Les ups and downs de l’open

Depuis leur mise en place, les politiques de science ouverte récoltent le fruit de leurs investissements. Avec des effets attendus… et d’autres moins.

— Le 21 juin 2024

Qui n’a pas envie d’être lu ? Le consensus grandit : publier vos résultats en accès ouvert vous permet d’être plus largement cité. Si toutes les études ne s’accordent pas sur son ampleur, le phénomène existe bel et bien, comme le précisait vos collègues allemands, auteurs de ce rapport basé sur une analyse de la littérature entre 2010 et 2021. Plusieurs résultats récents viennent le confirmer : déposer un preprint augmenterait de 20% le nombre de citations, selon une étude déposée elle-même sur arxiv et réalisée en partie par l’équipe de PLOS, à partir de plus de 120 000 articles publiés par l’éditeur à but non-lucratif. L’effet s’observe également dans la presse, comme le montre cet article de Quantitative Science Studies : dans les revues les plus prestigieuses, la probabilité d’être cité dans les médias passe d’environ 10% à 50% pour les publis en accès ouvert. Ce bénéfice de l’open access est donc devenu une carotte que les défenseurs de la cause peuvent tendre devant le nez des moins convaincus.

L’ouverture, notamment des données, n’est pas une évidence pour toutes et tous.

L’âge de raison. Cet “open access citation advantage” a été très tôt repéré. En 2002, Reinhard Wentz, bibliothécaire dans le domaine du médical sur un campus britannique, s’inquiétait dans les colonnes de The Lancet ce que qu’il désignait le biais FUTON (Full Text On the Net) : les personnes les moins expérimentées, voire le grand public, ne risquent-elles pas de se référer à des études open peut-être moins pertinentes au détriment de publications derrière un paywall ? Ce discours alarmiste ferait sourire aujourd’hui, tant les mentalités ont changé. La qualité des publications en accès ouvert rivalise avec celles en accès payant, études à l’appui : cinq sont recensées par vos collègues allemands.

Une fois, deux fois. Au-delà de rendre vos publications plus visibles, l’accès gratuit et immédiat permet une transmission plus rapide et égalitaire des résultats et ouvre la possibilité de les reproduire, notamment si les données sont également ouvertes. Cependant, l’ouverture des data n’est pas une évidence pour toutes et tous (nous vous en parlions). Entre le nettoyage de vos données, la documentation à rédiger et les autorisations à obtenir, le partage devient une charge de travail supplémentaire, affirme Thomas J. Hostler, chercheur en psychologie à la Manchester Metropolitan University, qui se dit partisan de l’open science mais critique des politiques publiques.  Celles-ci ne règleraient pas les inégalités, voire les entretiendraient, avancent deux articles publiés en 2022, l’un par un groupe spécialisé sur le sujet en Autriche et l’autre par la philosophe des sciences Sabina Leonelli.

La science ouverte “aide” les chercheurs des pays les moins fortunés à adopter le même comportement que ceux des pays riches.

Le reste du  monde. La science ouverte bénéficie-t-elle aux chercheurs des pays désavantagés par les coûteux abonnements ? Les auteurs de cet article publié dans Scientometrics ont étudié  l’origine géographique des citations de plusieurs millions de publications. Conclusion : celles en accès ouvert font preuve de plus de diversité dans les citations, notamment en provenance de pays d’Afrique ou d’Amérique du sud. Et le dépôt sur des d’archives ouvertes est plus efficace de ce point de vue qu’un accès ouvert sur le site de l’éditeur. Vos collègues du Sud, comme on dit à l’IRD, profitent donc de l’ouverture des publis pour les lire et les citer, mais vous, au Nord, en bénéficiez encore plus : les centres prestigieux, en Europe et en Amérique du nord, raflent la majorité des citations. 

PIB et conséquences. En d’autres termes, la science ouverte “aide” les chercheurs des pays les moins fortunés à adopter le comportement de ceux des pays riches. Ce que confirme une étude publiée dans le Journal of Information Science. Les auteurs – norvégiens – ont analysé des dizaines de millions d’articles publiés entre 1980 et 2020 et classé les auteurs en fonction du PIB de leur pays d’affiliation. Alors que les auteurs de pays moins fortunés avaient tendance en 2005 à citer plutôt des articles en open access, leurs comportements se rapprochent aujourd’hui de leurs collègues des pays les plus riches : citer des publications plus récentes et indexées dans les bases internationales. Bien que la causalité ne soit pas démontrée, les auteurs mettent en avant la corrélation avec les pratiques de science ouverte. 

Les grandes maisons d’édition multiplient les revues “gold”de ce type et privilégient la quantité plutôt que la qualité.

Médaillés. Mais il y a open et open. Fortement critiqué, le modèle “gold” correspond au paiement par les chercheurs d’article processing charge (APC), en moyenne près de 2000 dollars (lire notre repère chiffré), pour la publication de leur article en accès ouvert. Un commerce très lucratif pour les grands éditeurs qui multiplient les revues “gold” et privilégient la quantité plutôt que la qualité. Sans oublier les revues prédatrices ou dans la zone grise : Omics, MDPI… De plus en plus en voix  s’élèvent contre ce modèle, notamment à l’occasion du nouvel accord avec Elsevier (relire notre analyse). Celui-ci transforme les traditionnels abonnements souscrits par les bibliothèques en forfait de publication, donnant aux chercheurs l’illusion d’une publication gratuite. Certains craignent une concentration de la publication dans ces revues et donc une dépendance plus grande à leur égard.

À votre bon cœur. Face à ces constats, le modèle “subscribe to open” (S2O), dénigré il y a quelques années, revient sur le devant de la scène. Le CNRS se félicitait récemment de sa réussite en mettant en lumière plusieurs revues en mathématiques, éditées par des associations à but non-lucratif ou par EDP Sciences (nous vous en parlions dans cet épisode de Vis ma vie d’éditeur). Le principe : répartir les frais d’abonnements parmi un maximum d’établissements et, lorsque le montant permettant un bon fonctionnement de la revue est atteint, le paywall tombe (un modèle dont TheMetaNews s’inspire pour sa campagne Demain ouvrir TMN). Contrairement au modèle APC, le S2O n’incite en effet pas à la course vers toujours plus de publication mais aurait tendance à en améliorer la qualité.

Et si les matheux nous montraient la voie ?

Diamants éternels. Le modèle le plus plébiscité par les puristes de la science ouverte reste néanmoins la voie “diamant” : des revues “maison” sans forcément de grands moyens, gérées a la mano par des collectifs de chercheurs et soutenues financièrement par les institutions. S’appuyant sur les plateformes d’archives ouvertes, les épirevues en sont un exemple, nous vous en parlions longuement dans cette série d’analyses. Karim Ramdani, chercheur Inria et membre du comité pour la science ouverte, s’en félicite : « Ces projets vertueux ont vu le jour grâce aux moyens mis en place par les politiques de science ouverte ». Reste aujourd’hui à convaincre les chercheurs d’y publier. Les matheux pourraient nous montrer la voie : rendez-vous la semaine prochaine.

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