Les commentateurs commentent, les pronostiqueurs pronostiquent… À l’heure où nous écrivons ces lignes, ni le nom du (ou de la) Première ministre ni de facto celui du ou de la future ministre de la Recherche ne sont connus. Les résultats surprise des élections législatives du 7 juillet dernier entraînent fort logiquement un instant de suspension institutionnelle. Une certitude néanmoins : le Nouveau Front Populaire a déjoué toutes les attentes en obtenant 182 sièges à l’Assemblée nationale. Un résultat que la communauté scientifique accueille avec soulagement tant l’inquiétude de voir le Rassemblement national arriver au pouvoir semblait grande dans la recherche française. Alors, puisque le NFP va “peser” dans les années à venir, penchons-nous sur son programme quant à l’enseignement supérieur et à la recherche (ESR).
« Vingt ans de management par projet ont tué le collectif et l’attractivité des carrières »
Arnaud Saint-Martin, sociologue au CNRS et député LFI (2024)
Tous pour un. Première constatation évidente : les mesures ESR du NFP sont peu nombreuses. Un coup d’oeil aux propositions actées en un temps record après la dissolution annoncée le 9 juin dernier permet néanmoins de pointer le souhait pour la coalition de gauche de « créer un statut du jeune chercheur », de « rehausser le niveau d’investissement public dans la recherche », le tout empaqueté dans une grande loi sur « l’éducation et l’enseignement supérieur et la recherche (sic) ». Ce que les établissements, notamment par la voix de leur représentant France Universités, appellent de leurs vœux depuis la loi de programmation de la Recherche, plus axée sur les labos que sur les amphis. Sans oublier une augmentation de 10% du point d’indice des fonctionnaires, qui bénéficierait de fait à tous les titulaires (mais pas aux précaires), qui nécessiterait d’importantes marges de manœuvre budgétaires.
Urgence n°2. Circonstances obligent, « le programme a été rédigé en quatre jours, ce sont donc des lignes directrices, nous verrons quelles sont les marges pour réinjecter le de l’argent », rappelle Arnaud Saint Martin, sociologue au CNRS, nouvellement élu député d’obédience LFI en Seine-et-Marne. À la veille de son investiture officielle au Palais Bourbon d’où il promet de suivre attentivement les questions de sciences, en compagnie des autres députés chercheurs ou titulaires d’un doctorat : Hendrik Davi (écologue), Hadrien Clouet (sociologue), Aurélie Trouvé (économiste) ou Pierre-Yves Cadalen (politiste). Le même Arnaud Saint Martin ne mâche pas ses mots sur la politique de recherche des vingt dernières années : « Il est dramatique de voir le gâchis effroyable de ces talents sacrifiés sur l’autel de la précarité. Vingt ans de management par projet ont tué le collectif et l’attractivité des carrières ».
« Prôner la suppression de l’Agence nationale de la recherche est irresponsable »
Sylvie Retailleau (juin 2024)
Retour vers le futur. Nous avions interviewé en 2022 les principaux candidats à la présidentielle. Parmi eux, Jean-Luc Mélenchon (relire notre analyse et ses réponses à nos questions) et son équipe avançaient de nombreuses propositions sur la recherche, dont certaines en rupture franche avec l’existant : suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), suppression de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et redistribution de ses budgets sous forme de crédits récurrents aux laboratoires mais aussi un « un service public gratuit de la publication scientifique », qui existe toutefois déjà. La proposition de supprimer l’ANR, toute hypothétique qu’elle soit aujourd’hui, suscitait par anticipation une très forte inquiétude de la ministre de la Recherche sortante Sylvie Retailleau.
Coûte que coûte. La locataire de la rue Descartes, tout en reconnaissant implicitement une menace bien supérieure du RN pour les intérêts de la recherche, ne mâchait pas ses mots quant à l’éventuelle dissolution de l’ANR lors de notre interview publiée le 26 juin dernier : « Dire qu’il y a trop d’appels à projets est une chose mais prôner la suppression de l’Agence nationale de la recherche est irresponsable (…) il est impossible, sans appels à projet, de réguler ces infrastructures très onéreuses [comme des microscopes, NDLR]. Je vous rappelle qu’il s’agit d’argent public ». Notre lecteur Arthur Michaut, de l’Institut Pasteur, avançait le même argument : « Tout le monde (…) est d’accord pour dire que la situation actuelle est absurde (très faible taux de réussite et financements beaucoup trop bas). Mais l’ANR n’est pas là pour « payer le gaz et l’électricité ». Comment commander un microscope confocal à 500 000 € sur les crédits récurrents, même très largement revalorisés ? ».
« Nous pourrions dégager 14 000 euros par personne et par an »
Hendrik Davi, écologue Inrae et député (depuis 2022)
Esprits frondeurs. Également réélu député — mais sans la bannière La France Insoumise dont il est aujourd’hui en dissidence —, le chercheur Inrae et syndicaliste CGT Hendrik Davi avait précisé dans nos colonnes la position de LFI quant à l’ANR : « Supprimer l’ANR serait un signal fort mais il faut absolument relever les crédits récurrents (…) : sans cela, la concurrence entre les labos serait exacerbée. Si l’on regroupe toutes les sommes actuellement sur la table sans toutefois inclure le Crédit impôt recherche, nous pourrions dégager 14 000 euros par personne et par an. Les grands équipements sortiraient évidemment de ce calcul ». Un montant individuel que Jean-Luc Mélenchon et ses équipes chiffraient à 11 000 euros. Pour des raisons historiques, les sciences sociales ont en général la dent bien plus dure sur le sujet que les collègues de “sciences dures”.
Équilibre des forces. Étant donné le poids idéologique considérable de la France Insoumise dans le NFP, les critiques concernant l’ANR et plus généralement le management de la recherche issues de ce parti n’en seront que plus audibles dans les mois à venir. Mais arrêtons nous un instant sur une autre constituante de ce Nouveau Front Populaire : le PS. Toujours en 2022, les équipes d’Anne Hidalgo nous faisaient savoir au nom de la candidate socialiste qu’elle « réserverai(t) les financements par appels à projets aux domaines stratégiques [quatre secteurs intitulés sobrement des “odyssées stratégiques” étaient à privilégier : santé, énergie, mobilité et numérique, NDLR], pour que les autres financements soient de nouveau récurrents ». Sans pour autant tirer un trait sur l’ANR, donc. Un espace de négociation sera donc certainement ouvert sur le sujet entre les partenaires du NFP.
« Il faudra aller encore plus loin pour diminuer la charge des chercheurs »
Sylvie Retailleau, 2024
Départ au front. Lors de sa dernière intervention publique le 2 juillet dernier, Sylvie Retailleau vantait encore son action passée en la matière : « L’ANR a déjà fait beaucoup pour fluidifier et simplifier les appels à projets, mais il faudra aller encore plus loin pour diminuer la charge des chercheurs ». Gageons que la nouvelle présidente de l’ANR Claire Giry, tout récemment exfiltrée de son poste à la Direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) du ministère et nommée à la tête de l’agence de financement en remplacement de Thierry Damerval, aura fort à faire pour défendre le bilan de sa futur ex ministre dans les mois à venir.