Quand le Président convoque la science

Privé et confidentiel, le Conseil présidentiel à la science auprès d’Emmanuel Macron va-t-il dans le bon sens ?

— Le 20 décembre 2023

Apôtres. Ils sont douze de vos collègues à avoir été appelés par l’Élysée pour constituer un Conseil présidentiel à la science (CSP, voir sa composition en encadré). Le Président de la République l’a annoncé le 07 décembre dernier lors d’un discours très commenté, comme nous l’avons décrypté pour vous. La création de ce CSP était attendue depuis quelques mois, suite au trauma collectif qu’a été le retard français dans le développement d’un vaccin à ARN contre le Covid, ce que le “PR” a encore rappelé début décembre. Résultats des courses : une première séance en forme de tour de table le 7 décembre, logiquement suivie d’autres. Alain Fischer, président de l’Académie des sciences, se veut pragmatique :« jusqu’à présent tout a échoué donc il y a évidemment un risque que celui-ci échoue aussi. Tout dépend du Président de la République. »

« En l’état, il ne s’agit que de médiation scientifique pour Emmanuel Macron »

Patrick Lemaire, Coillège des sociétés savantes

Comitologie. Plusieurs organes se sont effectivement succédé depuis 40 ans, notait ainsi le rapport Gillet à l’été dernier (nous vous en parlions) : le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, le Comité d’orientation stratégique, le Conseil national de la science puis le Haut Conseil de la science et de la technologie et enfin, plus récemment le Conseil stratégique de la recherche, assoupi depuis. Le rapport Gillet avait même fait de la création d’un conseil scientifique sa mesure “star”. Or le Conseil présidentiel à la science « ne ressemble ni à ce qu’esquissait le rapport Gillet ni à ce que nous avons proposé (…) Les chief scientific officer évoqués dans le rapport Gillet sont des personnages publics, leur rôle ne consiste pas à faire l’éducation à la science d’une personne », regrette Patrick Lemaire, président du Collège des sociétés savantes. 

Grands angles. Ce même collège avait lui aussi apporté sa pierre au débat en septembre dernier, en proposant dans une optique différente un Conseiller ou Conseillère scientifique du gouvernement placé auprès du ou de la première ministre, « comprenant une équipe de soutien technique et d’un ou plusieurs conseils scientifiques interdisciplinaires ». Acculturation des personnels, évaluation des politiques publiques et tutti quanti, l’ambition était grande. Plus grande certainement que celle qui a prévalu à l’annonce de la création du Conseil présidentiel du 07 décembre dernier. « Si on veut que les politiques soient formés aux sciences, une personne n’est pas suffisante. Les exemples étrangers montrent la nécessité de s’adosser à une administration, une ingénierie logistique, c’est un boulot à plein temps. En l’état, il ne s’agit que de médiation scientifique pour Emmanuel Macron », assène Patrick Lemaire

« La confidentialité ne me choque pas, d’une certaine façon c’est même plus sain que les échanges ne soient pas sur la place publique »

Alain Fischer, Académie des sciences

Action, réaction. Interrogée sur le sujet par nos soins, la ministre de la Recherche Sylvie Retailleau défend évidemment la mise en place du CSP : « [il faut] faire en sorte que les décisions de l’exécutif, quel que soit le domaine, soient encore mieux guidées par les dernières connaissances scientifiques sur le sujet. Cela ne me semble pas véritablement correspondre à l’idée d’une utilisation purement personnelle et discrétionnaire ». La réception du CSP est pourtant tiède, tant les espoirs étaient grands, ce que le syndicat Snesup assume avec des mots très crus : « Cet organe n’aurait-il pas pour seule fonction de légitimer les décisions surplombantes de l’exécutif ? L’inquiétude est d’autant plus forte qu’il sera exigé une confidentialité des échanges alors que la recherche scientifique est faite de transparence et de débats contradictoires (…) La recherche et l’innovation française n’ont pas besoin d’un énième comité Théodule ».

Silence, on science. Pierre Ouzoulias, sénateur PCF des Hauts-de-Seine, pointe un « entre soi du président et de conseillers qu’il a lui-même choisi ». Le huis clos exigé pour les douze membres du CSP fait en effet couler beaucoup d’encre mais ne dérange pas tout le monde : « La confidentialité ne me choque pas, d’une certaine façon c’est même plus sain qu’ils ne soient pas sur la place publique ; les échanges au sein du conseil n’appelleront pas de décisions politiques, contrairement au conseil scientifique Covid », analyse Alain Fischer. L’ancien président du conseil scientifique Jean-François Delfraissy, bénéficiant alors d’une vraie stature publique, n’avait pas caché ses dissensions avec le Président quand ce dernier avait choisi malgré ses préventions de payer une visite à Didier Raoult à l’IHU de Marseille (rappelez-vous), légitimant de fait ce dernier dans une période plus que troublée.

