L’encadrement doctoral mis à nu

L’encadrement est au cœur de l’expérience doctorale, un sujet de plus en plus discuté… et étudié. Retour sur le débat que la rédaction de TMN a mené au CEA le 15 octobre dernier.

— Le 31 octobre 2025

Trois années ou plus à travailler sur un même sujet dans un laboratoire, sous la direction d’un ou plusieurs encadrant·es, pour finalement rédiger son manuscrit et le présenter devant ses pairs… Chaque docteur·e ressort marqué·e à jamais par son doctorat. Une expérience qui conditionnera sa poursuite dans le monde de la recherche… et, plus tard, sa façon d’encadrer : « Chaque encadrant·e agit différemment en fonction de l’encadrement qu’il ou elle a lui-même reçu », expliquait Jeanne Boisselier, chercheuse spécialisée sur l’expérience doctorale, lors d’une après-midi organisée par TheMetaNews et l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN), l’institut de formation du CEA, le 15 octobre dernier à Saclay. Avant d’expliciter : « Soit il a adoré l’encadrement qu’il a reçu et le reproduit, soit il l’a détesté et construit alors son encadrement en opposition. » Avec de grandes conséquences sur le rapport au travail des doctorants, leur bien-être, leur productivité et in fine leur appréciation de “l’expérience doctorale”. « L’encadrement est le premier motif de satisfaction des doctorants [d’après l’étude du Réseau National des collèges doctoraux (RNCD) dont nous vous parlions, NDLR] et conditionne la qualité de recherche d’un organisme comme le CEA », témoignait en introduction Jean-Luc Sida, directeur adjoint de l’INSTN.

« Soutenir les doctorants ne les rend pas “passifs” »

Jeanne Boisselier, LID

With a little help… La qualité de l’encadrement et son influence sur les doctorants est un sujet de recherche à part entière. Docteure en psychologie sociale et du travail, Jeanne Boisselier travaille actuellement au sein du Laboratoire interdisciplinaire du doctorat (LID), une cellule d’une dizaine de chercheurs qui dépend de l’entreprise spécialisée dans le recrutement de docteurs Adoc Talent Management. Elle a étudié la question en interrogeant les premier·es concerné·es. Ses résultats, publiés dans la revue Higher Education Research & Development sont sans appel : meilleur est l’encadrement – soutien à l’autonomie, au développement des compétences et à l’intégration, implication, communication… –, plus les doctorants ont confiance en leurs capacités. « Cet effet s’explique en partie parce qu’un meilleur encadrement est lié à des comportements de recherche d’aide plus fonctionnels chez les doctorants », détaillait Jeanne Boisselier le 15 octobre dernier, avec au passage un message pour les encadrants : « Soutenir les doctorants ne les rend pas “passifs” ».

Puzzle. La comparaison avec une relation parents-enfants s’arrête vite : dans l’encadrement doctoral les deux parties sont adultes, avec leurs caractères et leur vision des choses. Jeanne Boisselier présentait en avant première les résultats d’une enquête menée avec deux collègues, Eric Bonetto et Nicolas Coli,  auprès de doctorants, qui sera publiée d’ici peu : « Plus le sentiment d’être similaire à leur encadrant en termes de valeurs et de personnalité est important, plus la relation est jugée de qualité. En d’autres termes, on vérifie l’adage : qui se ressemble, s’assemble ». Mais être différent n’est pas une fatalité : « Partager une vision commune augmente l’engagement et génère du plaisir au travail. » Une double bonne nouvelle : « La similarité ne se décide pas, alors qu’une réalité partagée peut s’entretenir, notamment en abordant des sujets comme les objectifs de l’un et de l’autre, les projections après le doctorat… », conclut Jeanne Boisselier.

« Les jeunes aujourd’hui voient le doctorat davantage comme une expérience professionnelle »

Didier Roche, LSCE

Coopératition ? Être sur la même longueur d’onde est un plus mais comment travailler ensemble au quotidien ? Chercheur au CEA et spécialiste de la gestion des risques, Jean-François Vautier présentait durant ce même atelier du 15 octobre la distinction subtile et souvent méconnue entre coopération et collaboration : « Dans une coopération, on réalise des tâches en commun en utilisant le travail de l’autre pour réaliser son propre travail ». Un exemple pris dans la vie de tous les jours ? Remplir à deux le coffre de la voiture avant de partir en vacances. Dans le cadre du doctorat, ce pourrait être lire ensemble un même article et confronter ses analyses. « Dans une collaboration, on réalise des tâches en parallèle, qui peuvent être identiques ou différentes », continuait Jean-François Vautier. Pour filer la métaphore du départ en vacances, vérifier la pression des pneus pendant que l’autre prépare les sandwichs. Ou, pour la thèse, le doctorant lit un article pendant que l’encadrant fait une recherche plus élargie. Le tout pouvant se faire de manière synchrone – au même instant – ou asynchrone, en présentiel ou en distanciel – on connaît bien le second depuis la Covid. 

