même tarif. Victoire des doctorant·es de l’Inrae au sujet des inégalités de salaires suite à la fusion Inra-Irstea puis à la Loi de programmation de la recherche (on vous donnait l’info mi-février) : selon le collectif, en septembre 2022, tous les contrats doctoraux seront rémunérés 1975 euros brut (et pas que pour les nouveaux entrants comme le prévoyait l’arrêté d’octobre 2021).

● Hermite. Faut-il arrêter la recherche scientifique ? Un colloque à Grenoble les 16, 17 et 18 mai reprend la fameuse question posée en 1972 par Alexandre Grothendieck – dont The New Yorker vient de publier un (très) long portrait au passage. Au programme du colloque : de la fraude scientifique, du scientisme et des applications néfastes.

● En haut de l’affiche. Envie de co-réaliser un court-métrage scientifique en duo avec un réalisateur professionnel ? Souvenez-vous, on interviewait la doctorante Silvia Malzi, co-lauréate du programme Symbiose de Pariscience 2021. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 8 juillet pour une compétition en octobre 2022.

● Adoubement. Citizen4Science vient d’être reconnu comme un service de presse en ligne baptisé Science infuse. Au lancement de l’association en janvier 2021, une suspicion de scientisme planait (relire notre numéro). Aujourd’hui, les 200 articles publiés sur leurs sites sont tantôt éclairants comme celui abordant les conflits d’intérêt des médecins, tantôt très politique comme un autre sur la réintégration des soignants non vaccinés.

EXPRESS

Votre revue de presse


→ Source tarie. La BNF réduit ses heures de consultation des documents : trois heures par jour contre huit auparavant – on vous en disait déjà un mot le 6 mai. Les lecteurs en colère, dont évidemment pas mal de chercheurs, y voient une atteinte au service public qui « assèchera la recherche française ». Libération publie leur tribune.

→ Être une femme. Collaborer est-il plus délicat lorsqu’on est une femme entourée d’hommes ? Rester en retrait ou se faire voler la vedette sont monnaie courante pour les chercheuses. La journaliste de Nature illustre son propos avec une collaboration 100% féminine et 100% réussie : celle d’Emmanuelle Charpentier et de Jennifer Doudna.

→ Exemple à suivre. Des chercheurs honnêtes qui demandent spontanément la rétractation de leur article, ça existe ? Retraction Watch détaille le cas d’un chercheur en psychologie, très inquiet après avoir réalisé des erreurs dans l’analyse de ses données. Ses collègues et l’éditeur l’ont heureusement soutenu dans sa démarche.

→ Sciences et sciences. « Une recherche à deux vitesses » entre d’un côté les sciences humaines et sociales (SHS) et de l’autre les sciences qui promettent davantage d’applications : absence de financement, manque de socialisation, santé mentale… Le malaise est grandissant parmi les doctorants, rapporte Sciences Critiques.

PARLEZ-VOUS LE MAINIOT ?

Et pour finir…


Laissez-vous surprendre en écoutant une à une les langues régionales de France