Hcéres, ton univers impitoyable

Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) survivra-t-il ? Le suspense sera bientôt levé. En attendant, on rembobine.

— Le 14 mai 2025

Le ressentiment contre les évaluations menées par le Hcéres n’est pas vraiment une nouveauté dans la communauté scientifique. À chaque vague, sa polémique. Ainsi en 2022, celles de la C — passant en revue les entités du Centre de la France, de l’Est, du Sud-Est, ainsi que l’Outre-mer — avaient déjà suscité une levée de boucliers : trop longues, trop lourdes, des visites réalisées en visio… les critiques (nous vous en parlions) fusaient de toute part : collectifs de chercheurs, syndicats et tutti quanti. Même des institutions réputées impartiales comme la Cour des comptes avaient pointé les insuffisances de l’évaluation à la française. Après une vague D qui a déferlé à Paris dans une relative discrétion, la vague E — Île-de-France (hors Paris), Hauts-de-France et Outre-Mer — qui l’a suivie a aujourd’hui tout d’un tsunami. Accusée d’avoir méjugé les établissements concernés, l’institution a connu un backlash d’une ampleur inédite. En conséquence, à l’heure où nous écrivons ces lignes, se joue rien moins que sa survie dans les semaines à venir.

« Il faut aussi reconnaître (…) que les évaluations du Hceres peinent à susciter l’adhésion »

Coralie Chevallier, Hcéres

Moi, président. Sa nouvelle présidente, Coralie Chevallier, était pourtant prévenue dès sa nomination en mars 2025 : le mandat que lui avaient confié les députés et sénateurs n’allait être de tout repos, comme en témoigne le compte-rendu de son audition du 19 février. La députée Marie Mesmeur (LFI) avait en effet joué carte sur table d’entrée de jeu : « Mon groupe politique considère le Haut conseil comme une instance bureaucratique préjudiciable au monde de la recherche (…) C’est également une gestion lourde et démobilisatrice, qui favorise une logique de compétitivité et de mise en concurrence ». Des propos appuyés notamment par les députés Arnaud Saint-Martin (LFI) et Alexis Corbière (Écologiste et Social). La défiance d’une partie de la gauche pour le Hcéres n’est pas vraiment une surprise : sa suppression, ainsi que celle de l’Agence nationale de la recherche, était déjà préconisée dans le programme présidentiel de Jean-Luc Mélenchon en 2022 (nous l’avions analysé). Trois ans après, nous y sommes. L’un des concepteurs dudit programme est devenu le maître d’œuvre de la suppression du Hcéres : il s’agit du député Nouveau Front Populaire — également chercheur Inrae et syndicaliste — Hendrik Davi (nous l’avions interviewé). Pour l’intéressé, « l’important est le message que nous voulons faire passer : la recherche doit-elle être le produit d’une coopération ou d’une compétition entre labos ? Je veux remettre l’évaluation entre les mains de la communauté pour les protéger ». 

Nul n’est parfait. Coralie Chevalier, en bonne chercheuse, n’épargnait d’ailleurs pas non plus l’institution au moment d’en briguer la présidence : « Il faut aussi reconnaître (…) que les évaluations du Hcéres peinent à susciter l’adhésion et, par conséquent, à avoir un effet transformant (…) Comme scientifique, je partage le constat selon lequel l’évaluation est trop complexe. Ayant moi-même eu à être évaluée, j’ai pu percevoir des redondances ». Et mettait sur la table des propositions, toujours valables aujourd’hui : « donner la possibilité aux établissements de ne pas être évalués de façon strictement identique », rendre les recommandations « plus actionnables » et « plus transparentes » mais aussi simplifier les processus et enfin — ce n’est pas une mince affaire — évaluer l’enseignement privé. Ce qu’elle n’avait certainement pas prévu, c’est que cette institution quelque peu délaissée par ses tutelles jusqu’alors allait devenir en quelques semaines un « enjeu de démocratie ». Par deux fois, le poste de président en titre est en effet resté vacant pendant plus d’un an, au départ de son premier président Michel Cosnard en 2019 puis après celui de Thierry Coulhon en septembre 2023… jusqu’à la nomination de Coralie Chevallier.

