Des chaires d’excellence made in France

Jusqu’à trois millions d’euros sur cinq ans, les chaires d’excellence biologie santé sont-elles la solution à tous les maux de la recherche ?

— Le 15 mai 2024

Le 22 avril dernier, un aréopage d’officiels et de chercheurs s’étaient donné rendez-vous à l’Institut Pasteur. Deux ministres —Frédéric Valletoux pour la Santé, Sylvie Retailleau pour la Recherche — un préfet, un maire d’arrondissement ainsi que le président du conseil d’administration de l’institut Yves Saint-Geours et sa nouvelle directrice générale, la chercheuse Yasmine Belkaid, étaient présents. Sans oublier bien sûr les 22 lauréats des toutes nouvelles chaires d’excellence en biologie/santé, dont une bonne proportion issue précisément de l’institut parisien. Il s’agissait de lancer officiellement ce qu’Emmanuel Macron avait esquissé le 7 décembre dernier lors de son allocution élyséenne devant 300 chercheurs (nous vous en parlions). Le président regrettait alors qu’« on finance encore beaucoup trop des projets et pas assez des équipes et (…) beaucoup trop sur des temps courts ». Six mois après, nous y sommes.

« Il est dommage que ces chaires ne soient axées que sur la biologie et la santé »

Olaya Rendueles (chercheuse CNRS à l’université Toulouse 3)

Cordon ombilical. Visite de laboratoire avec caméras à l’appui, cérémonie de remise des prix suivies de pitchs individuels de deux minutes chacun — auxquels les politiques n’ont pas assisté —, la communication officielle autour des chaires d’excellence est lancée. Rien à voir ou presque avec celles créées en 2008 par Valérie Pécresse, que ce soit en termes de montant et d’objectif. S’il y a une quinzaine d’années, les sommes en jeu se montaient à 20 000 euros maximum, il faut ajouter deux zéros pour le dispositif inauguré en grandes pompes il y a quelques jours. Selon Lise Alter, directrice générale de l’Agence innovation en santé, il s’agit de « créer les meilleures conditions possibles pour accueillir de jeunes chercheurs talentueux, actuellement en activité à l’étranger », tout en diminuant les « lourdeurs qui freinent la recherche », selon Frédéric Valletoux. Voilà pour l’ambition de ce que beaucoup décrivent comme un “ERC à la française”.

Ligue des champions. Les financements élitistes et généreux de l’European research council (ERC) — le “top of the pop” au niveau européen — servent en effet de toile de fond à cette initiative hexagonale. « On peut parler d’ERC à la française mais seulement dans une certaine mesure, il s’agit de donner des moyens conséquents aux meilleurs projets de recherche, qu’ils soient fondamentaux ou non », résume Alain Fischer, président de l’Académie des sciences, qui coprésidait le comité de sélection de ces chaires avec Elena Conti, biologiste au Max Planck Institute of Biochemistry. Et puisqu’il est question de moyens, venons-en au fait : les lauréats des chaires d’excellence ont remporté deux millions d’euros pour mener leurs recherches, avec un “coup de pouce” éventuel d’un million d’euros en cas d’achat de matériel onéreux. Une somme « tout à fait significative », euphémise Alain Fischer ; dans l’Hexagone, de telles sommes dédiées à la paillasse sont de fait exceptionnelles. La recherche hexagonale est plus familière des “grants” avec un zéro voire deux zéros de moins. 

« Je me bats pour que ce ne soit pas une initiative “one shot” 

Alain Fischer, Académie des sciences

Petit Poucet. La comparaison avec l’ERC est donc possible sur certains points, notamment les montants dépassant la barre symbolique du million d’euros ou le taux de sélection plus que drastique : 15% pour l’ERC, il est même au final trois fois moins élevé pour les chaires d’excellence devant l’afflux de candidatures. La communication officielle insiste également beaucoup sur les personnalités des chercheurs, en majorité aguerris, tous nommément cités et mis en avant. Il faut dire que ces chaires sont des tremplins pour des ERC dont l’Advanced, qui octroie jusqu’à 2,5 million d’euros pour cinq ans à ses heureux récipiendaires. D’importantes différences subsistent néanmoins : ces chaires d’excellence “à la française” ne seront pas a priori récurrentes et surtout non “portables”. En clair : les sommes appartiennent à l’établissement de rattachement du lauréat et non au lauréat lui-même. De peur certainement que les intéressé·es prennent la poudre d’escampette à l’étranger avec les millions, les datas, le matériel et les publis financées sur les deniers publics provenant du fonds d’investissement France 2030 (nous avions interviewé son président Bruno Bonnell).  

