Science et politique, bientôt l’heure des slows ?

Il aurait fallu plus d’une année pour épuiser le sujet des relations entre scientifiques et politiques, c’était pourtant la thématique de la matinée du 22 mai dernier, à l’initiative de l’UNSA. Résumé.

— Le 4 juin 2025

Depuis quelques années, les liens entre science, société et politique semblent s’être fragilisés. Les attaques de Donald Trump depuis sa réélection à la présidence des États-Unis n’en sont que l’exemple le plus récent. Les scientifiques sont de plus en plus nombreux à exprimer leur frustration. Comment remettre la science au cœur des solutions pour un futur désirable ? La question était au cœur de la  table ronde organisée par l’UNSA Éducation — qui rassemble 23 syndicats — jeudi 22 mai 2025 à Paris, dans le grand amphithéâtre des Arts et Métiers. Sur scène, des chercheurs, des militants, et des politiques. Nous y étions. 

« Les rationalités scientifique et politique sont deux choses très différentes »

Léa Falco

Retour de bâton. Quelle place pour les sciences dans le débat public ? Le backlash scientifique post Covid-19 a flouté la différence entre faits scientifiques et opinion. Avec un oubli majeur : « la vérité scientifique n’est pas gravée dans le marbre, elle évolue à mesure que la science évolue », rappelle Agathe Cagé, docteure en sciences politiques, cofondatrice et présidente d’une agence de conseil en stratégie. Les questions écologiques n’y échappent évidemment pas : ce dernier a pris une toute autre ampleur depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche — relire notre analyse. Les arguments avancés en faveur des combats écologiques sont ainsi considérés comme partisans et donc scindés des faits scientifiques. « L’environnement est souvent perçu à tort – et parfois à raison — comme une contrainte », souligne Roland Lescure, ancien ministre de l’Industrie et vice-président de l’Assemblée nationale.

Action, réaction ? Certaines ont pourtant bien tenté de faire bouger les choses. Léa Falco, porte-parole de « Pour un réveil écologique » et diplômée de Sciences-Po Paris, avait par exemple organisé en septembre 2022 des discussions devant l’Assemblée nationale entre scientifiques et députés sur ces enjeux écologiques — le média Vert en parlait. Sans prétendre pouvoir former les députés en une trentaines de minutes seulement, le projet avait pour but d’établir un lien entre ces deux mondes qui semblent ne pas parvenir à communiquer. Lydéric Bocquet, directeur de recherche au CNRS et professeur au Collège de France, avait lui tenté de lancer un nouveau « Projet Manhattan » — dont nous vous parlions — pour proposer des solutions concrètes à la crise environnementale. Sans succès. « Notre narratif sur la transition écologique n’est pas bon », analyse le physicien. 

« Le temps de l’élection ne peut être ignoré puisqu’il est au fondement de la démocratie »

Agathe Cagé

Décalage horaire. Pris au piège de la « malédiction du convaincu », les scientifiques  n’adapteraient en effet pas assez leurs stratégies pour que leurs travaux soient pris en compte dans les décisions publiques. « Les rationalités scientifique et politique sont deux choses très différentes », affirme Léa Falco. Un fait scientifique à lui seul ne peut suffire donc à convaincre un politique. « Ce dont il [le politique] rêve en arrivant au travail le lundi matin, c’est d’une annonce », explique Roland Lescure. Deux temporalités différentes — le temps long de la recherche et court de la vie politique — qui engendrent moults incompréhensions et critiques. Un exemple concret : les contraintes budgétaires nécessitent des mesures immédiates de la part de Bercy, pour qui « l’utilité de la recherche »  semble tout sauf une évidence. De quoi expliquer l’appellation de « punks à chien » dont auraient été affublées les universitaires par un haut fonctionnaire de Bercy, tel que rapporté par l’ancien ministre de la recherche Patrick Hetzel ?

