Sylvie Retailleau : « Les chercheurs sont fatigués des révolutions »

Toute à sa mission de simplification du système, Sylvie Retailleau assume la continuité avec sa prédécesseure et ne rêve pas de sa propre loi. Premier volet de notre entretien avec la ministre de la Recherche.

— Le 25 janvier 2023

Nous sommes un an après le discours d’Emmanuel Macron à France Universités qui a soulevé des craintes de dissolution du CNRS. Si ces craintes sont retombées aujourd’hui, que reste-t-il de la volonté du président ?

Ce sujet n’a jamais fait partie du discours du Président de la République. À aucun moment. Le discours a porté sur le renforcement du rôle des organismes de recherche en tant qu’agences de moyens ou de programmes. Les organismes de recherche existent dans tous les pays du monde et c’est une chance, mais leur positionnement a pu évoluer au fil du temps entre leur rôle de programmation et leur rôle de tutelles de laboratoire. Conformément à la vision du Président, ce que nous souhaitons, c’est que le positionnement de chacun se renforce et se clarifie : organismes nationaux de recherche en agences de programme en charge des stratégies et programmes au niveau national, établissements d’enseignement supérieur en chefs de file et relais à l’échelle du territoire, pour une grande efficacité et lisibilité d’ensemble, au bénéfice des chercheurs et de la recherche. Mais il n’y aura pas de révolution, j’ai toujours été très claire à ce sujet. De vous à moi, les gens sont fatigués des révolutions et je n’ai pas pour objectif de laisser une loi portant mon nom pour le simple plaisir de le faire. Ce que je veux, c’est simplifier et clarifier le système pour le renforcer. L’unité mixte de recherche, par exemple, est une brique importante de la recherche française, originale dans le paysage international, et elle n’est pas remise en question. Je suis là pour ça, au service des étudiants, des chercheurs des enseignants et de l’ensemble des acteurs de l’ESR.

« Ce que je veux, c’est simplifier et clarifier le système pour le renforcer »

Sylvie Retailleau

Vous avez récemment lancé une mission sur le sujet précis — et épineux — des relations entre les organismes (le CNRS au premier chef) et les universités, qu’est-ce que les chercheurs doivent en attendre ?

On ne touchera pas aux statuts ni aux personnels, je le répète. L’objectif de la mission pilotée par Philippe Gillet que je viens d’initier est d’aider à clarifier la gouvernance, les méthodes, les périmètres de notre système de recherche. Je prends l’exemple des programmes de recherche que nous avons lancés dans le cadre de France 2030, les PEPR, qui permettent le déploiement d’investissements conséquents. L’idée n’est pas de remettre en cause leur pilotage par les organismes de recherche. En revanche, la gouvernance peut être améliorée pour que l’ensemble des acteurs pertinents sur un sujet de recherche donné soient impliqués concrètement, quelle que soit la tutelle des bénéficiaires. Tout n’est pas parfait mais des résultats sont là et on continue d’apprendre en marchant. Il est essentiel, pour instaurer une confiance mutuelle, de formaliser les choses.

« Avoir une loi à mon nom n’est pas un objectif en soi »

Sylvie Retailleau

Si vous ne deviez mener qu’une mesure au cours de votre mandat, ce serait laquelle ?

Je vais vous en citer une par secteur de mon ministère : en recherche, la simplification et l’atterrissage des réformes pour laisser du temps aux chercheurs de chercher. Sur la vie étudiante, une réforme des bourses. En matière de formation, partir avec la certitude que les étudiants de premier cycle sont dans les cursus qui correspondent à leur besoin en compétences et à ceux du pays, et pas là simplement où des places sont disponibles. Sur l’innovation, enfin : l’inscrire encore plus dans la culture académique, même si beaucoup a été fait. Je l’évoquais à l’instant, avoir une loi à mon nom n’est pas un objectif en soi, mais j’ai réellement l’envie de changer les points que je vous ai cités. En quelques mots simples, ma mission est de me servir de mon analyse des besoins du secteur et d’y répondre. J’y emploie toutes mes journées depuis huit mois. En dix ans, peu de secteurs ont vécu autant de réformes que le nôtre. Les évolutions, notamment portées au cours du premier quinquennat, étaient justifiées et je m’attache à les mettre en œuvre, notamment pour la loi recherche.  Nous avons maintenant besoin de continuité et de temps. Si j’arrive à cela, je serai heureuse. 