One shot ? « Ces financements sont exceptionnels par leurs montants mais ce serait bien qu’ils soient pérennisés, pointe Olaya Rendueles Garcia, chercheuse CNRS à l’Université Toulouse 3, lauréate d’une de ces chaires disciplinaires. Trop disciplinaires ? « Il est dommage que ces chaires ne soient axées que sur la biologie et la santé, continue-t-elle, certains termes étaient exclus d’entrée. J’ai dû adapter mon projet pour en éliminer au moins en partie l’écologie et l’évolution tout en gardant son originalité. Je ne pouvais pas dépouiller tout mon travail de ces aspects. Je n’ai donc rien caché de mes intentions même si en cours de route, le projet évoluera peut-être et ouvrira d’autres portes ». C’est un fait : la biologie santé fait l’objet d’une attention particulière du gouvernement. Les chaires sont l’une des mesures émanant du Plan innovation Santé 2030, annoncé par Emmanuel Macron en 12 octobre 2021, en plein pendant la crise de la Covid. Et la réforme du financement de ce secteur stratégique agite le landerneau depuis des années (nous vous en parlions).

« L’état d’esprit initial semblait être d’attirer des chercheurs étrangers »

Mohamed-Ali Hakimi, chercheur Inserm à Grenoble

Un œil en coulisse. Si l’argent est là, la stratégie à long terme manque encore : « Je me bats pour que ce ne soit pas une initiative “one shot” où seule une poignée de projets seront bien financés mais que ces chaires soient renouvelées d’année en année », espère Alain Fischer. En l’état, France 2030 a mis sur la table 80 millions d’euros en trois vagues — les 22 lauréats connus sont issus des deux premières — qui seront bientôt closes au moment où nous écrivons ces lignes. Point final ? « Il est indispensable pour éviter les frustrations que le programme de chaires soit renouvelé sur au moins trois ans et étendu à d’autres disciplines mais n’ai pas d’indice que ce sera le cas. Je pense qu’il faut qu’elle soit intégrée dans le budget du ministère de la Recherche. La décision est à la main des politiques », continue-t-il. Car l’ambition initiale de ces chaires, à savoir « attirer ou (…) maintenir sur le territoire national les meilleurs chercheurs mondiaux » est à ce prix. 

Plan B. Mohamed-Ali Hakimi chercheur Inserm dans une UMR CNRS, Inserm et Université Grenoble Alpes, fait également partie de la deuxième vague de lauréats annoncée à Pasteur le 22 avril dernier ; il est l’heureux “gagnant” des deux millions, certainement complétés de quelques centaines de milliers d’euros pour l’achat de matériel de pointe. Il témoigne : « Nous avions eu vent de la création de chaires internationales mi-2023 avec des délais de dépôts très courts, l’état d’esprit initial semblait être d’attirer des chercheurs étrangers ». Force est de constater que l’objectif a évolué en cours de route : les chaires semblent aujourd’hui plus conçues pour ne pas laisser s’échapper de précieux neurones hors de France et, dans un second temps, à embaucher des doctorants et des post docs internationaux. Les sommes versées dans le cadre des chaires d’excellence sont, rappelons-le, rattachées à un établissement. « Je ne sais pas si cela attirera des chercheurs étrangers mais pour ceux qui sont déjà là, cela leur donnera des raisons de rester. Pour attirer un chercheur étranger, il faut un poste en plus dans la balance, le financement ne suffit pas », témoigne Mélanie Hamon, biologiste à l’Institut Pasteur, elle aussi lauréate d’une de ces chaires.

« L’ambition est d’attirer en France des chercheurs — français ou non — depuis l’étranger »

Alain Fischer, CNRS

Mercato. Il faut dire que la concurrence internationale est rude : « J’ai été approché par plusieurs universités internationales avec des sommes avoisinant 6 à 8 millions d’euros, témoigne Mohamed-Ali Hakimi. Notamment au Crick institute à Cambridge ou à la King Abdullah University of Science and Technology (KAUST) en Arabie saoudite… » Sans parler des financements du National Institute of health américain (NIH) qui peuvent dépasser les dix millions. Selon lui, le marché de l’emploi des chercheurs à mi parcours capables de mener des projets de recherche ambitieux est tendu. Et ce n’est pas pour faire les affaires de la France : « Il y a un départ massif de baby boomers à la retraite en ce moment, les effectifs ont du mal à se renouveler. Dénicher des directeurs d’unité est problématique, au niveau international comme à l’Inserm. Ces chaires tentent à mon sens de répondre à ce problème », continue  Mohamed-Ali Hakimi. Comme le résume Alain Fischer : « Si suite il y a, l’ambition est d’attirer en France des chercheurs français ou non depuis l’étranger et de créer une sorte de mercato. Mais pour cela il faut qu’il y ait une récurrence ». 

Égérie. Si une des lauréates devait incarner à elle seule ces chaires, ce serait Yasmine Belkaid. Cette microbiologiste à la réputation mondiale formée à l’institut Pasteur est récemment revenue au bercail : elle en a même été nommée directrice générale début 2024 après une carrière stratosphérique outre Atlantique. Les collègues interrogées décrivent unanimement une personnalité exceptionnelle et Anthony Fauci himself, directeur du NIH et Mr Covid durant la pandémie, déplorait son départ des USA à chaudes larmes auprès du Monde : « Nous sommes tristes parce que nous perdons l’une de nos scientifiques les plus appréciées et les plus chères, une superstar scientifique et un leader visionnaire ». Reste à faire que le cas de Yasmina Belkaid ne soit plus l’exception mais la règle.

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