« Le RN ne comprend pas grand-chose à l’affaire mais ils ont saisi le ras le bol général de la bureaucratie »

Hendrik Davi, député

Mésalliance ? Car si l’existence de l’ANR n’est aujourd’hui plus directement menacée, le Hcéres est toujours dans le viseur… et pas qu’à gauche. En effet, dans une Assemblée où trois blocs s’affrontent, l’approbation de deux d’entre eux est nécessaire pour faire passer un texte. Or le Rassemblement national semble tout à fait ouvert à voir le Hcéres disparaître pour des raisons évidemment orthogonales à celles exprimées par les députés de gauche, principalement issus des rangs de la France Insoumise : « La résistible ascension du wokisme dans nos universités et laboratoires de recherche » entraînerait, selon le député RN Roger Chudeau « perplexité et inquiétude », voire « démonétise[rait], quand il ne la ridiculise pas, une partie de notre recherche scientifique », déclarait-il le 19 février dernier. La perspective de voir l’évaluation revenir dans l’escarcelle du ministère de la Recherche, ajouté à celui d’économiser la vingtaine de millions d’euros du budget de l’instance, ont emporté les voix du parti d’extrême-droite. « Le RN ne comprend pas grand-chose à l’affaire mais ils ont saisi le ras le bol général de la bureaucratie, comme dans le cas de l’Ademe, ce sont des gens pragmatiques », explique Hendrik Davi. Tout le monde à gauche ne partage pas son avis : « L’amendement adopté par l’Assemblée nationale supprime le Hcéres mais préserve les obligations d’évaluation qui devront donc être assurées par l’administration centrale du ministère de l’Enseignement supérieur, par défaut. Au jugement des pairs, tout critiquable qu’il puisse être, [serait] substitué une gestion politique », analyse le sénateur Pierre Ouzoulias (Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky).

La carpe et le lapin. « Le Rassemblement national considère, selon la logique poursuivie par l’administration de Donald Trump, qu’il appartient au pouvoir politique de contrôler les chercheurs et les institutions de recherche », continue le sénateur. Deux blocs naturellement antagonistes — la gauche et le RN — ont ainsi joint leurs votes à trois reprises pour la suppression du Hcéres : la première fois lors des discussions autour de la loi de finances pour 2025 en votant cet amendement, finalement tombé pour cause de 49.3. La seconde début avril au sein de la loi de Simplification de la vie économique puis au sein de l’Hémicycle en séance publique pour cette fois écarter des amendements visant à rétablir l’instance le 10 avril dernier. 

« Le vote de ce jour montre le vrai visage de partis qui sont prêts à piétiner certains de nos principes académiques »

Philippe Baptiste, ministre

Polémique extrême. Le ministre de la Recherche Philippe Baptiste a dénoncé le vote du 10 avril en des termes fort peu amènes : « Le vote de ce jour montre le vrai visage de partis qui sont prêts à piétiner certains de nos principes académiques (…) pour mettre au pas, si demain ils sont au pouvoir, le savoir, la science et le monde universitaire ». Hendrik Davi balaye la critique :« C’est un faux procès que l’on fait à la suppression du Hcéres : aucun texte de loi ne passe actuellement sans au moins l’abstention du RN ». La question est maintenant : faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? La suppression du Hcéres entraînerait en effet de facto celle de l’Observatoire des sciences et techniques (OST) ainsi que l’Office français pour l’intégrité scientifique (Ofis), qui anime notamment le réseau des référents intégrité scientifique ; ce dernier devait d’ailleurs à sa création être indépendant (relire notre résumé). La réaction d’une grande majorité des représentants d’établissements (France Universités, Conférence des grandes écoles, Udice…) et du ministère est unanime pour maintenir le Hcéres au prix de réformes que tous appellent de leur vœux, sa nouvelle présidente en premier. Côté syndicats, la grande majorité approuve sa suppression pure et simple, tout comme le collectif RogueESR, très actif sur le sujet.

Cluedo. Reste une inconnue finalement : la position précise du gouvernement. Si ce dernier semblait bien décidé à lutter contre sa suppression en déposant des amendements en ce sens début avril, la volonté de « fusionner ou supprimer un tiers des agences et opérateurs de l’État », annoncée par la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin fin avril, ne rendra-t-elle pas la tentation trop grande d’abattre le couperet sur le Hcéres ? La réponse viendra de la Commission mixte paritaire qui réunira sénateurs et députés afin d’entériner la version définitive de la loi de Simplification de la vie économique… La date sera connue dans les prochains jours. À moins que, en un ultime retournement de situation dans un dossier qui en a déjà connu beaucoup, le Conseil d’État, qui examine actuellement le dossier, ne décide que l’amendement en question n’a rien à faire dans cette loi. Ce serait alors un retour à la case départ. 

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