Hendrik Davi : « Nous avons besoin d’une nouvelle loi sur l’ESR »

Ancien syndicaliste et chercheur à l’Inrae, le député Nupes Hendrik Davi détaille ses priorités pour le mandat à venir.

— Le 23 novembre 2022

Vous préparez actuellement une nouvelle Loi de programmation de la recherche (LPR). Pourquoi ? 

L’idée de cette LPR “reloaded” est de réfléchir à l’ESR dans sa globalité : la dichotomie actuelle entre l’université et la recherche est factice. Il s’agit même d’un choix politique, tout devrait être réuni dans un cadre commun et c’est cette vision que je défendrai. Son dépôt est prévu  en décembre ou janvier prochain. Je précise qu’elle ne sera probablement pas examinée immédiatement, l’idée est de trouver la bonne fenêtre de tir dans les cinq ans à venir. Ce type de loi cadre occuperait au moins toute une niche [une période de 24h pendant laquelle les groupes parlementaires ont la maîtrise de l’agenda, NDLR]. Nous défendrons donc certainement ce texte article par article dès que nous en aurons l’occasion. 

« Les appels à projets arrosent là où le sol est déjà humide. Je l’ai constaté dans ma discipline »

Hendrik Davi

L’analyse des budgets de la recherche se heurte à son grand éclatement entre différents ministères, comment y remédier ?

Les budgets sont effectivement très séparés et c’est un immense problème, nous avons déposé des amendements en commission des Finances afin de réintégrer dans le budget du ministère de la Recherche toutes les initiatives d’excellence, comme France 2030. Leur pilotage a été extrait de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le ministère n’a plus la main. Pour prendre l’exemple de la dépense par étudiant, le ministère nous a fourni les chiffres [le tableau est à consulter en annexe de cette note, NDLR], mais il reste à effectuer le même travail en incluant les financements compétitifs [France 2030, ANR…], en calculant leur répartition pour chaque établissement.

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-cedu/l16b0374-tvi_rapport-avis#_Toc256000025

Quelle est votre analyse de l’extension des appels d’offres depuis le début des années 2000 ? 

Ces financements arrosent là où le sol est déjà humide. Je l’ai constaté dans ma discipline : certains labos “attrapent” tous les ANR ou les ERC et disposent littéralement de millions d’euros sans parfois même savoir comment les dépenser. Ce qui mène d’ailleurs à des surcharges de travail et parfois à des burn-out parmi les chercheurs et les personnels de soutien. À l’échelle des établissements le problème est identique : aucun mécanisme ne permet la redistribution aux universités disposant de peu de moyens. Pour recevoir ces financements, les universités doivent avoir déjà été les bons élèves de la fusion. Je note tout de même un rééquilibrage entre Paris et la Province, que la CPU [devenue France Universités, NDLR] nous a pointé : le recours aux jurys étrangers a permis de diluer les effets du mandarinat traditionnel. 

« Les sommes mises en jeu dans la recherche suffiraient presque à elles seules si elles étaient utilisées différemment»

Hendrik Davi

Au-delà de la manière de financer la recherche, l’enveloppe globale est-elle suffisante ?

Revenons à notre future proposition de loi : l’argent est certes un problème mais les sommes mises en jeu par la LPR, ajoutées à celles de France 2030 et d’une partie du Crédit impôt recherche (CIR) suffiraient presque à elles seules si elles étaient utilisées différemment. Nous pourrions augmenter les salaires, les crédits récurrents et relancer la recherche en France… Aujourd’hui ces sommes sont utilisées de manière inégalitaire pour des raisons purement idéologiques et sans preuve d’efficacité. 

L’augmentation du nombre de publications n’est-elle pas un bon signal [consultez le rapport de l’OST, NDLR] ? 