« Le CSP ne doit pas être qu’un club social. Dans ce cas, ce serait une occasion manquée»

Rémi Quirion, Scientifique en chef du Québec

Ne voir qu’une tête. L’exercice du pouvoir élyséen par Emmanuel Macron s’accommoderait-elle mal de la coexistence avec une personnalité publique à l’aura potentiellement nationale ? De fait, des structures scientifiques comme le Haut conseil pour le climat aiguillonnent régulièrement l’action gouvernementale en la matière et possèdent en leur sein des personnalités publiques comme Valérie Masson-Delmotte (relire son interview) ou à plus forte raison Jean-Marc Jancovici. Mais la constitution du Conseil présidentiel pour la science n’y ressemble pas, tout comme il ne ressemble pas aux systèmes équivalents, surtout dans les pays anglosaxons qui, pour beaucoup, ont adopté des Chief scientific officer. Rémi Quirion, en tant que Scientifique en chef du Québec (nous l’avions interviewé sur ce sujet), est l’un d’entre eux : « J’espère que cela aura un impact, il pourrait notamment être utile sur de la veille prospective pour informer le président et les ministres du gouvernement. S’il n’est qu’un club social, ce sera une occasion manquée ».

Ladurée. Reste un dernier point, peut-être le plus crucial : l’importance du CSP tient non tant à sa création qu’à sa pérennité. Or rien dans la proposition actuelle ne permet de penser qu’il survivra à Emmanuel Macron, pointe Patrick Lemaire : « La responsabilité des dirigeants actuels est de préparer le système pour la suite, en établissant des contre pouvoirs. Or le Conseil présidentiel de la science va immédiatement sauter en 2027 si les connaissances scientifiques dérangent le ou la prochaine présidente. Il n’est pas inscrit dans le paysage. Nous avons proposé la création d’une Autorité administrative indépendante, qui peut évidemment être dissoute… mais moins facilement ». Le spectre d’une alternance politique à l’extrême droite en 2027 occupe en effet déjà les esprits. S’il fallait finir sur une note positive, rappelons que Sylvie Retailleau et son homologue Stanislas Guérini, ministre de la Transformation de la Fonction publique, ont annoncé début décembre que 1200 chercheurs se sont portés volontaires pour former 25000 cadres de la fonction publique à la transition écologique. Rendez-vous en 2027 pour le bilan ?

Levons le suspense, voici la liste des douze membres, un aréopage de médaillé·es, de Nobel, d’académicien·nes, constituant le nouveau Conseil présidentiel de la science (CSP) : 

> Claire Mathieu, mathématicienne
> Alain Aspect, médaille d’or du CNRS en 2005 et prix Nobel de physique en 2022
> Sandra Lavorel, écologue et médaille d’or du CNRS en 2023
> Pascale Senellart, physicienne et médaille d’argent du CNRS en 2014
> Jean Tirole, professeur à la Toulouse School of Economics et médaille d’or du CNRS 2007 
> Fabrice André, oncologue, directeur de la recherche de Gustave-Roussy
> José-Alain Sahel, médecin ophtalmologiste, Académie des Sciences, médaille de l’innovation du CNRS 2012,  directeur de l’Institut de la vision jusqu’en 2021
> Aude Bernheim, chercheuse en microbiologie à l’Inserm
> Hugo Duminil-Copin, mathématicien, médaille Fields 2022
> Pierre-Paul Zalio, professeur de sociologie, président du Campus Condorcet
> Lucien Bely, historien, membre de l’Institut de France et de l’Académie des sciences morales et politiques
> Claudine Tiercelin, philosophe professeure au Collège de France

La première séance, le 7 décembre dernier, a été consacrée à un simple tour de table de présentation de chacun, le comité étant censé se réunir tous les trois mois à l’initiative de l’Élysée et ne possède pas de présidence ou de secrétariat général parmi ses membres. Pierre-Paul Zalio, président du Campus Condorcet, témoigne : « Je n’ai aucune idée de la manière dont j’ai été choisi, quand j’ai été appelé par l’Élysée, on ne m’en a pas expliqué les raisons. Tout le monde a été appelé au même moment, dix jours avant ; j’ignorais tout de la constitution de ce conseil auparavant. Je me suis dit que si le PR me faisait appeler, ce serait bien d’accepter, en espérant que cela sera utile ». Même processus de recrutement pour Claire Mathieu, de l’Académie des sciences : elle qui avait critiqué la réforme des retraites sur X (ex-Twitter) craint juste de servir de « caution à la politique gouvernementale ». Quant aux profils des recruté·es au CSP, très divers mais tous prestigieux, Alain Fischer note néanmoins qu’ il y « manque peut-être des représentants de la chimie des sciences de l’univers ou de la terre ». Peut-être de la place pour de futurs nouveaux entrants ?

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