En 2023 aura lieu un moment important : la clause de revoyure de la loi de programmation pour la Recherche. À quoi faut-il s’attendre, en particulier côté financement ?

Si vous parlez du calendrier alors je vous confirme tout d’abord que conformément aux engagements qui avaient été pris, nous présenterons un bilan aux parlementaires au printemps. Je vous rappelle que les nombreuses mesures issues de cette loi ont pris plus de temps que prévu à s’installer. Le bilan portera sur l’ensemble des mesures de cette loi, en portant une attention particulière à la simplification. J’insiste sur cette notion, qui se traduira également dans la vie des labos. Des textes de simplification sont déjà sortis (RIPEC, repyramidage…), nous continuerons dans cette ligne. Nous discuterons ensuite du rythme de déploiement des autres mesures, en particulier sur le financement, pour atteindre l’objectif des 3% de PIB, dont 1% pour la recherche publique. Nous sommes actuellement autour de 0,8%. 

« Nous ne resterons dans la course qu’à condition de continuer de renforcer l’investissement dans la recherche »

Sylvie Retailleau

L’inflation aujourd’hui n’est pas celle de 2019 et d’autres lois de programmation sont en passe d’être votées, comme celle sur le militaire. Quelle assurance avez-vous aujourd’hui, notamment auprès de Bercy, d’atteindre cet objectif ?

Nous devons regarder où en sont les financements prévus par la LPR, dont la trajectoire court comme vous le savez jusqu’à 2030 et voir les marges dont nous disposons. La nécessité de réinvestir dans la recherche est là, un récent rapport de l’OCDE le montre : si on se rapporte à la part R&D du PIB, la France se maintient mais elle ne se détache pas. Dans des pays comme les États-Unis, les dépenses augmentent certes mais le volet privé est très supérieur à ce qu’il est dans notre pays où il représente les deux tiers des investissements ! C’est un modèle qui n’est pas le nôtre. La mise en œuvre de la LPR est une chance pour remettre la France dans la course.

Vous pensez que l’argument portera auprès des services de Bercy ? 

Nous allons y travailler. Le budget du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est d’environ 26 milliards, auxquels viennent s’ajouter les hausses prévues chaque année par la Loi de programmation de la Recherche. Il faudra aussi tenir compte des investissements réalisés par France 2030, des financements européens et des autres ressources propres qui reviennent aux laboratoires. Cependant, malgré ces efforts, dans le contexte que vous avez rappelé, nous ne resterons dans la course qu’à condition de continuer de renforcer l’investissement dans la recherche, de ne pas attendre trop longtemps. On ne peut plus se projeter dans la recherche en considérant uniquement le périmètre de mon ministère. 

« Les SHS ne sont pas au service des autres sciences. C‘est une physicienne qui vous le dit ! Nous allons lancer un plan SHS avec France 2030 »

Sylvie Retailleau

Vous êtes pourtant ministre de la Recherche de plein exercice…

On ne doit plus penser que le ministère joue seul dans sa cour, c’est une évolution. Nous travaillons évidemment en équipe et c’est une chance : que ce soit dans le cas de contrats industriels, dans le spatial avec Bruno Le Maire, dans la Défense avec Sébastien Lecornu ou encore dans la Santé avec François Braun. Donc oui j’y crois parce que tous sont acteurs de la recherche. Treize milliards d’euros d’investissements sont réalisés par France 2030 dans l’enseignement supérieur et la recherche, dont huit milliards exclusivement sur la recherche, c’est massif et cela s’ajoute à la loi de programmation de la recherche ! Par ailleurs, d’autres investissements “de rupture” portés par l’industrie concernent indirectement la recherche. C’est pour cela que mon ministère s’est impliqué dans les appels à projets de France 2030. Notre volonté est de nous positionner en pilote, par exemple en changeant la méthode pour la sélection et le lancement des programmes de recherche (PEPR) en simplifiant à la fois la comitologie [le processus de prise de décision collective, NDLR], les conditions de versement ou les rôles respectifs des universités et des organismes. 

