Carole Dreyer : « La méfiance persiste parfois »

— Le 15 juillet 2020


Carole Dreyer dirige la Satt Conectus ainsi que le réseau des Satt. Académie ou start-up, brevet ou publication ? Pour TMN, cette spécialiste de la valorisation décrypte ces deux mondes.

Après des remous à leur naissance, comment vont les Satt aujourd’hui ? 

Elles vont bien, merci, l’évaluation faite par l’Etat a permis le refinancement de l’ensemble des structures, nous sommes donc au rendez-vous. Depuis notre création en 2012, il a fallu du temps pour matérialiser notre impact. Mais aujourd’hui les start-up que nous soutenons sont robustes et séduisent les investisseurs tandis que les entreprises à qui nous transférons des technologies ont des chiffres d’affaires en hausse. Avec ce que nous avons mis en place, nous avons bâti des liens forts sur les territoires avec les universités ou les établissements de recherche. S’y ajoute une relation de confiance avec les chercheurs ; de plus en plus de découvertes scientifiques sont converties en impacts socioéconomiques. Ces succès nourrissent leur motivation et la nôtre : nous sommes en train de tracer un cercle vertueux qui permet également d’assurer notre modèle économique.

Le modèle des Satt est-il aujourd’hui pérenne ?


Nos premières années d’existence ont été marquées par des dépenses, nécessaires pour créer de la valeur et susciter l’intérêt. Il faut rappeler que dans ce secteur de l’innovation de rupture, le risque est tel que personne d’autre n’y investit ; c’est pour cela que nous avons été créés. Aujourd’hui nos résultats démontrent la pertinence de nos investissements.

Est-ce que le système est plus simple aujourd’hui qu’il ne l’était il y a huit ans, quand les Satt sont nées ?


Clairement, oui, même si nous ne l’avons pas simplifié de manière uniforme. Nous représentons 160 établissements qui, auparavant, avaient leur propre structure interne de valorisation sur toute la chaîne. Nous avons tous simplifié l’accès à l’innovation et qualifié cette innovation. Ensuite, notre force est justement d’avoir des périmètres complémentaires différents, ce qui peut être perçu comme une complexité au niveau national alors que cela ne l’est pas dans les territoires. Ces périmètres sont cohérents avec les besoins des sites où, parfois, certaines SATT gèrent l’incubation, d’autres l’activité partenariale. Nous collaborons avec les structures de valorisation quand elles existent, car les périmètres sont clairement définis et cela reste lisible pour les chercheurs. Même si, pour ceux qui arrivent dans le système, il faut évidemment toujours faire preuve de pédagogie.

Pourquoi les doctorants se dirigent en priorité vers la recherche académique ?

Elle octroie une liberté que n’a pas le privé qui raisonne en chiffre d’affaires ou retour sur investissement, et donc à plus court terme. On ne peut pas passer dix ans à chercher sur un sujet précis en entreprise.
Mais seuls 15% des jeunes docteurs resteront dans le public, vu l’offre d’emploi disponible. Par ailleurs, créer une start-up demande également des compétences business, financières, légales ou encore marketing pour lesquelles les chercheurs n’ont généralement pas été formés. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’ils sont désarmés mais il y a une crainte de leur part pour se lancer : il faut donc trouver le juste discours. Pousser les chercheurs à l’entrepreneuriat veut dire les accompagner. C’est une démarche qu’ils ne peuvent faire totalement seul. Cela passe souvent par une rencontre avec un binôme, un associé au profil business qui doit prendre sa part de risque dans l’aventure. Les jeunes chercheurs ne deviendront pas tous des CEO, cela n’aurait aucun sens.

Quand on parle innovation, on parle très majoritairement de sciences exactes, comment inclure les sciences humaines ?


Les SHS font partie du schéma de l’innovation. Il est vrai que ce n’est pas toujours simple de structurer et de “maturer” un projet en sciences humaines principalement à cause de la question de l’actif, importante dans le domaine de la valorisation. Mais je ne parle là que de gros investissements, parfois il y a des projets beaucoup plus simples ou des valorisations sous d’autres formes comme des collaborations de recherche qui peuvent être mises en place, plutôt que des transferts de technologie. Il faut trouver une clef d’entrée. Un exemple du réseau Conectus : nous avions investi dans un projet permettant la création de la société Almedia qui permettait d’apprendre le français aux étrangers par un jeu en ligne. Le projet associait un sociologue, un linguiste, des informaticiens. C’était un pur projet de sciences humaines avec une création d’entreprise à la clef qui associait SHS et techno. Les sciences sociales peuvent venir en complément sur des projets technologiques sur des aspects légaux, réglementaires, marketing ou autre.

Créer une start-up est-il synonyme de départ de l’académie ?


La loi Pacte permet désormais que les chercheurs soient pour partie dans l’entreprise [plus de détails ici, NDLR], pour partie dans le laboratoire. Cela fait bouger les choses. Auparavant, les chercheurs avaient recours à trois dispositifs dont le 25.1 qui leur permettait d’obtenir un détachement d’un maximum de 6 ans sans plus être au laboratoire. Dans ce schéma, le lien avec le labo était plus distant, il publiait moins ; pas évident donc de revenir dans l’académie sans “track record”, notamment pour les demandes de financement.

Que pensez-vous du volet “inno” de la loi recherche ?


On aurait aimé plus de densité sur cet aspect dans la loi. La valorisation a longtemps été le parent pauvre et reste encore marginalisée parfois. L’éternelle question de la publication versus la valorisation est un sujet dont on parle depuis 20 ans. Les chercheurs sont confrontés à des choix de carrière : on leur répète sans cesse que la publication fait tout. Mais déposer un brevet n’est pas incompatible avec le fait de publier. 

Quand on évoque les start-up, la méfiance est-elle encore présente ?


Oui elle persiste parfois, même si on a beaucoup évolué en quelques années. Certains chercheurs se disent peut être que cela ne devrait pas faire partie de leur activité voire que c’est une perte de temps. On doit faire oeuvre de conviction. Les nouvelles générations ont une vision plus positive ; leur environnement — la culture du laboratoire dans lequel ils évoluent — joue un rôle primordial.  

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