Ces femmes qu’on ne saurait voir

De la discrimination systémique à la discrimination positive, compte-rendu de la table ronde sur l’invisibilité des femmes dans la science au festival Pariscience.

— Le 6 novembre 2020

Le problème ? On n’en voit que la partie émergée.

En guise d’intro. Mettons les pieds dans le plat : un prix Nobel 2020 de chimie 100% féminin est-ce vraiment une bonne nouvelle ? demande la journaliste Giulia Foïs, spécialiste des sujets de genre, qui a animé ce débat au festival Pariscience. Réponse  : oui et non. Oui car il faut des modèles féminins… Et non car les choses auront vraiment avancé quand on ne se réjouira plus que ce soit une femme.

Excellents messieurs. Une partie du problème se situe dans les comités de sélection, selon Martina Knoop, physicienne au CNRS. Les critères d’excellence ne sont en effet pas les mêmes selon le sexe. Les hommes sont plus habitués à se mettre en avant alors qu’« on attend des femmes qu’elles soient organisées, sages, soigneuses… Elles font donc des dossiers différents et sont jugées différemment ».

Pas de ça chez nous. Les tabous autour du sexisme sont plus fort dans la recherche académique qu’en dehors, selon Alexandra Palt : « J’ai été très surprise par le niveau de déni [dans la recherche publique] il y a des choses qu’on ne pourrait plus se permettre dans le secteur privé ». Les raisons ? La verticalité de la culture académique : un être faisant partie de l’élite, objectif et rationnel, ne pourrait pas se rendre coupable de discrimination. Sauf que…

Comme un iceberg. Le sexisme ordinaire existe bel et bien en sciences, même s’il reste moins visible que les actes graves d’agressions sexuelles. Un exemple ? Le documentaire Picture a scientist retrace  l’histoire d’une doctorante harcelée moralement par son encadrant – le géologue David Marchant, licencié depuis. « On a besoin de mettre des mots », ajoute Laura Mary, à l’initiative de Paye ta Truelle.

Quatre femmes autour de la table

Martina Knoop. Physicienne, elle est investie dans de nombreuses missions au CNRS comme la coprésidence du comité-parité-égalité en 2018. Elle est aussi membre de l’association Femmes & Sciences.

Laura Mary. Archéologue-restauratrice de matériel archéologique, elle est à l’origine de Paye ta truelle. Le site accueille les témoignages de discrimination de genre et s’est récemment transformé en une expo, Archéo-Sexisme.

Alexandra Palt. Juriste de formation, elle occupe depuis 8 ans des postes à responsabilité chez L’Oréal. Son engagement pour une meilleure place des femmes dans la science est bien connu, via les prix L’Oréal-UNESCO

Marylène Patou-Mathis. Préhistorienne rattachée au Muséum national d’histoire naturelle, cette directrice de recherche (CNRS) vient de sortir un livre qui retrace l’histoire de l’invisibilité des femmes.

Biais invisibles. La surreprésentation masculine dans la recherche a des conséquences tangibles. Du dosage des médicaments à la reconnaissance faciale, les exemples ne manquent pas. Les biais sexistes induisent des usages non adaptés aux femmes ou à d’autres minorités. Et le ras-le-bol augmente : « Je ne laisse plus passer ce que j’aurais laissé il y a vingt ans », affirme Alexandra Palt.

Le mythe de l’auto-censure. « On dit aux femmes qu’elles sont responsables de leur discrimination. C’est le pompon ! », s’exclame Alexandra Palt. « L’auto-censure, c’est un piège et c’est culpabilisant », ajoute Marylène Patou-Mathis, préhistorienne et fait oublier des discriminations plus systémiques. Le plafond de verre ne se brisera pas tout seul : prôner la méritocratie n’est en tous cas plus suffisant. 

Les mots ne suffisent plus. On en arrive au nerf de la guerre : comment recruter autant de femmes que d’hommes ? Presque toutes sont d’accord : plus besoin de sensibilisation, « il faut passer à la vitesse supérieure », affirme Martina Knoop. La discrimination positive apparaît alors comme indispensable. Un quota de 40 % de femmes pour tous les recrutements pourrait être un point de départ, faut-il déjà qu’on l’atteigne !

Qui a peint Lascaux ?

Des guerrières aux scientifiques. La préhistorienne Marylène Patou-Mathis combat les préjugés de l’histoire : du divin au biologique, que d’arguments pour minimiser le rôle des femmes… « On n’a jamais prouvé que la grotte de Lascaux avait été peinte par des hommes mais il faudrait prouver qu’elle aurait pu l’être par des femmes ! ». De la même façon, les innovations ont toujours été attribuées par défaut aux hommes – c’est l’effet Matilda.

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