Le serment des docteurs : symbole juste ou juste un symbole ?

Prêter serment va devenir monnaie courante : au-delà de l’engagement moral se pose aujourd’hui la question de son obligation et de son utilité.

— Le 20 janvier 2023

Levez la main droite. « En présence de mes pairs. Parvenu(e) à l’issue de mon doctorat… » Si vous avez récemment soutenu votre doctorat ou participé à un jury de thèse, vous avez peut-être assisté aux toutes premières prestations de serment doctoral. Si cette disposition de la loi Recherche a été initialement portée par le sénateur et historien Pierre Ouzoulias (relire notre analyse), son texte n’a été rédigé qu’après coup – l’Office français à l’intégrité scientifique (Ofis) et l’Académie des sciences y ont principalement contribué – pour finalement apparaître dans l’arrêté d’août 2022 sur le doctorat. Avant sa mise en place systématique prévue à partir du 1er janvier 2023, certains doctorants, à leur propre initiative ou à celle de leur directeur de thèse, parfois même sur proposition de l’école doctorale, ont déjà prêté serment.

Prêter serment est une obligation légale mais pas une condition nécessaire pour l’obtention du doctorat

Pionniers. Souhaitant recueillir les témoignages de ces premières prestations de serment, l’Ofis, le Réseau National des Collèges Doctoraux (RNCD) et l’Académie des sciences ont organisé une soirée le 13 décembre dernier au quai Conti (relire notre édito). Si la surprise mêlée d’un soupçon de méfiance prévalait à l’annonce de cette mesure de la loi recherche pour Sylvie Pommier (relire son interview), la présidente du RNCD est aujourd’hui conquise : en renforçant sa légitimité, le serment des docteurs contribuerait selon elle à la revalorisation du doctorat, même – et peut-être surtout – pour les docteurs sortant de la recherche académique. La directrice du collège doctoral de Paris Saclay est donc devenue une fervente partisane de sa mise en application et incitant les doctorants à prêter serment, même si la chose restait optionnelle tant que les chartes du doctorat n’ont pas été renouvelées.

Émotion, quand tu nous tiens. Bien que ce nouveau serment soit assez éloigné de celui d’Hippocrate, l’imaginaire nous y renvoie. Le serment doctoral semble parler tout particulièrement aux doctorants en biologie et en santé. Une sage-femme et une médecin en témoignaient sous les ors de l’Institut de France : elles ont demandé expressément à prêter serment lors de leur soutenance de doctorat. Et pour la première, c’est une sorte d’engagement avec elle-même qui lui a permis de prendre la décision d’aller travailler dans le privé à l’issue de son doctorat. Peu importe la discipline et même s’ils en avaient été informés la veille, les doctorants présents à la soirée de décembre semblaient avoir prêté serment de manière naturelle, créant un instant solennel et chargé d’émotions… parfois accompagné d’une petite larme. 

« La jeune génération ne rejette pas les règles au contraire, elle montre un fort attachement à la morale et à l’éthique »

Marianne Canonico

Has been or not ? Pierre Corvol, médecin et chercheur mais surtout “Monsieur Intégrité Scientifique” – son rapport remis en 2016 a marqué les esprits – s’interroge : le principe du serment est-il désuet ? Contrairement aux préjugés, peut-être pas : les jeunes semblent s’en emparer. Marianne Canonico, directrice de thèse et adjointe d’une école doctorale en santé publique, livrait son ressenti de mère au quai Conti mi-décembre : dans un monde de plus en plus incertain, la jeune génération ne rejette pas les règles, bien au contraire, elle montrerait un fort attachement à la morale et à l’éthique. C’était également une des conclusions de l’enquête menée par le sociologue Michel Dubois et ses collègues (relire notre interview) sur les personnels CNRS.

Si c’est non. Que se passera-t-il si un doctorant refuse de prêter serment ? La question est sur beaucoup de lèvres. Malgré son caractère obligatoire car inscrit dans la loi, la prestation de serment n’est pas une condition nécessaire pour l’obtention du doctorat et aucune sanction n’est prévue, répond en substance Stéphanie Ruphy, présidente de l’Ofis. D’une même voix avec Sylvie Pommier, ces dernières préfèrent insister sur son caractère positif et incitatif. Le procès-verbal de la soutenance gardera cependant trace de la prestation ou non du serment. Et à ce jour, personne ne peut prédire ce que les comités de sélection en feront lors des recrutements.

« Ceux qui critiquent le serment sont des fonctionnaires avec la sécurité de l’emploi »

Pierre Ouzoulias

Le poids des mots. Pour l’instant largement symbolique, le serment pourrait être utile dans le futur pour protéger les jeunes chercheurs. Stéphanie Ruphy avance son caractère opposable au cas où un docteur, qu’il travaille dans la recherche académique ou privée, se verrait demander d’accomplir une tâche contraire à l’intégrité scientifique. C’est d’ailleurs dans cet esprit que Pierre Ouzoulias avait imaginé le serment, ne trouvant aucune autre manière de protéger ceux exerçant avec un contrat de droit privé. Une idée qui n’a pas séduit les syndicats, très opposés dès le départ sur le principe même, craignant pour les libertés académiques. « Ceux qui critiquent le serment sont des fonctionnaires avec la sécurité de l’emploi, fait remarquer le sénateur. Mais comment s’opposer à son directeur de labo lorsqu’on est en CDD ? ».

Affaire à suivre. Le docteur pourrait donc faire valoir son serment face à son employeur, ou même devant les prud’hommes si jamais le différend allait jusqu’au licenciement. Un cas extrême qui fait écho à celui de Christine Fassert, sociologue licenciée au motif d’insubordination en 2020 (relire notre article à ce sujet). La chercheuse contractuelle s’était opposée à son employeur, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), cherchant à lui imposer la suppression de pans entiers de ses articles. En attendant une hypothétique jurisprudence, le serment devra faire ses preuves.

À lire aussi dans TheMetaNews

Quand ChatGPT tient la plume

Écrire vos publis avec l’aide de ChatGPT ? Certains jetteront des regards outrés mais le fait est que la pratique se répand dans la littérature scientifique. Un an et demi après le lancement de l’intelligence artificielle (IA) générative par l’entreprise OpenIA, les...

Aller au labo en vélo

Vos collègues cyclistes sont unanimes : la petite reine – un surnom du vélo qui vient de la reine des Pays-Bas Wilhelmine – a grandement amélioré leur qualité de vie. Si certains inconditionnels pédalent depuis toujours, d’autres s’y sont mis plus récemment : l’année...

La longue odyssée d’Odyssée

Aujourd’hui, en recherchant “odyssée” sur internet, la première occurrence que vous renverra Google est peut-être comme chez nous une plateforme de vidéos avec des contenus complotistes. Ce sera bientôt, si tout va bien, votre nouvelle plateforme pour candidater aux...