« Une connerie ». C’est en ces termes que le nouveau premier ministre Gabriel Attal aurait parlé de la caution étudiante — une somme à déposer par les nouveaux arrivants pour la récupérer à leur départ —, comme l’a rapporté le député Manuel Bompard à divers médias début janvier. Une connerie, certainement, tant cette mesure-phare du projet de loi immigration — une parmi d’autres — a chauffé à blanc les esprits dans l’ESR (au cas où des non-initiés nous liraient : l’enseignement supérieur et la recherche) français depuis sa première évocation début décembre dernier. « Les mots ont un sens : c’est de la xénophobie », fulminait alors auprès de votre serviteur un président d’université. L’histoire retiendra que cet amendement de la discorde fut introduit par le sénateur encarté Les Républicains Roger Karoutchi début novembre lors de la première lecture du texte au Palais du Luxembourg. Le début d’un long chemin de croix.
« Les mots ont un sens : c’est de la xénophobie »
Un président d’université
Front commun. Tout le petit monde de l’ESR fit front, en une union rare : des universités au CNRS, en passant par les écoles de commerce les plus prestigieuses ou les sociétés savantes. Les fêtes de fin d’année furent l’occasion d’un premier rétropédalage de la Première ministre Élisabeth Borne qui, sentant le vent mauvais se lever au moment où la version définitive de la loi immigration achevait son douloureux parcours parlementaire, proposait de limiter le montant de ladite caution à « 10 ou 20 euros » au micro de Radio France dès le 20 décembre, vidant de facto de sens son éventuelle mise en place. Mais sur les bancs et dans les chaires des facultés, le mal était fait : pour beaucoup la France venait d’envoyer un message au reste du monde, celle d’une méfiance envers les étudiants étrangers, voire de manifester son « obsession du faux étudiant étranger », comme le résume Hicham Jamid dans The Conversation.
Un peu cavalier. La “caution retour” était de surcroît un arbre qui cachait une forêt un peu plus dense puisque le texte voté par le Parlement prévoyait en sus « une obligation annuelle pour l’étudiant étranger de justifier du caractère réel et sérieux de ses études » ainsi qu’une « majoration des frais de scolarité des étudiants étrangers ». Autant de mesures vexatoires pour les étudiants étrangers que le Conseil constitutionnel a annulé, dans une décision très attendue, finalement publiée le 25 janvier après un mois d’attente et d’expectatives. Les Sages du Palais royal ont en effet estimé qu’il s’agissait de trois « cavaliers législatifs » sans rapport avec l’objet premier du texte et les ont donc jugé inconstitutionnels. Retour donc à la case départ pour les étudiants étrangers en France ? La loi a été promulguée fissa au Journal officiel pour éteindre toute argutie (voir encadré).
« La prise de conscience ne dépasse pas l’ESR »
Donatienne Hissard, Campus France
Un grand ouf. Aux lendemains de cette décision, c’est donc le soulagement qui prévaut : « Le renforcement du contrôle réel et sérieux des études qui était prévu par le projet de loi est déjà en place dans les préfectures, tout comme les droits différenciés […] cela aurait créé une étape supplémentaire pour les étrangers venant étudier dans notre pays », résume Donatienne Hissard, directrice générale de Campus France, en charge notamment de l’attractivité de l’Hexagone dans le reste du monde. Les dommages de réputation à l’international semblent avoir été jugulés puisque la presse anglo-saxonne spécialisée (comme Times Higher Education) n’a traité de “l’affaire” qu’à la marge, contrairement à certains médias marocains, par exemple. « Il y a un devoir collectif de clarification vis-à-vis de nos décideurs et de la société française, continue Donatienne Hissard. J’ai été agréablement surprise de la défense de l’internationalisation de l’ESR, tout en sachant que cette prise de conscience ne dépasse pas l’ESR et quelques autres cercles, comme le Medef ».
Fermez le ban. Circulez, il n’y a plus rien à voir ? Dans ses vœux aux « forces vives » de l’ESR au musée du Quai Branly le jeudi 25 janvier dernier, la ministre de la Recherche Sylvie Retailleau veut tourner la page. Elle qui a remis sa démission fin décembre — refusée par l’Élysée — pour protester contre ces mesures a pris des accents lyriques pour réenchanter les mois à venir : « J’ai pris acte de la décision du Conseil constitutionnel et de la censure de la caution retour, incompatible avec les valeurs de l’ESR (…) Les étudiants internationaux sont une chance pour la France ». Et de citer : « Marie Curie [polonaise], George Charpak [ukrainien], Hubert Reeves [franco-canadien], Benoît Mandelbrot [polonais], Alexandre Yersin [suisse] ou Alexandre Grothendieck [longtemps apatride]… autant de pionniers, de prix Nobel, de médaille Fields, de médailles d’or du CNRS » aux origines diverses. « Notre action auprès de l’attractivité de la France n’est et ne sera pas modifiée par cette loi qui ne contient plus de mesure concernant les étudiants internationaux : l’ambition est d’accueillir 500 000 étudiants sur notre sol d’ici 2027, objectif qui n’a jamais changé », conclut Donatienne Hissard.