Google Traduction.  « Le temps de l’élection ne peut être ignoré puisqu’il est au fondement de la démocratie », rappelle Agathe Cagé. Entre ceux dont l’horizon est trop court (les politiques) et les autres qui pensent avoir la vie devant eux (les chercheurs), comment accorder les violons ? Pour Roland Lescure, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) mis en place lors du deuxième mandat d’Emmanuel Macron est un exemple de mesure efficace. « La première étape pour construire quelque chose ensemble est de comprendre les contraintes de l’autre », explique Léa Falco. Mais pour cela, encore faudrait-il que les deux univers arrivent  à communiquer. Temporalités différentes mais aussi langages différents : d’un côté, des textes de lois régis par les codes et le vocabulaire juridiques. De l’autre, des articles scientifiques pour lesquels le référencement entre pairs est la règle. Comment créer une culture commune entre ces deux mondes ? « Nous devons être scientifiques sans être scientistes », explique Léa Falco qui appelle à ne pas se limiter aux politiques mais à s’adresser aussi aux administrations, forces de propositions. Ce dialogue encore trop embryonnaire en France — bien que nécessaire — pourrait être facilité par l’apparition de figures « hybrides » capables de comprendre les deux univers. Un rôle qu’aurait pu jouer le Conseil présidentiel à la science — relire notre analyse — aujourd’hui disparu ? 

« Il faut être deux pour danser le tango »

Roland Lescure

En attente. « Il faut être deux pour danser le tango », insiste Roland Lescure à deux reprises. Du côté des chercheuses et chercheurs, représentés notamment lors de la table ronde par Jérôme Giordano, maître de conférence à Aix-Marseille Université et responsable de l’Unsa Education, le son de cloche n’est pas tout à fait le même : « Les collègues font déjà des efforts, il faut que les politiques s’y mettent eux aussi ». Le GIEC qui évaluent l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes, ses impacts, a beau produire des résumés à l’attention des décideurs, « les évolutions ne sont pas en accord avec la gravité des faits », poursuit Jérôme Giordano avant de rappeler la nécessité et l’urgence de planifier à long terme des stratégies basées sur les travaux scientifiques. « Il y a un manque de confiance — peut-être réciproque — entre la recherche et la sphère politique », complète le chercheur.

Coup de pub. Mais toutes les disciplines ne sont pas logées à la même enseigne. En témoigne par exemple l’investissement d’une centaine de milliards d’euros — dont nous vous parlions — en faveur de l’intelligence artificielle. « Si on était capable de mettre autant pour l’environnement, on serait complètement transformateur », estime Lydéric Bocquet. Un investissement politique et économique selon un auditeur qui pose une question fondamentale : ne serait-ce donc pas le rôle des politiques de créer une narration positive autour de la recherche pour qu’elle soit valorisée et surtout financée ? « L’investissement dans la recherche est le fondement de tout ce qu’on est en train de construire (…) Sans recherche, pas de défense, d’éducation ou encore de transition écologique », poursuit Agathe Cagé. Des propos complétés par l’ancien ministre de l’Industrie, Roland Lescure, pour qui il faudrait que chaque ministère comprenne « que son avenir est lié à celui de la recherche ». 

« L’accueil [des] chercheurs [états-uniens, NDLR] ne doit pas se faire au détriment des jeunes collègues qui sont déjà en France »

Jérôme Giordano

Et moi, et moi, et moi. Et les jeunes chercheurs dans tout ça ? « Nous sommes nombreux à avoir l’impression qu’il n’y a pas de place pour les futurs chercheurs en France », explique une personne du public. De la suppression du dispositif « Jeunes docteurs » — dont nous vous parlions il y a peu et dont Roland Lescure s’inquiète lui aussi — aux récentes coupes budgétaires, de nombreuses annonces alarment. Et les 100 millions investis dans le programme « Choose France for Science » — relire notre analyse — ne semblent pas épuiser ces craintes. S’il est nécessaire de réaffirmer la volonté française d’être une terre de liberté académique, « l’accueil de ces chercheurs ne doit pas se faire au détriment des jeunes collègues qui sont déjà en France », conclut Jérôme Giordano.

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