Fin de partie rue Descartes

Le mandat de Sylvie Retailleau est arrivé à son terme mais son action l’est-elle ? On fait le point sur les chantiers entamés ces deux dernières années.

— Le 24 juillet 2024

Le ministère de la recherche tourne au ralenti depuis quelques semaines. Avec un gouvernement cantonné aux « affaires courantes » depuis sa démission le 16 juillet dernier pour un temps indéterminé, le train des réformes esquissé par Emmanuel Macron le 7 décembre dernier dans son discours élyséen (nous vous en parlions) ainsi que le timing pour ce faire — dix huit mois, dixit le PR — semblent aujourd’hui bien hypothétiques. Au moment de dresser un bilan un peu paradoxal de l’action de Sylvie Retailleau alors que l’intéressée est encore à la tête du ministère de la Recherche, gardons en tête cette grande inconnue : nul ne sait  aujourd’hui qui occupera sa place dans les mois à venir ni, surtout, avec quelle feuille de route ni avec quel logiciel politique, ni, enfin, avec quel budget puisque le blocage parlementaire que la France vit à l’heure actuelle freine les discussions autour du projet de loi de finances pour 2025.

« À terme, vous le savez, le pilotage et la gestion des UMR sur les sites universitaires doivent être sous la responsabilité entière de l’université »

Sylvie Retailleau

Tic, tac. Dès sa prise de fonction en mai 2022, la ministre de la Recherche, alors présidente de l’université Paris Saclay avait promis des « évolutions » pas des « révolutions » (nous vous en parlions) : il n’était donc pas question une seconde de renverser la table dressée par celle qui l’avait précédée à ce poste, Frédérique Vidal. L’existant, rien que l’existant, avec une promesse de simplification à la paillasse (relire son interview de décembre 2023) et de clarification institutionnelle, notamment dans les rapports entre universités et organismes de recherche. Toujours mesurée dans ses interventions publiques, ce n’est que lors d’une de ses dernières interventions publiques, le 28 juin dernier, que la ministre de la Recherche était d’ailleurs “sortie du bois” en déclarant que « à terme, vous le savez, le pilotage et la gestion des UMR sur les sites universitaires doivent être sous la responsabilité entière de l’université ». Une pierre dans le jardin du CNRS et consorts qui avait été déposée l’air de rien par Emmanuel Macron dès 2022 lors d’un discours de campagne pour les 50 ans de France Universités (nous l’avions analysé ensemble).

Tenir la ligne. Car Sylvie Retailleau, elle-même ex-présidente d’université et ex-présidente de la commission Recherche de France Universités, n’a jamais dérogé à cette politique d’autonomie, rebaptisée « phase 2 » depuis décembre 2023. Une politique incarnée par au moins deux initiatives : les Contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) et les agences de programme. Les premiers à destination des universités — la première vague a été entérinée avec 34 établissements en mars 2023 —, les secondes voulant régir les organismes de recherche (CNRS, Inserm, Inrae et consorts). Avec une ambition : responsabiliser les universités, tenter d’abolir le micromanagement centralisateur du ministère côté universités et “diriger” la recherche au sein des organismes, comme elle nous le confiait lors d’une de ses dernières interviews à la veille du second tour des législatives (lisez ou relisez la).

« [Les COMP] Une démarche finalement assez « top down » qui ne laisse pas assez de place à l’autonomie »

Christine Musselin en 2023

Culbuto. Éminemment complexe et protecteur de ses prérogatives, le monde de la recherche se réforme comme on joue au mikado. « Si nous avons un peu d’argent à gérer, c’est bien. Beaucoup d’argent, c’est encore mieux. En revanche, si nous n’avons rien à gérer, nous allons rapidement nous épuiser », déclarait avec sa franchise habituelle Antoine Petit à nos confrères de l’AEF. Derrière les grands élans politiques se cache la vérité des budgets. Or ceux dévolus aux COMP ou aux agences de programme ne mentent pas :ils ne représentent en effet au maximum que 1% de la subvention pour charge de service public (SCSP) versée par le ministère pour le fonctionnement des universités. « La chantilly mais pas les fraises », comme on a pu l’entendre à plusieurs reprises dans les travées de l’ESR. Ces contrats sont « une démarche finalement assez « top down » qui ne laisse pas assez de place à l’autonomie », nous déclarait la chercheuse Christine Musselin en juillet 2023 (relisez son interview).