Les chercheurs savent que cette course est délétère : à mon humble avis, le niveau des publications ne cesse de baisser, c’est en tout cas ce que je constate dans ma discipline. L’impression générale est que l’information scientifique se dilue. Dans les trois quarts des projets européens dont j’ai connaissance, les chercheurs récupèrent les financements pour faire la recherche qu’ils souhaitent derrière. Le coût transactionnel voire moral est grand et les révolutions sont rares : la science avance millimètre par millimètre. À partir du moment où vous êtes dans le bon réseau, le bon consortium, vous pouvez en faire état à chaque fois pour obtenir des appels d’offres. Je viens personnellement d’une unité qui en récoltait en moyenne un par an, souvent porté par les généticiens. Mais même les gagnants de ce système en sont mécontents : ils préféreraient des crédits récurrents. Les appels d’offres resteraient utiles dans certains cas mais en recherche fondamentale… De plus, les livrables à rédiger pour remporter un appel sont compliqués et représentent une vraie perte de temps. Cette vision de la recherche qui veut que l’on doive annoncer au financeur ce qu’on va découvrir avant de l’avoir découvert a été portée par des gens qui n’en ont certainement jamais fait. Appels à projets, crédits récurrents, il faut probablement les deux mais actuellement le système est dystrophié.

« Il faut une bascule forte pour que les chercheurs se désintoxiquent des appels d’offres »

Hendrik Davi

Jean-Luc Mélenchon, dont vous avez été un des artisans du programme présidentiel [relire notre numéro sur le sujet], préconisait de supprimer l’Agence nationale de la recherche. Vous maintenez ?

Supprimer l’ANR serait un signal fort mais il faut absolument relever les crédits récurrents dans le même temps pour éviter l’erreur commise par les Socialistes entre 2012 et 2017 : sans cela, la concurrence entre les labos serait exacerbée. Si l’on regroupe toutes les sommes actuellement sur la table sans toutefois inclure le Crédit impôt recherche, nous pourrions dégager 14 000 euros par personne et par an. Les grands équipements sortiraient évidemment de ce calcul. 

L’innovation et le transfert vers les entreprises ne bénéficient-ils pas du mode de financement actuel ?

Permettez-moi d’en douter également : regardez Airbus, Ariane, Alsthom… la France a toujours été à la pointe de l’innovation pendant 50 ans. Un système de redistribution “keynesien” comme nous l’avons connu après la Seconde Guerre mondiale peut tout à fait produire de l’innovation, aucune donnée historique ne prouve l’inverse. Un certain nombre de personnes agitent ce retard français depuis quelques années [relire notre interview de Joël Laillier et Christian Topalov, NDLR]… C’est pour cette raison que nous avons besoin d’une loi sur le sujet : pour remettre des crédits récurrents, en finir avec l’ANR, le Hcéres [Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, NDLR] ou le CIR tels qu’ils existent actuellement. Il faut une bascule forte pour que les chercheurs se désintoxiquent des appels d’offres et pour restreindre ces derniers à certains développements ou techniques bien ciblées.

« Une chose est sûre : le CIR est dévoyé, beaucoup d’éléments objectifs le prouvent »

Hendrik Davi

Que pense le ministère de ces propositions radicales de transformation du système ?

Je pense que Sylvie Retailleau, qui a été chercheuse, ne serait pas complètement en désaccord avec nous sur certains de ces aspects. Les effets délétères de cette politique sont palpables. Prenons l’exemple des Instituts hospitalo-universitaires (IHU) : Didier Raoult est le biologiste le plus cité en France et le 3e ou 4e dans le monde ; pourtant ses propos sur l’hydroxychloroquine ont mené à la mort de centaines de citoyens brésiliens. Or le problème est intrinsèque aux IHU comme l’ont reconnu les rapports de l’IGAS et de l’IGESR [Inspections générales des affaires sociales et de l’ESR, NDLR] : ce sont des fondations privées [l’IHU de Marseille a le statut de fondation de coopération scientifique, NDLR] qui s’extraient de la collégialité scientifique. La science au XXIe siècle doit rester du collectif, encore et toujours.

