Les deux visages de Patrick Hetzel

Nommé le 21 septembre 2024, le nouveau ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est attendu au tournant par la communauté scientifique.

— Le 2 octobre 2024

C’est fait : après un trou d’air gouvernemental de presque deux mois, la rue Descartes a un nouveau locataire. Ou plutôt deux, puisqu’aux côtés de Patrick Hetzel, nommé à l’Enseignement supérieur et à la recherche, Clara Chappaz, ex directrice de La French Tech, s’est vu octroyer un secrétariat d’État à l’Intelligence artificielle et au numérique – un portefeuille qui glisse à cette occasion de Bercy vers la montagne Sainte Geneviève. Institutionnellement, le CV de Patrick Hetzel a plaidé pour lui : âgé de 60 ans, sa déjà longue carrière l’a mené à occuper le rôle de Directeur général à l’enseignement supérieur et à l’insertion professionnelle (Dgesip) au ministère dont il garde « un souvenir extraordinaire », comme il l’a précisé lors de son discours de passation avec Sylvie Retailleau le 23 septembre dernier sur le perron du ministère. Des états de service qui lui valent pour le moment un attentisme prudent de la part des acteurs de l’ESR. Il faut dire que ledit ministre tient le secteur dans ses mains pour 2025, sans préjuger de l’avenir d’un gouvernement qui peut être censuré d’un claquement de doigts parlementaire. « Le calme des vieilles troupes sera de rigueur, on sait que du jour au lendemain, cela peut s’arrêter », présageait-il rue Descartes le 23 septembre dernier, qui a occupé ce poste pendant deux ans.

« On ne préjuge pas de son action en tant que ministre »

Christophe Bonnet, CFDT

Passage de témoin. Peut-être conscient de l’ampleur de la tâche, Patrick Hetzel a accueilli avec une « humilité » de circonstances ses nouvelles missions. « Ne vous attendez pas ce matin à une feuille de route précise », a-t-il alors prévenu, tout en assurant que « la recherche n’est pas une dépense mais un investissement ». La déclamation du discours de politique générale mardi 1er octobre par le Premier ministre Michel Barnier doit sonner la fin de la récréation gouvernementale. Les premières rencontres avec les institutions et les syndicats sont prévues dans les prochains jours. Car il faut maintenant passer aux choses sérieuses : avec un budget très probablement en berne pour l’année prochaine, ce sera la mission cardinale de Patrick Hetzel. Sylvie Retailleau s’en était déjà alerté le 4 septembre dernier dans un courrier adressé au Premier ministre démissionnaire Gabriel Attal : exit « la hausse de financement de l’Agence nationale de la recherche, l’augmentation du nombre de contrats doctoraux, le développement des chaires de professeurs junior (nous vous en parlions) ou les investissements dans les grandes infrastructures de recherche ».

Effet couloir. Certainement conscient de l’étroitesse de ses marges de manœuvre, l’intéressé a assuré lors de la passation vouloir s’atteler « à l’attractivité, à l’innovation et à la coopération à l’international et en Europe ». « Je suis alsacien, on peut être de droite et avoir l’Europe chevillée au corps ». Ce luthérien aux convictions religieuses affirmées plaide, en compensation de finances nationales en berne, pour un doublement des budgets de recherche au niveau européen. « Nous verrons », a-t-il immédiatement modulé, certainement conscient que cette promesse n’engage que ceux qui voudront bien y croire. En effet les budgets européens de recherche, rabotés il y a peu, sont à la main de gouvernements peu amènes lorsqu’il s’agit de mettre la main au portefeuille pour la recherche (relire notre analyse lors des élections européennes). Sous ce ciel chargé, la seule éclaircie que pointe France Universités au lendemain de sa nomination est le maintien de l’ESR dans un seul et même ministère. Son président Guillaume Gellé court depuis les tribunes pour alerter sur la situation financière des universités, comme encore le 25 septembre dernier au Congrès Régions de France où il a émis la crainte que des établissements « doivent fermer des antennes ». Au total, selon le lobby des présidents d’université, 60 universités françaises sur 74 seraient en déficit fin 2024.

