OMICS ou le paradoxe des revues prédatrices

Victimes innocentes ou complices cyniques… une étude dresse les portraits-robots de ces chercheurs, tous soumis au “publish or perish”, qui ont publié dans des revues prédatrices.

— Le 30 juin 2023

« Le temps de traitement a été rapide. La communication Whatsapp était excellente. » Voici un des nombreux témoignages recueillis lors d’une enquête interrogeant les chercheurs suite à leur publication dans des revues prédatrices éditées par le groupe indien OMICS – à ne pas confondre avec la revue du même nom. Après avoir identifié et contacté par email plus de 2200 auteurs, la chercheuse lyonnaise en sciences de l’information Chérifa Boukacem-Zeghmouri et ses collègues ont reçu une centaine de réponses, publiées dans le preprint Profiles, motives and experiences of authors publishing in predatory journals: OMICS as a case study (voir encadré). 

« Les chercheurs du Sud se saignent pour publier, certains ont emprunté pour cela »

Chérifa Boukacem-Zeghmouri

Global south. Si la distribution géographique s’étire sur plus de trente pays, les répondants à l’enquête viennent à 17,5% d’Inde, à 14% d’Éthiopie, et à 9,3% du Nigeria – mais tout de même 7% des États-Unis… Beaucoup témoignent de leur satisfaction. Publication quelques jours après la soumission, diffusion facilitée de l’article grâce à l’accès ouvert, frais de publication parfois dérisoires… pour quatre chercheurs sur cinq, l’expérience semble avoir été positive. À tel point que 71% d’entre eux se déclarent prêts à réitérer. 

Tout n’est pas rose. Mais ce n’est pas le cas de tous. Environ un cinquième des répondants a rapidement été bien déçu par la qualité du processus éditorial. Beaucoup se sont en effet aperçus que la revue ne répondait pas du tout aux standards internationaux : pas de DOI, pas d’indexation, et surtout, pas de peer review ! « Ils font quelques révisions mais pas assez », témoigne un des chercheurs cités dans l’étude. Une naïveté de prime abord qui interroge : comment peut-on passer à côté du caractère prédateur d’une revue et y soumettre son papier ? 

«  Les frais de publication semblent fixés à la tête du client, selon comment il mord à l’hameçon »

Chérifa Boukacem-Zeghmouri

Erreur de jeunesse. En premier lieu par manque d’expérience, répond Chérifa Boukacem-Zeghmouri : « Nous, chercheurs européens et nord-américains, baignons dans cette culture de la publication, ce qui nous permet d’avoir un regard critique. Or, souvenons-nous de nos débuts en tant que jeunes doctorants : il peut être compliqué de faire la distinction entre les revues et leur qualité ». La communication scientifique s’apprend – relire notre numéro à ce sujet : souvent sur le tas, de manière informelle et au contact de chercheurs expérimentés. Ce dont ne bénéficient pas tous les chercheurs en fonction de leur nationalité. 

Belle palette. Les chercheurs en large proportion originaires du Sud global sont la proie d’une stratégie de communication bien huilée. « Grâce aux couleurs des sites web, à la rhétorique des emails, les éditeurs prédateurs tentent de s’approcher au maximum de la culture et des modes de communication des chercheurs cibles, qui sont alors en confiance », explique Chérifa Boukacem-Zeghmouri qui travaille actuellement sur une analyse en profondeur de ces ressorts. Un style “Bollywood” qui frappe d’autant plus les Occidentaux, habitués à une sobriété de mise.

« OMICS se remplit ainsi les poches sur le dos de quelques “victimes” »

Chérifa Boukacem-Zeghmouri

Call center. Si une moitié des répondants à l’enquête déclare avoir payé des frais de publications de moins de 100 dollars, un cinquième aurait déboursé plus de 1000 dollars. Des sommes astronomiques pour les chercheurs du Sud, auxquelles Chérifa Boukacem-Zeghmouri ne s’attendait pas : « Les frais de publication semblent fixés à la tête du client, selon comment il mord à l’hameçon ». En négociant, les chercheurs peuvent s’en sortir avec une publication à prix réduit, voire gratuite – les revues prédatrices ayant aussi besoin d’arriver à une masse critique. S’ils sont identifiés comme une bonne victime, les éditeurs prédateurs ne les lâchent plus.

