La longue odyssée d’Odyssée

Unifier les nombreux modules aujourd’hui sur Galaxie et surtout simplifier la vie des utilisateurs : tels sont les enjeux pour la nouvelle plateforme Odyssée. Récit du long voyage qu’est son développement.

— Le 5 avril 2024

Aujourd’hui, en recherchant “odyssée” sur internet, la première occurrence que vous renverra Google est peut-être comme chez nous une plateforme de vidéos avec des contenus complotistes. Ce sera bientôt, si tout va bien, votre nouvelle plateforme pour candidater aux postes d’enseignants-chercheurs, aux primes, à la qualification… Après 25 ans de (presque) bons et loyaux services, la plateforme Galaxie – qu’on vous décrivait par le menu dans un premier épisode – va laisser la place : les premiers modules d’Odysée devraient être mis à l’eau dès 2025. Son développement est aujourd’hui la priorité au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR). Fins des nouvelles fonctionnalités pour Galaxie, donc, et ce depuis quelques années : l’argument de son futur remplacement est couramment avancé suite aux demandes de certains utilisateurs comme le Conseil national des universités (CNU) par le ministère. En espérant que la nouvelle plateforme arrive au plus vite. Mais tel le long voyage d’Ulysse en mer Égée, la construction de la nouvelle plateforme prend du temps. 

« Le déploiement d’une plateforme qui ne serait pas encore fonctionnelle pénaliserait fortement les collègues »

Christophe Bonnet

Calme olympien. D’Odyssée, Fabrice Planchon, vice-président de la Commission permanente CP-CNU lors de la mandature 2020-2023, en a pour la première fois eu vent à la moitié de son mandat, vers 2022 : « Après s’être manifestée, la CP-CNU a été associée au processus et conviée aux réunions du groupe de travail chargé de définir les besoins et les attentes des utilisateurs – des associations de doctorants étaient également présentes – avec la DGRH [direction générale des ressources humaines, NDLR] ». Tels Pénélope sur l’île d’Ithaque, ils attendent son arrivée, initialement prévue pour fin 2023 : « D’après le ministère, Odyssée devrait être prêt pour les qualifications 2025 et la prime Ripec – relire notre analyse – 2026 », explique Anne Joulain, présidente de la CP-CNU. Des informations que ledit ministère nous a confirmé en ajoutant un point de taille : la campagne de recrutement des enseignants-chercheurs 2025 se fera également sur Odyssée. 

Métier à tisser. « Le remplacement des 15 applications de Galaxie va être progressif, selon une feuille de route établie sur plusieurs années et qui débutera en septembre 2024 », détaille le MESR. Le mois de septembre donne le coup d’envoi chaque année, pour les commissions et les services RH des établissements, des campagnes de recrutement pour lesquelles la plateforme est un outil incontournable. « Nous n’avons pas le droit à l’erreur », confie le ministère qui ajoute avec fierté : « Odyssée est une innovation dans la gestion même du projet, inspirée des méthodes agiles et de l’informatique décisionnelle. L’utilisateur est donc au cœur du processus de développement de la plateforme pour laquelle le marché a été ouvert dès 2021. » Odyssée sera donc un « outil de gestion des carrières pour les établissements, dans une logique recruteur ». Ulysse aurait sûrement apprécié l’avoir pour enrôler de meilleurs coéquipiers. 

« Le remplacement des 15 applications de Galaxie va être progressif »

Le ministère

Le chant des sirènes. « Le ministère est conscient qu’une meilleure interopérabilité est cruciale », estime Fabrice Planchon suite à leurs échanges. Si tout se passe comme prévu, Odyssée pourrait donc représenter une énorme avancée par rapport à Galaxie, véritable puzzle de modules pas tous développés au même moment ni connectés entre eux. « Lorsqu’un maître de conférences dépose son dossier pour un poste de professeur, l’établissement auquel il candidate n’a actuellement pas les informations de l’établissement employeur, qui sont pourtant remontées au ministère à un moment ou à un autre [et regroupées sous votre numéro d’identification NUMEN, NDLR] », explique le professeur en mathématiques à Sorbonne Université, en référence aux mésaventures de Viviane Pons et de ses collègues – dont on vous parlait dans le premier épisode. Avant d’ajouter : « Une situation absurde mais on nous a répondu que modifier Galaxie n’était plus possible ». Les implications sont aussi politiques : « Le dossier unique de l’enseignant-chercheur est un serpent de mer. »

Cheval de Troie. Lors de son voyage, Ulysse rencontra de nombreux personnages mythologiques : Poséidon, Calypso, Nausicaa, les Cyclopes, Circé et les sirènes… Autant de noms qui inspireront peut-être vos collègues du ministère pour nommer les modules d’Odyssée – les paris sont ouverts. « La nouvelle plateforme pourrait apporter une normalisation des pratiques entre établissements et une simplification des procédures, ce qui serait très positif », estime Christophe Bonnet du Sgen-CFDT. Mais il prévient également : « Le déploiement d’une plateforme qui ne serait pas encore fonctionnelle pénaliserait fortement les collègues », avant de faire référence au lancement plus que houleux de Notilus par le CNRS en septembre 2023. Alors que les cyberattaques assaillent régulièrement les plateformes officielles – faites-vous partie des 43 millions de Français concernés par la fuite de données de France Travail ? – la fiabilité des logiciels sera scrutée par les syndicalistes.