Au sujet du Crédit impôt recherche, qui représente bon an mal an 7 milliards d’euros, si une réforme à court terme semble exclue, sera-t-il possible de le réorienter vers la transition écologique ?

Si l’on devait “verdir” le CIR, je me méfierais du “greenwashing” qu’il pourrait entraîner. Je ne suis pas antimarché mais le marché semble incapable de traiter ces problèmes, qui doivent être résolus autrement. Il faut amener nos sociétés vers un moment que nous avons connu après la Seconde Guerre mondiale où, sans aller jusqu’à une socialisation intégrale, l’État a été pilote des changements, en France comme dans les pays nordiques. Nous avions porté des amendements de réforme du Crédit impôt recherche que nous n’avons pas pu défendre parce que le couperet du 49.3 est tombé avant. Le travail sur le sujet est encore à venir. Une chose est sûre : le CIR est dévoyé, beaucoup d’éléments objectifs le prouvent. Ses dépenses ont augmenté sans que l’embauche de docteurs ne suive. Il est très probable que de nombreuses entreprises aient transformé des postes d’ingénieurs en postes de chercheurs pour en bénéficier. Un de nos amendements portait sur ce point : conditionner l’obtention du CIR à l’embauche de docteurs. Le problème remonte à 2007 quand les règles de calcul ont changé… Je suis partisan de repartir à zéro sur ce sujet. 

« Nombre d’étudiants n’envisagent pas le doctorat à cause des mauvaises conditions de travail dans la recherche »

Hendrik Davi

Beaucoup des problèmes de la recherche ne tiennent-il pas au statut des docteurs en France ?

Le doctorat n’est clairement pas assez valorisé, même si les choses tendent à s’améliorer. Pour une raison simple : les pratiques s’homogénéisent à l’international. En Allemagne, impossible de diriger une filière industrielle sans être docteur. Nous souffrons encore en France de la dichotomie entre ingénieurs et docteurs avec le paradoxe que l’apprentissage est de plus en plus valorisé mais le doctorat, un diplôme qui comprend pourtant une formation par la recherche, ne l’est pas. Étrange quand on y pense. Les mentalités évoluent lentement : les petites entreprises notamment se méfient du monde universitaire et survalorisent les écoles d’ingénieurs. Reste que nombre d’étudiants n’envisagent pas le doctorat à cause des mauvaises conditions de travail dans la recherche. Je note tout de même l’effort consenti par la ministre sur la rémunération des doctorants récemment. En revanche, le nivellement à trois ans de la durée des thèses a rendu le processus stressant : il faut ouvrir la possibilité d’un financement d’une quatrième année pour ceux qui le souhaitent. Tout le monde n’a pas la possibilité de devenir ATER [Attaché temporaire d’enseignement et de recherche, NDLR], loin de là.

Existe-t-il un lobby de la recherche au Parlement ?

Pas à ma connaissance, c’est certainement trop tôt, malgré des discussions avec des parlementaires connaisseurs du sujet. Je pense notamment à Patrick Hetzel, bien que nos points de vue ne convergent pas sur tous les sujets. Pour préparer la proposition de loi pour l’ESR, j’ai contacté d’autres députés chercheurs ou enseignants chercheurs qui ne sont pas dans la commission des Affaires culturelles, notamment Aurélie Trouvé ou Sandrine Rousseau [relire son interview]. Par ailleurs, je siège à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques [OPECST, rassemblant sénateurs et députés, NDLR] qui donne une vraie voix à l’expertise et à la démarche scientifique. Si on devait parler d’une amicale des chercheurs, elle serait d’ailleurs plutôt à l’OPECST.

Continuez-vous à assurer des activités de recherche ?

Je voulais au départ continuer à 5% mon activité au labo, notamment l’encadrement de doctorants, j’ai finalement choisi une mise en disponibilité totale avec un accès numérique à mon espace de travail. Même si le cumul était théoriquement possible, comme pour les professeurs d’université ou dans une certaine mesure pour les maîtres de conférence, je ne le souhaitais pas.

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