« On attend d’un ministre qu’il fasse confiance aux personnels »

Caroline Mauriat, Snesup

Islamoquoi ? Personne ne peut lire dans le marc de café mais le logiciel politique droitier de Patrick Hetzel — il s’est élevé contre la constitutionnalisation de l’IVG, le mariage pour tous… — va certainement lui attirer des inimitiés fortes, notamment dans les sciences sociales qu’il a fustigées lors de son mandat de député… Un dirigeant de l’ESR interrogé confirme ses craintes et celle de la communauté à propos d’un Patrick Hetzel qui remettrait « les islamogauchistes et le wokistan » au goût du jour. Rappelons que l’intéressé plaidait encore le 24 avril dernier pour que l’enquête sur l’islamo-gauchisme promise par Frédérique Vidal en 2021 (nous vous en parlions) soit ressuscitée. Pas de quoi rasséréner les chercheurs en sciences sociales directement visés lors de cette séquence médiatique. « Patrick Hetzel est un fossoyeur de plus. Pour protéger l’ESR, il faudra le censurer », assène le député LFI de Seine-et-Marne Arnaud Saint-Martin, également sociologue au CNRS, dans une tribune publiée dans L’Obs. « Nous sommes inquiets de sa proposition d’enquête sur les dérives de l’islamo-gauchisme, complète Caroline Mauriat, co-secrétaire générale du syndicat Snesup, tout comme nous l’étions quand Sylvie Retailleau engageait les universitaires à ne pas tenir certains propos sur la situation à Gaza. Notre liberté d’expression et de débat est en jeu, on attend d’un ministre qu’il fasse confiance aux personnels ».

Raoult compatible ? Plus délicat encore, durant la crise de la Covid, le député LR du Bas-Rhin a eu des prises de position carrément à rebours des consensus scientifiques, pointées par différents médias dont Libération,. Il avait notamment publiquement plaidé en 2020 pour « une utilisation de l’hydroxychloroquine, de l’azithromycine et du Zinc dans le traitement précoce du Covid ». Une impatience rétrospectivement coupable qu’il a semblé justifier le 23 septembre lors de la passation en évoquant « une frustration très grande lorsqu’en 2020 nous avons vu d’autres pays avancer sur l’élaboration de vaccins pour lutter contre cette pandémie ». Il a également co-signé toujours en plein Covid une proposition de loi visant à « mettre en place un moratoire de deux ans sur le taux de remboursement à 15 % de l’homéopathie ». Le portrait de l’intéressé est donc troublant. Côté pile, un gestionnaire bon teint de l’ESR, fin connaisseur de ses arcanes. Côté face, un parlementaire certes actif sur les questions de recherche mais aux opinions tranchées. « On le garde en tête mais peut-être n’était-ce que de la politicaillerie, analyse Christophe Bonnet (Sgen-CFDT), on ne préjuge pas de son action en tant que ministre mais ça aurait été mieux qu’il s’abstienne de ce genre de prises de positions. »

« Il est incompréhensible qu’un scientifique comme lui (…) puisse avoir des discours proches des antivax »

Pierre Ouzoulias, sénateur PCF

Double face. Pour Pierre Ouzoulias, sénateur PCF des Hauts-de-Seine, « Patrick Hetzel [et moi] avons bataillé sur la Loi de programmation de la recherche de peur que le gouvernement ne respecte pas ses engagements, nous y sommes aujourd’hui ». Mais, pour le même, « il est incompréhensible qu’un scientifique comme lui [il est enseignant-chercheur, professeur en sciences de gestion à l’université Paris-Panthéon-Assas, NDLR] puisse avoir des discours proches des antivax ». Coïncidences ou appréciations personnelles ? « Ceux qui étaient farouchement contre l’article 4 de la loi sur les dérives sectaires [dont Patrick Hetzel, NDLR] étaient les mêmes qui prônaient l’hydroxychloroquine ou luttaient contre le masque ou la vaccination, continue le parlementaire : un petit lobby très complotiste, en rébellion par rapport à la rationalité scientifique ou la science dite “officielle” ». En attendant, le monde de l’ESR, privé du son et de l’image, semble donc vouloir juger l’arbre à ses fruits. Rendez-vous avec le panier pour la récolte dans les semaines à venir.

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