« On veut 30 000 étudiants (indiens) pour 2030 donc il faut y aller »
Emmanuel Macron
Double trouble. Si les principales dispositions du texte sur les étudiants étrangers en ont effectivement été exfiltrées, il n’en reste pas moins à gérer une certaine incompréhension auprès des premiers intéressés. De nombreux médias, dont France Info dans ce reportage à la Cité internationale de Paris ou le quotidien L’Ardennais se sont en effet penchés sur le cas de ces derniers durant la période d’incertitude institutionnelle entre fin décembre et fin janvier. Le 07 décembre dernier, lors de son allocution sur la recherche (nous vous en parlions), Emmanuel Macron se félicitait d’accueillir 49% de chercheurs étrangers dans le cadre des Chaires de professeur junior (CPJ). Voilà qui a tout du double discours pour notre pays. « La France n’est pas suffisamment perçue comme une grande nation de science et de recherche, surtout au niveau licence et master à l’étranger, on perçoit un déficit dans une étude que nous sommes en train de mener », avance Donatienne Hissard, de Campus France.
Sous les hourras. Lors de son voyage en Inde les 24 et 25 janvier 2024, Emmanuel Macron était venu plaider entre deux visites officielles pour l’accueil massif d’étudiants du sous-continent dans l’Hexagone : pas moins de 30 000 d’ici 2030, comme il l’avançait sur X (ex-Twitter) devant un public d’étudiants francophones qui lui était acquis, aux côtés de Thomas Pesquet ou de Priyanka Das Rajkakati. Autant de futurs doctorants de haut niveau dans nos unités mixtes de recherche et nos laboratoires. Or « un doctorant n’est pas un étudiant lambda, c’est un talent en devenir (…) la baisse récente du nombre de doctorants nous préoccupe mais la France surperforme de manière générale par rapport aux autres pays. Avec 38% de doctorants étrangers, nous sommes très au-dessus de la moyenne » (voir encadré), analyse Donatienne Hissard. Ironie de l’histoire, c’est depuis New Delhi qu’Emmanuel Macron a promulgué la loi immigration.
« Les deux postdocs indiens étaient angoissés de se faire contrôler leur identité »
Marc Robert, Paris-Cité
Paris-Mumbai. Ce cas qui nous a été rapporté de deux post-docs indiens issus d’un laboratoire de chimie à Paris Cité prouve qu’il y a encore fort à faire pour accueillir les “talents” étrangers. Malgré des CV académiques impeccables, des thèses à l’international, ces deux scientifiques se sont retrouvés sans papiers — et donc expulsables du territoire français — du jour au lendemain. La préfecture de Paris avait omis de leur remettre un récépissé de leur demande de titre de séjour. Sans ce sésame, aucun moyen de justifier de leur situation en cas de contrôle de Police. Une situation qui a duré quatre mois : « Ils étaient surpris de la tournure des choses et angoissés pour des raisons financières [leurs salaires n’étaient plus versés, NDLR] ou en cas de contrôle d’identité. On a organisé la solidarité dans le labo et pris les choses en main », raconte Marc Robert, professeur en chimie à l’Université Paris Cité. Il a fallu « une décision politique forte à la limite de la légalité » de la présidence de Paris-Cité pour que leurs salaires puissent à nouveau être versés. Une situation encore plus grave touchant 500 étudiants est en cours à l’Université Grenoble-Alpes, rapporte Le Dauphiné Libéré. Dans l’Hexagone, un étudiant étranger est-il mieux traité qu’un étranger tout court ?
Que restera-t-il de la loi immigration ?
Le texte censuré par le Conseil constitutionnel a donc été promulgué fissa et, de fait, ne contient presque plus de mentions des étudiants étrangers, à l’exception de l’article 1 qui prévoit la production d’un rapport sur les chiffres de l’immigration estudiantine auprès du Parlement tous les ans. Ledit rapport indiquera, par pays, « le nombre de visas accordés et rejetés, en précisant si l’étudiant dispose d’un baccalauréat français ou d’un diplôme étranger, le délai moyen d’instruction des demandes, le nombre des avis, positifs et négatifs, émis par Campus France pour des demandes de départ vers la France et le nombre d’étudiants qui abandonnent leurs études en France en cours de cursus ». L’article 30 fait lui évoluer le terme de « passeport talent » en « talent » (souvenez-vous, on en parlait), une disposition censée attirer les candidats qualifiés en recherche ou dans les jeunes entreprises innovantes pour de la R&D. Pour mémoire, selon l’organisme Campus France, 402 883 étudiants étrangers, majoritairement du Maroc, de l’Algérie, de la Chine, de l’Italie et du Sénégal, suivent des études en France — un chiffre en hausse de 17% sur cinq ans. Les étudiants doivent faire valoir un revenu minimum de 615 euros mensuel et du côté des frais d’inscription, ils sont, pour les étudiants extra-communautaires, de 2 770 € annuels en licence, 3 770 € en master et 380 € en doctorat, toujours selon Campus France. Les doctorants étrangers représentent 38% des effectifs de doctorants en France.