Ceci est le second volet de notre enquête sur le plagiat académique. Vous pouvez (re)lire le premier épisode.
Un poids, deux mesures. Retrait et destruction de tous les exemplaires existants de la thèse, accompagnés de 5 000 euros d’amendes pour contrefaçon et 20 000 euros de dommages et intérêts à verser à son doctorant jordanien, victime du plagiat. En 2013, la justice condamnait une enseignante-chercheuse de Toulouse. Une des très rares condamnations en la matière, qui n’a pas fait long feu : en 2015, l’appel l’a totalement relaxée. « Le plagiat scientifique n’est jamais condamné par la justice traditionnelle », constate Hervé Maisonneuve, ancien référent intégrité scientifique de l’université Paris Cité.
« Quand deux personnes travaillent autour du même tableau noir, la situation n’est jamais totalement déterministe »
Antoine Petit
Dura lex ? Différent du simple plagiat, comme avait tenu à le rappeler le Comité d’éthique du CNRS en pleine affaire Étienne Klein – à l’automne 2016, l’Express révélait le copier-coller de phrases écrites par des auteurs célèbres, sans citations ni guillemets, dans ses livres et chroniques radios –, le plagiat académique est en effet difficilement reconnu par les tribunaux civils. Prouver la contrefaçon en termes de production scientifique n’est pas chose aisée mais pourtant nécessaire aux magistrats pour condamner les plagiaires. Les institutions semblent donc aujourd’hui les seules à être en mesure d’agir. « On ne peut qu’espérer des condamnations par les institutions académiques mais elles sont encore trop peu nombreuses », déplore Hervé Maisonneuve. Les institutions semblent également avoir du mal à reconnaître le plagiat, au grand dam des chercheurs eux-mêmes.
Sans plein gré. Des simulations de données ainsi que des méthodes, décrites dans sa thèse mais aussi dans des publications, reprises par ses collègues dans des articles où il n’est pas co-auteur, sans citation adéquate… Voici ce qu’affirme avoir subi Florian F*, chercheur au CNRS. Une manière de rayer son nom de l’équipe car le plagiat supposé s’est accompagné d’une mise à l’écart, avec dépréciation de son travail et retrait de l’encadrement de doctorants. Plus généralement, le plagiat n’arrive en effet que rarement seul et s’accompagne dans bien des cas d’autres comportements problématiques et notamment de “prédation” académique, comme l’a étudié Michelle Bergadàa – relire son interview.
« Ces questions d’intégrité scientifique sont importantes pour les chercheurs, mais les institutions ne s’y intéressent pas vraiment »
Un chercheur CNRS
Emulations. « Le problème est souvent d’attribuer la paternité d’une idée et donc de trancher dans cette “zone grise” : quand deux personnes travaillent autour du même tableau noir, la situation n’est jamais totalement déterministe », affirmait Antoine Petit lors de notre dernière interview. Il est vrai que trancher entre plagiat et simple circulation des idées peut parfois être délicat, tant la science comporte une part de créativité. « Toute la difficulté consiste à savoir, au cas par cas, où se place le curseur qui fixe la limite entre emprunt frauduleux et emprunt créatif », écrivait Hélène Maurel-Indart dans l’ouvrage collectif de Gilles Guglielmi et ses collègues.
Instruction invisible. Pourtant, certains cas de plagiat offrent des faits tangibles, notamment lorsqu’il s’agit de données. Mais Florian F* n’obtiendra pas gain de cause auprès de son employeur. Le dossier détaillé qu’il a fourni et le soutien de son directeur de labo lors du signalement n’ont pas convaincu l’équipe de Rémy Mosseri, référent intégrité scientifique du CNRS. Un an après, la lettre que Florian F* reçoit, signée de la main du PDG du CNRS, est sans appel : l’allégation de plagiat n’est pas pertinente – sans plus de détails ni argument à l’appui de la conclusion, comme le veut l’usage des enquêtes en la matière.
« Seul un plagiaire sur les trois a été puni (…) Mais le plus grave est que rien n’a été mis en place pour protéger d’éventuelles autres victimes »
Pablo Rauzy
« Chamailleries ». Selon Florian F*, ses interlocuteurs durant l’investigation se sont montrés partiaux et méprisants. « Si vous n’êtes pas content, la porte est ouverte », lui aurait-on dit en substance, prenant la défense des directeurs de recherche bien installés face au jeune chargé de recherche qu’il était durant ce qui est considéré par certains comme des “querelles” entre chercheurs [MàJ 31 octobre 2023 : lire le droit de réponse de Rémy Mosseri à ce sujet]. Comme l’atteste une expertise médicale à laquelle nous avons eu accès, toute cette affaire a eu un impact péjoratif sur son état psychique – Florian F* a dû être reçu aux urgences psychiatriques pour dépression sévère accompagnée de pensées suicidaires quelques mois après la décision du CNRS –, et ce d’autant que sa souffrance n’a pas été reconnue par les institutions.
