David Chavalarias : « X vous projette dans le pire de votre environnement social »

À la tête de l’Institut des systèmes complexes, David Chavalarias (CNRS) étudie les réseaux sociaux et plus particulièrement X. Un réseau qu’il recommande de quitter.

— Le 20 décembre 2024

En tant que chercheur, que vous apportait un réseau social tel que Twitter avant ?

Twitter m’était utile pour faire de la veille scientifique et technologique, en étant connecté à des experts de mon domaine qui produisent ou pointent vers des publications ou d’autres contenus extérieurs. C’était une sorte d’agrégateur de unes de médias. Mais il est devenu toxique.

Continuer à apporter une parole scientifique sur X ne sert donc plus à rien ?

Sur X, en tant que scientifique, nous ramons à contre-courant. Prenons l’exemple des sciences du climat. Nous avons étudié le climato-dénialisme sur X sur la période 2019-2023 et ainsi pu montrer que, suite à son rachat par Elon Musk, près d’un tiers des comptes relayant une information fiable sur le climat avaient arrêté de poster. Plusieurs modifications introduites par Musk ont transformé X en terrain hostile à l’information, en particulier l’information scientifique. De fait, en 2023, la proportion de comptes climato-sceptiques sur X a bondi jusqu’à atteindre 50% selon nos estimations, une part bien supérieure à ce qu’elle est dans la vraie vie. C’est pourquoi nous encourageons tous les utilisateurs de X, chercheurs ou non, à quitter la plateforme d’ici le 20 janvier [date de l’investiture de Donald Trump, NDLR] via l’opération HelloQuitteX.

« Si un réseau social devient défaillant, il suffit d’en changer  »

David Chavalarias

Comment en est-on arrivé là ?

Le réseau X est défaillant sur plusieurs aspects. D’une part, l’algorithme qui alimente les fils d’actualité a été modifié par Elon Musk. Nous avons montré que la sélection des contenus qui sont proposés aux utilisateurs est 50% plus toxique (attaques personnelles, obscénités…) que leur environnement social [l’ensemble des comptes qu’ils suivent, NDLR]. En d’autres termes, X vous projette dans le pire de votre communauté, au détriment de l’intérêt des contenus. D’autre part, la modération a fortement reculé – les robots sont moins bien éliminés – et est devenue absolument contraire à la déontologie. Certains comptes ont été fermés ou suspendus sans raison valable, comme celui de Mastodon en décembre 2022 ou plus récemment ceux de journalistes [le groupe INSA avait vu son compte suspendu du jour au lendemain, sans aucune explication ni recours, nous vous en parlions, NDLR]. À l’inverse, d’autres comptes autrefois bannis ont été rétablis. Enfin, X est devenu un mégaphone politique pour Elon Musk. La goutte d’eau faisant déborder le vase a été son implication dans la campagne présidentielle étasunienne et l’utilisation du réseau social pour mettre en avant sa parole dans tous les fils d’actualité, colportant au passage de fausses nouvelles, par exemple un deep fake de Kamala Harris. Il n’est pas exclu que les données des utilisateurs aient été mises à profit pour son agenda politique, notamment pour l’envoi de SMS appelant à voter pour Donald Trump.

Vers quelle plateforme se diriger ? Bluesky est-il aujourd’hui la meilleure alternative ?

Il y a au moins trois critères pour bien choisir son réseau social : puis-je partir avec mes messages et mes contacts – ce qu’on appelle la portabilité ? Puis-je choisir l’algorithme qui me propose du contenu (pluralisme algorithmique) ? X ne réunit aucune des trois conditions mais deux alternatives crédibles existent aujourd’hui : Mastodon et Bluesky. Créé par l’ancien fondateur de Twitter, Bluesky est très avancé sur le pluralisme des algorithmes, que l’on peut configurer – on peut par exemple demander d’afficher en priorité les comptes qui publient peu, si on le souhaite. En revanche, des interrogations persistent sur la question de la portabilité des données et de l’audience ainsi que sur son modèle économique, même si l’entreprise a mis en place une infrastructure décentralisée – qui n’est encore qu’une promesse car il n’y a actuellement qu’un serveur Bluesky. Mastodon a été plus rapide sur ce dernier point, devenant plus résilient à une prise de contrôle [par un individu qui voudrait l’utiliser à des fins personnelles comme Elon Musk, NDLR] grâce à ces plus de 1000 serveurs (et donc propriétaires) mais la configuration de l’algorithme est moins avancée. 

« Des propos anti-sciences ou haineux existeront toujours. L’important est qu’ils ne soient pas amplifiés »

David Chavalarias

Y a-t-il des astuces pour optimiser le transfert, notamment ne pas perdre ses abonnés et abonnements ?

Le collectif HelloQuitteX développe avec le CNRS une plateforme permettant de faciliter la démarche [elle sera sous peu en ligne via le site HelloQuitteX, NDLR]. La première étape est de demander à X une archive de ses données [voici comment faire, NDLR] – on les obtient normalement en un ou deux jours. En partageant vos données sur la plateforme d’ici le 20 janvier – elles seront ensuite effacées –  celle-ci reconstitue automatiquement votre réseau d’abonnés et d’abonnements sur Mastodon et/ou Bluesky, parmi les comptes qui auront fait la même démarche. Et cela fonctionne que vous ayez ou non déjà un compte sur ces réseaux [voici comment créer un compte, NDLR].

N’y a-t-il pas un risque que les nouvelles plateformes tombent dans les mêmes travers que X ?

Des propos anti-sciences ou haineux existeront toujours. L’important est qu’ils ne soient pas amplifiés mais au contraire qu’ils soient modérés. Le concept de réseau social est utile pour la recherche d’informations. Si l’un d’entre eux devient défaillant, il suffit d’en changer.

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