Les jeunes sont-ils moins égaux que les autres ?

06.05.2022 • LA RECHERCHE ET SA PRATIQUE


Les deux visages de la précarité

Cinquante nuances. En matière de précarité, toutes les disciplines ne sont pas logées à la même enseigne. En sciences expérimentales, assurances obligent, les jeunes chercheurs ont la plupart du temps un contrat en bonne et due forme.

Riches précaires. Et les salaires peuvent être plus que corrects. Pour compenser leur situation, les postdocs sont payés plus que les jeunes permanents à partir de deux ans d’expérience – presque 3000 euros par mois dans mon cas en 2018.

Sans contrat. En face, dans les sciences humaines et sociales principalement, des doctorants ou de jeunes docteurs effectuent leur recherche “bénévolement”, survivant via des contrats de vacation… voire en auto-entrepreneur.

En construction. Qu’elle soit confortable ou non, la précarité est bien là. En effet, avec des contrats d’un an voire de quelques mois, difficile en effet de mener ses projets et trouver sa place dans un milieu, qui fonctionne sur le temps long.

Aujourd’hui. Voici donc un numéro dédié aux jeunes chercheurs et à leurs problématiques – un sujet que nous avions déjà abordé –, dont certains se regroupent en collectif et parfois interagissent avec les syndicats.

A très vite, 
— Lucile de TheMetaNews.

Erratum. Contrairement à ce que nous affirmions, les vols en avion constituent une grande part des émissions de gaz à effet de serre de la recherche… mais peut-être pas la première. D’après des données préliminaires de Labos1point5, les achats et le chauffage constituent avec l’avion les trois sources majeures. Merci à notre lecteur Olivier Berné de nous l’avoir signalé.

Sommaire

→  ANALYSE Précaires et syndicats, si loin, si proches
→  INTERVIEW  Nilo Schwencke : « À Saclay, les liens sont distendus »
→  OUTIL  Voyant Tools pour lire entre les lignes
→  EXPRESS  Des infos en passant
→  ET POUR FINIR La première dame d’Internet veut prendre sa retraite

TEMPS DE LECTURE : 7 MINUTES

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ANALYSE

Si loins, si proches


Réduire leurs émissions ? Les chercheurs sont prêts à le faire, ils n’attendent qu’une chose : qu’on les y Les jeunes chercheurs en contrat court peuvent-ils trouver leur place au sein des syndicats ? Ces derniers sont-ils prêts à les défendre ?

→ Longue attente. Mathilde Maillard, fraîchement docteure, vient seulement de recevoir ses indemnités chômage avec quatre mois de retard. En cause ? Le manque d’information et la longueur de la nouvelle procédure imposée par le passage en janvier 2022 du CNRS en auto-assurance – on vous en parlait rapidement dans le dernier numéro de TMN vendredi.

→ Pas pour nous. Pas de réaction de la part des syndicats… Contacté par nos soins, le Snesup renvoie vers le SNCS qui lui-même n’en avait pas ouïe dire. Composés principalement de chercheurs permanents, les problématiques des doctorants, postdocs, vacataires et autres “précaires” semblent parfois leur échapper.

→ Prise en main. Faute de trouver leur place dans les organisations syndicales, certains déterminés se regroupent au sein de collectifs locaux. C’est notamment le cas de Nilo Schwencke à Paris Saclay ou de Benjamin Riviale, doctorant en science politique à Nanterre.

→ Unissons nos forces. Quand on y regarde de plus près, ces jeunes militants sont eux-mêmes souvent syndiqués. Et parmi les syndicalistes, certains regrettent la situation et souhaitent voir les précaires grossir leurs rangs. (Re)nouer des liens était donc un des objectifs des Assises de la précarité organisées à Paris fin mars – auxquelles j’ai assisté.

→ En appui. Premier constat : d’une université à l’autre, les relations entre précaires et syndicats varient du tout au tout, comme en témoignent les répondants de l’enquête lancée en amont des Assises. Les côtés positifs ? Une aide peut être apportée par les syndicats aux précaires : conseils techniques, soutien moral ou matériel, visibilité…

→ Par la pratique. Benjamin Riviale, secrétaire adjoint du CECPN (collectif d’enseignants-chercheurs précaires de Nanterre) également syndiqué et élu Snesup en a fait l’expérience : « Les liens entre collectifs et syndicats sont de plus en plus répandus. À Nanterre, nous avons lutté pour la contractualisation des doctorants et peu à peu « syndicalisé » nos pratiques. »

→ Trop radicaux. Mais dans d’autres cas, toujours selon l’enquête, les précaires voient leurs revendications balayées par les titulaires, ne sont pas les bienvenus pour siéger dans les instances ou sont en profond désaccord sur les modes d’action, notamment la rétention des notes effectuée régulièrement par des doctorants et/ou vacataires depuis 2019.

→ Merci patron. Mollesse, hypocrisie… des mots forts envers les syndicats sont ressortis de l’enquête et lors des Assises rue de Rome à Paris, crispant les débats. Aux tensions dues à la hiérarchie — les permanents sont souvent les employeurs des jeunes en contrat court — s’ajoutent des priorités qui s’opposent parfois.