Autoprotection. « Ces questions d’intégrité scientifique sont importantes pour les chercheurs, mais les institutions ne s’y intéressent pas vraiment », confiait à TheMetaNews un chercheur CNRS de la commission statuant sur les sanctions à donner aux fraudeurs. Car ce qui est évalué dans ces commissions – comme expliqué dans notre analyse sur le Cneser disciplinaire –, ce n’est pas le dommage causé à la science, à la communauté, ou même à une victime, mais bien à l’institution. Et les universités ne sont pas en reste en termes d’impunité, comme l’illustre le cas qui a récemment agité l’université Paris 8 et son labo d’informatique sans sanction à la hauteur – du moins pour certains – et surtout sans considération aucune pour la victime du plagiat.
« Le retrait des titres a été difficile à obtenir de la part des universités, mais elles le font maintenant dans ma discipline »
Gilles Guglielmi
Faits divers. En 2019, Pablo Rauzy et ses collègues découvrent le plagiat du manuscrit de thèse d’une ancienne doctorante par ses encadrants de thèse, membres du même laboratoire, dans un livre et le manuscrit d’une habilitation à diriger les recherches (HDR). Un plagiat qui, d’après le maître de conférences arrivé depuis peu, survient dans une ambiance compliquée sur fond de manque de moyens, conflits, harcèlement et burn-out. Quelques mois après avoir signalé le cas à l’université, les chercheurs en informatique sont informés de la conclusion des experts : il y a bien plagiat. La sanction disciplinaire prend en revanche beaucoup plus de temps et sera très décevante pour Pablo Rauzy : seul un plagiaire sur les trois a été puni et sa sanction est de deux ans d’interdiction à prétendre à une promotion. « Le plus grave est que rien n’a été mis en place pour protéger d’éventuelles autres victimes. C’est un scandale ! Cela montre que l’institution ne protège pas les jeunes chercheurs… et quelle image pour l’HDR ? », s’indigne l’enseignant-chercheur.
Tribunal de pair. Le retrait des titres est en effet un sujet tendu pour les établissements de l’enseignement supérieur français, avec la complexité supplémentaire de posséder deux sections disciplinaires. La première juge les usagers de l’établissement – tous les étudiants et anciens étudiants à qui l’université a délivré un diplôme, y compris les docteurs et détenteurs d’une HDR – sur des questions de fraudes aux examens. La seconde section juge les personnels et se charge des affaires d’intégrité scientifique – mais ne peut décréter le retrait d’un titre, rôle de la première section.
« Le plagiat scientifique n’est jamais condamné par la justice traditionnelle »
Hervé Maisonneuve
Un mieux, demain ? Pour Gilles Guglielmi, chercheur en droit, la question a bien avancé car on partait de loin : « Le retrait des titres a été difficile à obtenir de la part des universités, mais elles le font maintenant dans ma discipline », témoigne-t-il. Toutefois, le retrait est loin d’être systématique : « La décision du retrait dépend de la proportion de passages plagiés », explique le juriste. Mais ceci n’est pas la seule et unique raison. En effet, les établissements craignent toujours que les personnes privées de leur titre se retournent contre eux devant les tribunaux civils : « les préjudices peuvent être énormes, notamment lorsqu’il y a perte de l’exercice professionnel ». L’avocat Arash Derambarsh avait par exemple été radié du barreau après le retrait de son doctorat. Les établissements risqueraient donc de se voir demander d’importants dommages et intérêts.
Recherche inconnue. Gilles Guglielmi se veut optimiste, estimant que les mentalités ont beaucoup évolué depuis quinze ans, notamment au niveau de la prévention : « Les jeunes sont au courant et les collègues ne sont plus insouciants ». Mais si la formation des jeunes est primordiale pour laisser entrevoir un futur sans plagiat, les pratiques n’évolueront pas tant que l’attitude des chercheurs plus âgés, dont certains cherchent tantôt à se protéger eux-mêmes, tantôt à protéger leur institution, ne sera pas exemplaire.
Toujours mieux à l’étranger ?
En Allemagne, la dénonciation du plagiat et le retrait des titres aux plagiaires – parfois placés au plus haut sommet de l’État – semble clairement ancré dans la culture, contrairement à la France. Ainsi l’illustre l’exemple du Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel qui a dû aller jusqu’à demander à l’université de Lorraine de lui retirer son diplôme après avoir avoué son plagiat, tant l’établissement restait silencieux. Cependant, la situation se dégraderait dans ces pays. Le collectif allemand de chercheurs VroniPlag Wiki – qui avait révélé entre autres le plagiat d’Ursula von der Leyen, présidente de la commission européenne – déplorait récemment la frilosité grandissante des universités qui auraient tendance à réprimander les plagieurs sans leur retirer leur doctorat. Au Danemark, la récente campagne #pleasedontstealmywork menée par la doctorante en science politique Maria Toft se solde par… l’abandon de l’intéressée. Dans son université de Copenhague, l’environnement était devenu vraiment trop hostile, raconte-t-elle à Times Higher Education.