« Déposer un fichier Excel au bon format est possible  depuis 20 ans »

Fabrice Planchon

À la rame. Faciliter le travail des membres des comités de sélection et des sections CNU en charge des qualif et des primes – on vous parlait dans notre article sur le travail des jurys – est une des demandes principales des intéressés : « Une fois que la section s’est réunie, le président se retrouve avec plusieurs centaines d’avis à saisir – environ 300 dans ma section 25 – avec des cases à cocher et des menus déroulants, ce qui est compliqué à automatiser », explique le mathématicien Fabrice Planchon. Anne Joulain parle quant à elle d’un « temps monstrueux » passé à la saisie, sachant que le travail est déjà en partie fait dans un fichier Excel : « Certaines sections ont les compétences pour l’automatiser via un script, mais ce n’est pas le cas de toutes ». D’autant que « d’un module à l’autre, ce n’est jamais le même format », ajoute la présidente de la CP-CNU. 

Siège tenu. Les solutions sont à portée de main, selon Fabrice Planchon : « Déposer un fichier Excel au bon format, comme c’est le cas dans les bonnes versions du logiciel Apogée, dans lequel nous rentrons les notes des étudiants, est possible depuis 20 ans. » Après avoir assisté à quelques réunions courant 2022 au ministère, l’intéressé a brutalement vu celles-ci s’arrêter. Remaniement ministériel – Frédérique Vidal quitte en mai 2022 les bureaux de la rue Descartes – puis l’arrivée de nouvelles têtes à la DGRH ont dû bouleverser l’agenda initial. Anne Joulain s’est néanmoins vue assurer que le CNU, parfois perçu comme un bastion syndicaliste, serait convié aux prochains groupes de travail organisés au ministère. 

« [Dans Galaxie] Il n’y a pas de notifications claires lorsqu’on reçoit un message dans notre espace »

Viviane Pons

Dans l’arène. Le CNU affirme également batailler pour leurs futurs collègues. « Les candidats à la qualification doivent être mieux guidés, notamment vers les recommandations des sections, essentielles mais qui restent aujourd’hui trop discrètement indiquées… Il faudrait peut-être une case à cocher stipulant qu’ils en ont bien pris connaissance », explique Anne Joulain. Une synchronisation  entre Odyssée et les sites des universités annonçant l’ouverture des postes seraient également  bienvenue. La publication des résultats mais aussi de la composition des jurys est a priori accessible mais uniquement depuis l’espace candidat, rendant les informations compliquées à vérifier. La communauté des matheux – et peut-être d’autres – entretient sur la base du volontariat des jurys sur le site Opérations postes pour diffuser de manière transparente ces informations. Le CNRS a également cessé de publier les résultats des jurys d’admissibilité depuis 2021, ceux-ci étant aujourd’hui diffusés par le SNCS

24 chants. Informer les candidats des étapes clés et notamment des résultats des concours reste également un réel enjeu : « Il n’y a pas de notifications claires lorsqu’on reçoit un message dans notre espace. On a tous peur de rater l’info », confie Viviane Pons. Candidate à un poste de professeur et ne connaissant pas la date de réunion du jury, la maîtresse de conférence devait surveiller chaque jour suivant le dépôt de son dossier pour savoir si elle avait été sélectionnée pour l’oral – ce qu’elle fut. Suite à l’oral, le jury décide de l’heureux·se élu·e sélectionné·e pour le poste et dépose son avis sur la plateforme, suite à quoi les candidats ont une semaine pour accepter le poste. Combien d’entre eux ont raté la fenêtre ? L’exemple d’une candidate en histoire grecque avait ému ses collègues en poste qui signèrent en juillet 2022 ce billet de blog Mediapart

«  Le dossier unique de l’enseignant-chercheur est un serpent de mer »

Fabrice Planchon

104 aspirants. Détail qui n’en est pas vraiment un : une version d’Odyssée devrait être disponible en anglais, ce qui sera bien utile pour vos homologues non francophones qui candidatent, notamment aux postes de chaire de professeur junior (les fameuses CPJ, relire une de nos premières analyses sur le sujet, on refait bientôt le point dessus). Qui codera – ou code peut-être déjà – la plateforme ? Si l’entreprise Avanade – un assez gros fournisseur de services numériques basés sur les technologies Microsoft – était présente aux réunions de 2022, la société Eviden – appartenant au groupe Atos, un des géants français du domaine – est aujourd’hui mentionnée par le ministère pour le développement de la plateforme. Reste une question : le budget de ce projet qui devra gérer la carrière d’environ 100 000 personnels enseignants de l’ESR – 92 000 enseignants dont 55 000 enseignants-chercheurs en 2021. Le ministère n’avance pas de chiffres, précisant uniquement que le budget ne dépend pas de la DGRH. L’avenir nous dira si Ulysse atteindra finalement Ithaque.

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