Deep impact. Pour certains, la soumission de leur article a carrément tourné au cauchemar. En plus d’afficher de faux facteurs d’impact sur ses revues – OMICS avait été condamné par l’équivalent étasunien de la répression des fraudes à payer plus de 50 millions de dollars en 2018 – l’éditeur indien se livre à des pratiques qui flirtent avec la criminalité. Les chercheurs catalogués se retrouvent harcelés par email et même sur Whatsapp, se voyant exiger le paiement des frais de publication non pas une fois, mais deux. « Les chercheurs du Sud se saignent pour publier, certains ont emprunté de l’argent auprès de leur entourage spécialement pour cela », rappelle la chercheuse lyonnaise.

« Cette sous-culture remet en question le système occidental dominant et élitiste qui les ignore et les rejette »

Chérifa Boukacem-Zeghmouri

Ghost writers. Prédateur avéré – contrairement à MDPI appartenant à la “zone grise”, relire notre analyse – OMICS se remplit ainsi les poches sur le dos de quelques “victimes”. Pour appâter le chaland, il lui faut également garnir ses 737 fausses revues et sites web associés, parfois sous d’autres noms comme Hilaris ou Longdom Group, d’articles scientifiques, ou du moins de quelque chose qui y ressemble. Ainsi, la grande majorité des “publications” d’OMICS ont pour auteur… des fantômes. Dans ce système pratiquement mafieux, des petites mains traduisent automatiquement des articles publiés ailleurs en les modifiant légèrement, recopient des morceaux d’articles et y apposent d’autres noms, soit inventés, soit de chercheurs renommés pour tenter de gagner en légitimité… mais évidemment sans l’accord de ces derniers – relire notre numéro sur l’usurpation d’identité

Publier et survivre. Une partie des répondants à l’enquête avoue tout de même en avoir tiré des bénéfices. Si les frais de publication sont bien négociés, ces revues prédatrices deviennent pour eux un moyen facile, rapide et pas cher de garnir leur CV. Des chercheurs qui peuvent alors profiter d’augmentations de salaire, voire de promotions : « Je suis passé d’un poste de chercheur associé à un poste de chercheur à part entière grâce à [cette] publication », atteste un des répondants. Pour un autre bon client, la revue prédatrice lui permet de publier un article par an et donc de répondre aux exigences de son employeur. 

« Je suis passé d’un poste de chercheur associé à un poste de chercheur à part entière grâce à [cette] publication »

Un répondant à l’étude

Contre culture. Chérifa Boukacem-Zeghmouri et ses co-auteurs y voient l’émergence d’une véritable culture alternative : « Leur rapport à la publication n’a rien à voir avec celui qui a été développé dans les régions dites du Nord, centrée sur des principes de qualité et d’examen approfondi. Cette sous-culture remet en question le système occidental dominant et élitiste qui les ignore et les rejette ». Un système du “publish or perish” poussé à son paroxysme, et dans lequel les chercheurs du Sud global n’ont d’autres choix  que de passer par ces revues prédatrices pour publier. Faute de périr professionnellement.

Une main tendue

Profiles, motives and experiences of authors publishing in predatory journals: OMICS as a case study a été soumis à The Malaysian Journal of Library and Information Science, revue appartenant à une société savante malaisienne. Pourquoi ce choix ? « Le caractère open access de cette revue “diamant” – gratuite à la fois pour les auteurs et les lecteurs – était central afin que les chercheurs du Sud puissent y accéder », explique la première auteure Chérifa Boukacem-Zeghmouri. Mais un autre critère a joué : « Cette revue est proche du lectorat cible, que sont les victimes des revues prédatrices – principalement des chercheurs dans les pays du Sud. Notre volonté est donc d’informer et de sensibiliser, car ils ont besoin d’être accompagnés ».

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