Stratosphérique. Il en va de même pour les agences de programme : ces sept héritières des Programmes d’équipement prioritaires de recherche (PEPR, en voici la liste) ont été lancées officiellement début décembre 2023, après avoir été préfigurées dans le rapport Gillet, rendu quelques mois avant (nous vous en parlions). Avec un budget de fonctionnement certes substantiel — un million d’euros pour l’agence de l’Inrae ou celle de l’Inserm — mais une mission aux contours flous : produire de la recherche “dirigée” au service de la société. Une surcouche administrative pas toujours compréhensible vu de la paillasse, venue s’ajouter à la volée au Plan de recherche à risques financé par France 2030 et opéré par l’Agence nationale de la recherche (nous vous en parlions) ainsi qu’ à la volonté de réformer la recherche biomédicale en France, restée pour le coup au milieu du gué, malgré une volée de rapports sur le sujet (relisez l’interview de Didier Samuel sur le sujet).

« Personne ne se lève le matin en se disant qu’il va essayer de complexifier la vie de ses collègues »

Antoine Petit (AEF)

Meccano. Trois ans après son vote définitif, la Loi de programmation de la recherche avec son chapelet de mesures — et de polémiques — ainsi que ses milliards « de rattrapage » étend encore son influence et Sylvie Retailleau en a décliné et précisé les modalités tout au long de son mandat. Avec un bémol : le bilan quantitatif et qualitatif prévu pour cet été se fera encore attendre, vu le contexte politique. Et la grande loi d’investissement dans l’enseignement supérieur voulue par les universités qu’elle aurait pu porter ne verra de facto pas le jour. Mais s’il est une promesse emblématique du mandat de Sylvie Retailleau vu des labos, il s’agit de la simplification. Ce qui dans l’histoire des promesses s’avère une des plus difficiles à tenir. Le constat est en effet connu depuis de (très) nombreuses années : les tutelles tentaculaires, les surcouches de gestion (autrement appelées entraves administratives) prennent la tête des chercheurs. Même si « personne ne se lève le matin en se disant qu’il va essayer de complexifier la vie de ses collègues », pointait Antoine Petit à nos confrères de l’AEF, le fait est que la vie des chercheurs est complexe.

De petits riens. Que reste-t-il aujourd’hui de la mission “commando” sur le sujet annoncée fin décembre par la ministre de la Recherche avec un baromètre de la simplification et un groupe de travail à l’avenant ? Hasard du calendrier, une première étape symbolique a été franchie avec ce texte paru au Journal officiel le 6 juillet dernier qui allège et simplifie « la communication des pièces justificatives afférentes aux frais de déplacement avancés par les agents publics », ce qui signifie de ne plus avoir à « scanner et archiver des dizaines de tickets de repas par mission ! Le plus souvent à l’encre thermique, donc illisibles au bout de deux mois », se félicite François Xavier Coudert sur X. Un arbre qui cache une forêt de normes de gestion différentes auxquelles se confrontent les chercheurs quotidiennement. Une situation que décrivait déjà ce rapport de 2016, sous la présidence de François Hollande, sans que rien ou si peu n’ait changé dans l’intervalle.

« Nous n’avons plus à scanner et archiver des dizaines de tickets de repas par mission ! »

François-Xavier Coudert sur X

La disparition. Que restera-t-il des expérimentations de simplification lancées fin 2023 sur 17 sites universitaires (Toulouse 3, Bordeaux…) dans quelques mois quand le compte à rebours d’Emmanuel Macron sera arrivé à son terme ? Ou de la volonté d’autonomiser les universités ? Ou de la place devenue prépondérante de l’Agence nationale de la recherche et des appels à projets ? Là est la question aujourd’hui. Le blocage parlementaire n’empêche certes pas de procéder par circulaire ou modification réglementaire mais sa volonté politique survivra-t-elle au départ de Sylvie Retailleau ?

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