15.11.2024 • LA RECHERCHE ET SA PRATIQUE
Paranoid Android
Anaphore. Pas une semaine ne s’écoule sans qu’on ne parle d’intelligence artificielle (IA). Que vous soyez enthousiaste ou sceptique, cette lame de fond balaye toutes les disciplines.
Preuve par la publi. Les travaux y ayant recours ont plus de chance de faire partie des publis les plus citées, révélait même une récente étude dans Nature Human Behaviour.
Impact. Dans quelle mesure l’IA permet-elle à la science d’avancer ? Apparemment de manière substantielle : même les Nobel ont dédié cette année leurs prix de physique et de chimie au sujet.
Médaillés. Parmi les lauréats, deux scientifiques de chez Google pour leur logiciel de prédiction des structures de protéines AlphaFold. Une aventure scientifique en accéléré qu’on rembobine avec vous dans notre analyse de la semaine.
Bonne lecture,
— Lucile de TheMetaNews
Sommaire
→ ANALYSE Google investit l’Académie
→ OUTIL Testez les micropublis
→ CHIFFRE Des conflits d’intérêt parmi les reviewers
→ EXPRESS Votre revue de presse
→ ET POUR FINIR Chef chimiste
TEMPS DE LECTURE : 5 ou 10 MINUTES |
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ANALYSE
Quand Google déboule chez les Nobel
En quelques années, le logiciel AlphaFold développé par Google sur de l’IA a battu tous les records et obtenu un (demi) prix Nobel. Mais entre la prédiction et la réalité, un fossé reste à combler.
↳ The winner is… Le 9 octobre 2024, l’Académie royale des sciences de Suède décernait le Nobel de chimie à trois scientifiques de renom. David Baker, professeur à l’université de Washington aux États-Unis, en obtenait la moitié pour avoir « réussi l’exploit presque impossible de créer des types de protéines entièrement nouvelles », expliquait le communiqué officiel. Demis Hassabis et John Jumper se partageaient la seconde moitié pour le développement d’un modèle d’intelligence artificielle permettant de « résoudre un problème vieux de 50 ans : prédire les structures complexes des protéines. Ces découvertes recèlent un potentiel énorme », concluaient les sages du comité Nobel. Mais l’affiliation de ces co-lauréats en a fait réagir plus d’un. Il ne s’agit pas d’une université ni d’un organisme de recherche, mais de la filiale d’un géant du numérique : Google Deepmind (…)
OUTIL
Testez les micropublis
Il n’y a pas que la taille qui compte. Connaissez-vous les micropublis ? Il s’agit de mini-articles – en anglais brief ou short reports – suivant le même déroulé qu’une publi classique mais en plus concis, avec une seule figure. Le format permet de publier rapidement de « petits » résultats, sortant de vos axes de recherches principaux, ou bien des résultats négatifs par exemple, afin de les porter à la connaissance de la communauté. Quelques éditeurs ont lancé des short reports comme eLife ou PLOS Biology mais il existe aussi des plateformes dédiées : Octopus et microPublication. Encore un outil inspiré du blog Open Science Pasteur !
EXPRESS
Pendant ce temps dans les labos
● Précaires sans frontière. Les chercheurs en situation de précarité ont plus de chance d’avoir recours à des pratiques à la limite en termes d’intégrité scientifique, conclut entre autres une étude publiée dans Research Integrity and Peer Review. Analysant les plus de 40 000 réponses de chercheurs aux États-Unis et en Europe, les auteurs ne remarquent pas de différences significatives entre les pays mais entre les types d’institutions : les pratiques sont moins intègres en dehors de l’académie.
● Faucille et preprint. Moins connu que les satellites Spoutnik, VINITI était pourtant une invention soviétique révolutionnaire pour les années 1960 : une plateforme de preprint ! Permettant de bypasser les revues, l’initiative a survécu au numérique, aux bouleversements politiques et à l’isolement du pays, analysent deux chercheurs suédois sur le blog LSE Impact of social science.
● Ultra trail. La littérature scientifique est un terrain semé d’embuches, témoignent deux chercheurs dans Accountability in Research, mettant en exergue les difficultés pour signaler efficacement les erreurs dans les publis et a fortiori les corriger. Mais de bonnes nouvelles tombent parfois : la revue Scientific reports vient de rétracter une publi après plusieurs mois de travail acharné de la part des lanceurs d’alerte, rapporte Retraction Watch.
● Mais aussi… Être doctorant en économie et entrer dans le mouvement open science, c’est possible. Bordeaux sciences économiques vous explique comment ● Chercheurs en SHS, une enquête à l’échelle européenne est en cours pour mieux connaître vos usages des services et outils de recherche ● Les Scientifiques en rébellion reviennent sur leur quatre années d’existence avec un petit ouvrage publié aux éditions du Seuil : Sortir des labos pour défendre le vivant ● La Société française de métallurgie et des matériaux organise le 19 novembre un Tribunal pour les générations futures autour de la question suivante : faut-il encore inventer des matériaux ? Cela n’est évidemment pas sans rappeler notre événement No Future ? qui aura lieu à Césure le 28 novembre prochain ●
CHIFFRE
60%
C’est la part des reviewers ayant des liens d’intérêt avec le privé, dont l’industrie pharmaceutique, révèle une étude publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), réalisée au sein de quatre revues médicales prestigieuses en 2022 impliquant près de 2000 relecteurs. On note au passage que les femmes reçoivent deux fois moins de rémunérations par ces entreprises privées que les hommes. La Revue médicale dénonce un véritable manque de transparence. De l’indépendance de la recherche en santé et en environnement, nous vous en parlions récemment dans cette analyse.
EXPRESS
Votre revue de presse
→ Surchauffe. Nous vous en parlions il y a un an lors de la sortie du preprint : le nombre de publications a doublé en seulement six ans (le chiffre était mis en avant dans ce numéro). L’article vient d’être publié dans la revue Quantitative Science Studies et cette incontrôlable inflation donne matière à réflexion pour notre confrère du Monde ↯.
→ Entrebâillé. Six mois après la sortie d’AlphaFold3, la nouvelle version du logiciel de prédiction des structures 3D de protéines (l’histoire du prix Nobel associé vous est conté dans notre analyse de la semaine), Google vient enfin de mettre le code en libre accès. Avec des restrictions tout de même, ce que ne manquent pas de commenter les chercheurs académiques dans les colonnes de Science et de Nature.
→ Innocente Heidi. Au pays bien tranquille des lacs surplombés par les prairies d’alpage, la science n’échappe pas aux rétractations. La Suisse a vu récemment son nombre de publi rétractées augmenter et les journalistes de la RTS en décryptent les raisons. Malgré une vigilance accrue, certains phénomènes restent préoccupants.
→ Mon sang tôt. Comment assurer l’indépendance de la recherche dans un espace où les intérêts privés sont omniprésents ? La question était posée par Natacha Triou, productrice de l’émission La Science CQFD sur France Culture, à plusieurs chercheuses et chercheurs dont Marion Desquilbet, coordinatrice d’un rapport sur le sujet. Rappelez-vous, nous vous en parlions en détail dans cette analyse.
→ Célébrité assurée. Peut-être que c’est ainsi que vous finirez par passer un jour dans le journal local : après avoir plaqué la recherche pour devenir boulanger ou brasseur comme Louis et Mélanie dans La Charente Libre cette semaine. Mais la science a certainement encore besoin de vos lumières !
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