Tour de Babel. S’il est bon de mettre des mots sur des pratiques, que faire pour faciliter le travail en commun ? « Une bonne communication est essentielle », précise Jean-François Vautier avec un exemple en tête, celui du crash sur Mars en 1999 d’une sonde de la Nasa : « Les données d’une entreprise sous-traitante utilisaient le système impérial [en pouces et en pieds, NDLR]  alors que la Nasa se basait sur le système métrique. » Une erreur basique qui a coûté des centaines de millions de dollars. Transposé au labo, des quiproquo peuvent vite arriver : « Si l’encadrant  demande au doctorant de faire une tâche “rapidement” sans préciser l’échelle de temps, comment savoir si c’est pour demain ou la semaine prochaine ? » Des pistes pour éviter les incompréhensions ? « Bien expliquer aux nouveaux arrivants comment l’on travaille dans le labo, les présenter à l’ensemble des membres dès leur arrivée », rapporte Jean-François Vautier qui insiste sur l’importance de mettre à plat les conditions de collaboration : « La répartition des tâches est-elle adéquate, la programmation pertinente, les durées de réalisation compatibles ? » Mieux vaut toujours anticiper les tensions.

« La posture de l’artiste qui ne compte pas ses heures (…)  est une vision idéalisée »

Jeanne Boisselier, LID

Le grand fossé. Car les tensions existent bel et bien, l’une des premières étant le fossé générationnel, comme en témoignaient les participants de la table ronde suivant les interventions le 15 octobre 2025 au CEA de Saclay. « Quand j’ai fait ma thèse, on était plus autonomes, il y avait plus d’exigences – et moins de cadre », se souvenait Valérie Pézo, chercheuse au CEA et directrice du Laboratory of Systems & Synthetic Biology (LISSB). Un constat que partageait Didier Roche, chercheur CNRS et directeur adjoint du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) : « Une transition s’est effectuée au moment de la Covid, les jeunes aujourd’hui voient le doctorat davantage comme une expérience professionnelle. » Il faut dire que le monde du travail, celui de la recherche inclus, a changé : « Il est normal d’avoir besoin de soupapes quand on voit l’accélération de nos rythmes de travail : l’explosion du nombre de publications, des notifications en tout genre, de l’utilisation de ChatGPT… », tempérait Bertrand Luvison, ingénieur chercheur au Laboratoire d’intégration de systèmes et de technologies (LIST). « La posture de l’artiste qui ne compte pas ses heures, travaille sous l’impulsion parfois la nuit, est une vision idéalisée du travailleur », rappelait alors Jeanne Boisselier, faisant référence aux travaux du sociologue Pierre-Michel Menger – que nous avions interviewé sur les mathématiciens. « Et comme le montrent les résultats des derniers sondages du RNCD, on peut tout à fait être transcendé par son sujet dans un environnement cadré. »

Au millimètre. Cadré, il faut reconnaître que le doctorat l’est de plus en plus. L’imposition stricte d’une durée de trois ans stricte a tendance à exclure les projets plus exploratoires. L’encadrement a évolué lui aussi : grâce aux formations, il se professionnalise. Le fameux comité de suivi individuel (CSI), introduit en 2016, y a également contribué – voici les explications de son fonctionnement par Paris-Saclay. Le principe ? Un suivi au minimum annuel du doctorant, que ce soit en termes de son encadrement ou de l’avancement de son projet. « Si la composition est correcte et que les rapports sont clairement rédigés, c’est un bon outil pour le doctorant. Les rapports sont remontés à la direction du labo et nous pouvons agir [en cas de problème, NDLR] », expliquait Didier Roche. « Parce qu’il procède à une discussion seul avec l’encadrant puis seul avec le doctorant, le CSI peut aider l’encadrant à faire passer certains messages au doctorant », estimait pour sa part Valérie Pézo. Doctorant au CEA en début de deuxième année, Mohamed El Amine Chabane témoignait de son expérience personnelle, positive pour l’instant : « L’encadrant, c’est comme un GPS, il nous montre la voie mais c’est à nous, doctorants, de conduire. »

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