Nous parlons d’investissements, d’industrie, d’innovation… Les sciences sociales se sentent écartées. Que comptez-vous faire ?

J’entends ce sentiment et il nous faut y répondre. France 2030 propose des réponses aux défis sociétaux avec une vision plus ou moins applicative. La présence des Sciences humaines et sociales (SHS) y est fondamentale car elles permettent la compréhension de ces sujets “sciences dures”. C’est bien mais ce n’est pas suffisant, les SHS ne sont pas au service des autres sciences. C‘est une physicienne qui vous le dit ! Nous avons déjà beaucoup évolué sur ce point. Elles doivent porter des problématiques propres et nous sommes en train de travailler à rétablir l’équilibre et renforcer leur poids grâce à l’élaboration d’un plan d’accompagnement et de développement. Un plan qui tient compte de la particularité du paysage français où certaines universités s’y consacrent presque exclusivement. Nous devons les renforcer pour éviter de laisser penser que l’innovation vient exclusivement des “sciences dures”. Ce plan auquel nous réfléchissons de concert avec France 2030 doit viser à accompagner les SHS non pas “au service” d’autres sciences mais uniquement pour ce qu’elles sont. Les budgets ne sont pas encore arrêtés mais nous souhaitons être ambitieux.

« Ce qui fatigue est de chercher du sens au coup par coup (…) Il faut arrêter d’aller “au guichet”»

Sylvie Retailleau

Les établissements ou les chercheurs ressentent une grande fatigue des appels à projets, surtout quand ces derniers visent à faire financer ponctuellement des missions pérennes, vous partagez cette analyse ?

La réponse est évidemment oui. Au début, ces appels émanaient des chercheurs uniquement. Mais il s’avère que certains, les Labex ou les Écoles universitaires de recherche (EUR) par exemple, étaient très structurants non seulement pour les laboratoires mais aussi pour les établissements, parfois au prix de contradictions avec la politique des mêmes établissements. Je prendrai un seul exemple : celui des EUR et des “graduate schools”. Personne n’a jamais bien compris la différence entre les deux, même s’ils partageaient le même objectif : donner des moyens à une thématique forte. Ce qui fatigue est de chercher du sens au coup par coup. Ce qui permet d’en apporter est une vision pluriannuelle et une cohérence d’ensemble. Il faut arrêter d’aller “au guichet” mais raisonner par projet en permettant par exemple aux établissements de monter des “cellules Europe”, capables d’aider les chercheurs sur l’administratif des appels européens. 

Ça ne plaide pas tout simplement pour l’augmentation des crédits récurrents, “comme au bon vieux temps” ?

Que vaut un crédit récurrent quand l’inflation monte ? Il faut inscrire des visions pluriannuelles, ce que permettent des programmes d’investissements comme le PIA ou France 2030 avec des projets sur des durées de huit à dix ans. Il faut de surcroît rendre le système plus cohérent et ne pas faire travailler les établissements pour rien en permettant des appels à manifestation d’intérêt avec 80% de réussite si les projets sont bons, cela ne me gêne en rien. Dans le même ordre d’idée, nous avons fait remonter le taux de réponse positive des chercheurs à l’ANR à 30%.

— Propos recueillis par Laurent Simon et Lucile Veissier
Photo (c) Laurent Simon

Fin du premier volet de notre interview avec Sylvie Retailleau
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