→ Large spectre. Pour les permanents, c’est évidemment le temps long qui prime avec des revendications en conséquence : davantage de postes et moins de vacataires. Mais pour les autres, les besoins sont beaucoup plus impérieux, comme le constate Benjamin Riviale : « Au sein des précaires, on observe une extrême diversité des statuts. Avoir un contrat est souvent la priorité. »

→ Perspectives. Ce qui peut malgré tout les unir aujourd’hui ? « La précarité tire tout le monde vers le bas », analyse Philippe Aubry du Snesup, principal syndicat organisateur des Assises. Les précaires misent eux sur la coordination au niveau national « car nous avons finalement assez peu de contact avec les autres collectifs », regrette Benjamin Riviale.

TROIS QUESTIONS (OU PLUS) À NILO SCHWENCKE

« À Saclay, les liens sont distendus »


Avec d’autres doctorants, Nilo Schwencke est à l’initiative du tout nouveau Collectif de Précaires de Paris Saclay.

Comment s’est déroulé votre première AG ?
    ↳ Environ 50 personnes ont participé à l’assemblée du 5 avril, principalement des doctorants (sur les 4000 que compte l’université Paris Saclay). Aux Assises de la précarité, il y avait beaucoup de permanents [presque deux tiers, NDLR] mais à Saclay seuls quelques syndicalistes étaient là pour suivre. Le but était que les jeunes chercheurs s’expriment car des questions n’avaient pas été soulevées lors de l’enquête du collège doctoral [dont voici les résultats, NDLR]. Des personnes ont notamment témoigné de cas de harcèlement.

Être précaire à Saclay, c’est mieux qu’ailleurs ?
   ↳ C’est sûr qu’on a une aisance matérielle mais cela ne fait pas tout. Les liens sont distendus. Le bureau de l’école doctorale est parfois à plusieurs kilomètres, on enseigne à l’autre bout du campus… D’ailleurs, nous avions surtout des gens travaillant sur le plateau à l’AG. L’université compte une dizaine de sites donc c’est compliqué d’afficher partout…

Quelles sont vos revendications ?
    ↳ Trois principaux constats sont ressortis de l’AG et sont inscrits dans notre communiqué. Par exemple, nous appelons à une réforme de l’HDR qui actuellement est basée uniquement sur l’aspect recherche alors que les chercheurs et enseignants chercheurs devraient être formés à l’encadrement de doctorants. Cela commence à être le cas mais les formations sont saturées. Un autre point sur lequel nous interpellons le collège doctoral est l’exonération des frais d’inscription pour les doctorants.

UN CHIFFRE

94%


En sciences humaines et sociales, une écrasante majorité des chercheurs (94%) utilise Word pour écrire leurs manuscrits. Environ deux tiers l’utilisent même pour gérer leurs références – alors que d’autres disciplines n’ont d’yeux que pour LaTeX. C’est un des résultats de l’assez complète enquête menée par la maison d’édition De Gruyter auprès de chercheurs allemands – mais les pratiques sont certainement similaires en France.

UN OUTIL

Descendez à la mine


Mieux qu’une boule de cristal. Voyant Tools est une application d’analyse de texte (lecture et interprétation), utile notamment pour les sciences humaines. Développé en open source par deux universitaires canadiens, l’outil est disponible dans dix langues dont le français ! Si elle existe depuis 2003, l’application vient de remporter le prix Zampolli.

EXPRESS

Des infos en passant


● Errare humanum est. Comment mieux corriger la science ? Un article de Plos Biology dont Elisabeth Bik est autrice propose une solution en huit points plaidant surtout pour plus de transparence dans le peer review. Le blog spécialisé La Rédaction Médicale les commente.


● Ouvert ou ne pas être. Neuf leçons pratiques sur la science ouverte vous sont proposées par l’Institut de l’information scientifique et technique (Inist) du CNRS.

● Façon puzzle. Une nouvelle plateforme tente de déconstruire le système de publication en permettant la mise en ligne, en open access et de manière transparente, que des morceaux de publications : problématiques, protocoles, analyses… Convaincu ou juste curieux ? Octopus est à tester ce mois-ci


● Deuxième couche. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a été faire un tour dans les labos de Didier Raoult et publie son rapport d’inspection. De graves manquements et non conformités ont été relevés, notamment en termes d’éthique et de protection des données. Les informations ont été transmises au Procureur de la République.


● Sévice public. Le service aux lecteurs de la Bibliothèque François Mitterrand est réduit. Un bras de fer oppose les presque 14 000 lecteurs, soutenus par les employés, et la direction de l’établissement public.

EXPRESS

Votre revue de presse


→ Travail bâclé. La compétition a-t-elle un impact positif sur les résultats de la recherche ? Non, répond Le Monde. Après étude approfondie d’une communauté de biologistes, deux économistes affirment que la compétition pousse à un travail rapide et de moins bonne qualité.

→ Les invisibles. Derrière le chercheur reconnu, il y a souvent une épouse, un doctorant, une technicienne… L’historienne des savoirs Françoise Waquet, invitée de l’émission L’histoire côté coulisse de France Culture, a retrouvé les petites mains de la science.

→ Les invisibles, Ep. 2. Devant l’augmentation du nombre de personnels “d’appui” à la recherche, doit-on maintenir une division stricte du travail ou leur permettre de pratiquer la recherche ? Trois chercheuses penchent pour la seconde option dans Nature.

PLAYMATE DU SIÈCLE

Et pour finir…


Lena Sjööblom (modèle pour Playboy en 1972) est peut-être une inconnue pour vous mais pas pour ceux qui travaillent sur les algorithmes de traitement d’image.